La Chronique Agora

Vers une grande bataille "pâtés impériaux et sushis" contre hamburger ?

▪ Le climat boursier s’alourdit (très légèrement) depuis 48 heures. Le ton monte entre les Etats-Unis et la Chine au sujet de la parité du yuan, le Japon jouant les francs tireurs avec la promesse de nouvelles interventions sur le marché des changes pour limiter la hausse du yen. Cela nous promet une bonne partie de billard à trois bandes avec force pressions psychologiques et potentiels renversements d’alliance en cours de partie.

Pour ceux qui auraient manqué un épisode (certains de nos lecteurs, que nous saluons au passage, viennent tout juste de rentrer de vacances prises après le rush estival), cela fait quelques semaines que la Chine, peut-être pour se faire pardonner d’avoir ravi la deuxième place au Japon dans le classement mondial par PIB (nous plaisantons bien sûr !), achète massivement du yen au détriment du dollar.

Pékin fait d’une pierre deux coups. Ses réserves en devises japonaises étaient notoirement sous-pondérées : à peine 3% contre 66% en dollar, alors que les échanges commerciaux sont d’ampleur assez comparable. La Banque centrale chinoise a bien compris qu’en l’absence de croissance durable aux Etats-Unis, la Fed serait tentée de faire tourner la planche à billets.

Le mouvement d’inversion du carry trade yen/dollar a encore de beaux jours devant lui — à plus forte raison si la Fed échoue à ranimer l’économie américaine. Si tout ce qui a déjà été expérimenté ne fonctionne pas, il lui restera à jouer la carte de l’inflation.

▪ Cette stratégie risque de se transformer rapidement en hyperinflation incontrôlable alors que les créanciers des Etats-Unis réaliseront que Ben Bernanke et Tim Geithner leur proposent l’alternative suivante : soit un remboursement en monnaie de singe si tout va bien… soit une restructuration de la dette si la conjoncture américaine tourne au cauchemar (ce qui est déjà le cas pour les 20% de chômeurs que compte en réalité le pays).

Mais après avoir injecté 4 000 milliards de dollars dans le système économique et financier américain pour n’obtenir que 200 milliards de dollars de PIB supplémentaires, il ne faut pas sortir de l’Harvard Business School pour conclure que les Etats-Unis courent à la catastrophe.

Imaginez la tête de votre banquier s’il vous avait prêté 400 000 euros pour créer votre petite entreprise (spécialisée dans la promotion immobilière, pour prendre un exemple qui colle au plus près à la réalité) — et que 18 mois plus tard vous n’ayez réussi à extraire que 20 000 euros de chiffre d’affaires (ne parlons même pas de votre marge brute et du résultat avant impôt). Il ne lui faudrait pas réfléchir plus de trois minutes avant de réaliser que, faute de pouvoir le titriser, l’emprunt qu’il vous a consenti un peu trop généreusement doit être basculé dans la catégorie « créances douteuses ».

Les deux principaux détenteurs de la dette américaine, presque à parts égales, sont précisément la Chine et le Japon. Aucun des deux n’a envie de voir la valeur du dollar se réduire comme une peau de chagrin… enfin, pas tout de suite !

Ni Pékin ni Tokyo ne doivent se faire beaucoup d’illusion sur leurs chances de revoir les billes qu’ils ont placées dans les T-Bonds américains. Mais en faisant semblant d’y croire, ils permettent au moins au système financier de ne pas s’effondrer.

L’intervention de la Banque centrale du Japon pour regonfler le billet vert, c’est au mieux un chewing-gum destiné à boucher un radiateur qui fuit. Dès que la chaleur du moteur le fera se dessécher, il cessera d’être étanche et ça recommencera à fumer.

▪ Nous savons que le radiateur américain fuit de toutes parts, comme s’il avait pris de plein fouet un tir de chevrotine. Le nuage de fumée de l’automne 2008 a paniqué tout le monde ; depuis l’intervention massive de la Fed, rien de suspect ne s’échappe plus du capot, mais la pression monte et le colmatage ne va pas tarder à céder.

Les étrangers (comprenez les Japonais et les Chinois) ne se précipitent plus pour souscrire les émissions du Trésor US. Ce sont les fonds qui gèrent l’argent des futurs (ou déjà) retraités américains qui les souscrivent — indirectement — auprès de la Fed, par le biais des SVT (spécialistes des valeurs du Trésor qui sont les partenaires privilégiés des banques centrales, et pas seulement américaine).

▪ La monétisation de la dette US — même si elle s’opère de façon (forcément) sournoise — a largement commencé outre-Atlantique. Ceux qui n’achètent plus les T-Bonds (Chine, Japon) sont les mieux placés pour savoir que le contribuable américain est techniquement insolvable.

