La Chronique Agora

USA : quand la « guerre à la drogue » tourne à la frénésie meurtrière

bullets on dollar banknotes with white drug powder

Entre violences extrajudiciaires, communication chaotique et déliquescence morale, les Etats-Unis semblent s’enfoncer dans une spirale où plus rien – ni le droit, ni la décence – ne fait barrage.

USNI News rapporte :

« Quatre morts lors de la dernière frappe américaine contre un bateau soupçonné de transporter de la drogue.

Les forces américaines ont frappé jeudi un navire suspecté de trafic de stupéfiants dans l’est du Pacifique, tuant quatre personnes à bord – la première frappe rendue publique depuis trois semaines. Le bilan total s’élève désormais à 87 morts : 86 tuées lors des frappes, et une personne présumée morte après avoir disparu en mer. Deux survivants blessés ont été rapatriés dans leur pays d’origine. »

The Independent ajoute :

« Le président Donald Trump s’en est violemment pris à une journaliste d’ABC News, la qualifiant de ‘la plus odieuse’, après qu’elle lui eut demandé si son administration comptait diffuser la vidéo de la double frappe contre le bateau.

Le secrétaire à la Défense Pete Hegseth a déclaré qu’il n’avait pas ordonné la seconde frappe du 2 septembre contre un navire soupçonné de transporter de la drogue — la première d’une série d’une douzaine de frappes américaines dans les Caraïbes et dans le Pacifique contre ce que l’administration appelle des ‘narcoterroristes’.

Lors d’un échange tendu à la table ronde de la Maison-Blanche lundi, Trump a assuré n’avoir jamais dit qu’il rendrait publiques les images de la double frappe — bien qu’il ait promis de le faire quatre jours plus tôt — et en a profité pour lancer une nouvelle attaque contre la journaliste. »

Nous nous joignons à la presse « de gauche » pour relater la descente de l’Amérique dans la violence et la corruption. Mais contrairement au New York Times ou au Washington Post, nous considérons qu’il s’agit d’un problème bipartite, et nous ne prenons aucun plaisir à le rapporter. Nous pensons qu’à l’image d’un parasite rampant sur un bateau bananier, un ver redoutable s’est introduit dans notre système, nourri par notre argent vermoulu, et désormais…

Politique étrangère. Politique intérieure. Le budget, le dollar, le ministère de la Justice, le Pentagone… le ver ronge les organes essentiels.

L’expression la plus spectaculaire de ce ver visqueux n’est ni la dette nationale de 38 000 milliards de dollars, ni la multiplication par 35 du prix d’une Ford F-150 depuis 1971. C’est plus qu’une affaire d’argent : à mesure que le dollar s’est dégradé, la décence s’est dégradée elle aussi.

Les Etats-Unis ont commencé à assassiner – ou à tenter d’assassiner – dans les années 1960. La première cible fut sans doute Patrice Lumumba, le leader qui mena le Congo vers l’indépendance vis-à-vis de la Belgique. La CIA pensait qu’il avait été « acheté » par les Soviétiques. D’autres voyaient simplement l’indépendance africaine comme un développement déplaisant. Même Dwight Eisenhower, pourtant généralement mesuré, estimait que le monde se porterait mieux sans lui.

Mais lorsque l’idée d’assassiner le leader africain fut évoquée, Ike répondit : « Ce serait inacceptable. »

C’était au début des années 1960. Mais les limites ont évolué. Avec la guerre du Vietnam, les Etats-Unis ont participé à des dizaines d’exécutions extrajudiciaires. La commission Church a entendu des témoignages faisant état de 634 plans différents visant à éliminer Fidel Castro.

Puis, après une période d’accalmie, l’administration Bush a relancé la machine meurtrière. Des milliers de cibles dites de grande valeur ont été frappées en Irak. Des gens bien ? Des gens mauvais ? On a découvert que personne ne savait vraiment qui ils étaient. Lorsque Daniel Hale a publié des documents montrant que plus de 90 % des personnes tuées n’étaient pas les cibles visées, il a été inculpé pour vol de documents classifiés et envoyé en prison.

Comme nous l’avons rapporté hier, Barack Obama a poursuivi la tradition avec ses « listes de personnes à abattre ». Et la presse ne s’est pas contentée de détourner le regard… elle a rapporté ces meurtres en les approuvant.

Et aujourd’hui, une nouvelle fois, les Etats-Unis se lancent dans une véritable frénésie meurtrière. Cette fois, ils ne tuent ni ennemis, ni terroristes, ni chefs d’Etat, ni politiciens, ni combattants. Les Etats-Unis ont déclaré la « guerre » à des personnes qui ne disposent ni d’armes lourdes, ni de navires, ni d’avions, ni d’armée, ni d’écoles militaires, ni de grades, ni de chars, ni de transports de troupes, ni d’avantages pour anciens combattants, ni de bases militaires, ni d’artillerie, ni d’uniformes… rien.

Karoline Leavitt déclare à propos des critiques :

« Ils s’en prennent aux hommes et aux femmes courageux qui ont mené ces frappes dans le respect de la loi, en suivant les ordres de leur commandant en chef. »

Mais qu’en dirait Eisenhower ? Lui qui avait affronté des soldats professionnels – de vrais ennemis, armés, la Luftwaffe, les Panzers, la Wehrmacht – avant de devenir commandant en chef. Où plaçait-il la limite ? Pourquoi l’amiral Bradley ne la voit-il pas ? Depuis quand est-il acceptable de frapper des civils dont on ignore tout… qui transportent peut-être, ou peut-être pas, des drogues illégales… qui nuisent peut-être ou peut-être pas aux consommateurs – qui, eux, peuvent décider par eux-mêmes ? Des personnes qui se trouvent peut-être ou peut-être pas aux Etats-Unis d’Amérique ?

S’agit-il vraiment de cibles de grande valeur ? Ou plutôt de cibles à valeur négative, dont la mort cause plus de tort que de bien – chaque frappe sapant un peu plus la valeur réelle des actifs américains ?

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