Pour schématiser, c’est lui qui prête de l’argent à Freddie Mac et Fannie Mae — en faillite. En retour, son épargne se retrouve placée dans les émissions de ces deux institutions qu’il maintient en survie artificielle… le serpent se mord la queue. Allez vous étonner que le dollar baisse ! Rien ne saurait l’en empêcher — sinon une rechute ponctuelle de l’euro, comme en début d’année. Mais le jeu de dupes qui dure depuis le début du XXIe siècle consiste à empêcher que le système ne se déglingue trop rapidement.

Cela reste hélas inéluctable, et ce n’est plus qu’une question de minutes à l’échelle de la crise qui a commencé officiellement fin février 2007 mais qui couvait depuis l’automne 2006.

Et croyez-vous que les reproches adressés par Tim Geithner à la Chine ces derniers jours soient liés à un excès de manipulation du yuan pour l’empêcher de remonter trop vite face au dollar ?

Les achats de yen effectués par Pékin ces dernières semaines avaient comme principal effet de provoquer le recul du billet vert, ce dont les Etats-Unis ne peuvent que se féliciter. On peut admettre à la limite que cela affaiblit effectivement le yuan face au yen, mais la Chine détient 20 fois plus de dollars, alors où est le problème ?

Oui mais voilà, les échéances électorales se rapprochent, la croissance américaine tend vers zéro, l’administration Obama n’est pas au mieux, la Fed est aux abois… Il fallait bien trouver un « vilain » pour justifier les difficultés que rencontre le pays ; le vieil ennemi extérieur est de retour, le « péril jaune » reste une thématique appréciée de Washington.

▪ Les turbulences monétaires et le bras de fer qui s’engage entre Etats-Unis, Chine et Japon ne sont pas propices à la hausse des indices boursiers. Pourtant, il n’était pas question qu’ils lâchent la rampe avant ce vendredi et l’expiration des instruments dérivés sur actions et indices.

L’Euro-Stoxx 50 a reculé de 0,35% mais l’Eurotop 100 a chuté du double (-0,8%). Cela n’est guère impressionnant mais suffit à créer les conditions techniques d’une correction.

Les chiffres publiés jeudi aux Etats-Unis étaient soit conformes aux prévisions, soit médiocres. L’indice de la Fed de Philadelphie est venu confirmer les difficultés de l’économie américaine à sortir durablement de sa déprime. Les inscriptions hebdomadaires au chômage ont légèrement diminué lors de la semaine du 11 septembre, de 3 000 à 450 000. Cependant, le score de la semaine précédente a été révisé à la hausse, ce qui annule l’impression d’une timide embellie.

Mais aussi et surtout, la durée hebdomadaire du travail a reculé au mois d’août, selon le département du Commerce US. C’est le signe incontestable d’un fléchissement de l’activité économique et le signe précurseur d’une aggravation du chômage de longue durée aux Etats-Unis.

Les ventes d’automobiles ont plongé de 30% au mois d’août aux Etats-Unis ; les économistes espéraient que l’Europe s’en tirerait mieux. D’un point de vue algébrique, c’est une évidence mais ils ne peuvent faire passer pour rassurant une chute de 18,6% du marché européen en juillet, suivi d’un score de -13% en août (cinquième mois de repli consécutif).

Le marché excelle à faire passer des vessies pour des lanternes depuis 15 jours, mais c’est devenu inutile. L’essentiel a été accompli avec un Dow Jones qui plafonne vers 10 550 points, un CAC 40 qui teste les 3 780 et un Euro-Stoxxx 50 bloqué sous 2 800 — c’est-à-dire pratiquement au niveau qui était le leur au soir du 18 (précédente journée des « Quatre sorcières ») ou du 21 juin dernier (première séance du troisième trimestre).

Il faudrait être bien naïf pour s’accrocher à l’illusion que l’actualité au cours des 10 dernières séances a gouverné l’évolution des indices boursiers au jour le jour. L’essentiel est ailleurs, dans l’anticipation de nouvelles normes « Bâle III » applicables aux calendes grecques, dans l’espoir que la Fed participe à une « opération hélicoptère »… Comprenez un largage massif de dollars sur Wall Street avant les élections de novembre pour doper « l’effet richesse ».

Mais comme nous pouvons le constater, ni la Chine ni le Japon ne semblent vouloir laisser se dérouler cette fois un tel torpillage à bout portant du billet vert. Pour la santé de votre épargne, nous vous recommandons de parier sur les pâtés impériaux et les sushis plutôt que sur les hamburgers saturés de mauvaises graisses !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile