▪ C’est à croire que tout est fait, depuis la mi-septembre, pour que les indices boursiers n’aillent nulle part. Ce qu’une séance a fait, la suivante le défait : l’Euro-Stoxx 50 avait perdu 1,1% mercredi, il les a intégralement repris jeudi, sur la base de la même toile de fond économique, des la même parité euro/dollar… et malgré les mêmes inquiétudes concernant la dette de l’Emirat de Dubaï, de la Grèce ou de l’Espagne, ainsi que les mêmes doutes sur la pérennité de la reprise.
Il en va de même pour les semaines qui s’enchaînent cet automne sans qu’aucune tendance n’émerge. C’est du pain béni pour les institutionnels qui jouent le market neutral (c’est-à-dire la stabilité des cours et l’effondrement de la valeur temps) : les vendeurs d’options se régalent depuis trois mois, les autres s’arrachent les cheveux 95% du temps.
Les quelques pics de volatilité ont, en deux ou trois occasions, fait grimper le VIX — ce qui permettait de vendre à découvert des dérivés dans de meilleures conditions. Cependant, aucun indice de référence de part et d’autre de l’Atlantique n’a franchi de cap décisif, ni à la hausse, ni à la baisse.
Beaucoup de commentateurs tentent de justifier une hausse moyenne de 20% des places européennes, de 25% des indices nord-américains (Etats-Unis et Canada confondus ; le Dow Jones se contente de 19%) et de 75% des pays d’Asie du Sud-Est (Taïwan, Hong Kong, Inde, Chine) par le retour à la normale sur les marchés financiers et la disparition progressive de l’aversion au risque. Notons que cela n’empêche pas Bank of America et Citigroup d’annoncer des augmentations de capital de 20 milliards de dollars en moyenne.
Mais est-ce que des économies qui fonctionnent depuis un an sur la base de taux à 0,13% (les Etats-Unis), à 0,1% (le Japon) ou 0,5% (Royaume-Uni) peuvent être qualifiées de « normales » ?
Et si les actions se payent beaucoup plus cher qu’en décembre 2008 grâce à la confiscation des liquidités (disponibles gratuitement aux guichets des Banques centrales) par les spéculateurs et la mise en place d’une mécanique de carry trade, est-ce que les vrais problèmes de fond ont été résolus une bonne fois pour toutes dans l’intervalle ?
▪ Il est instructif de se replonger dans des commentaires rédigés à chaud il y a un an jour pour jour (le 9 décembre 2008, alors que les Bourses occidentales venaient de reprendre 10% en 48 heures sur l’instauration d’une politique monétaire « non conventionnelle »). On peut ainsi comparer le tableau de l’époque avec la situation telle qu’elle est aujourd’hui.
Nous écrivions dans un petit résumé de conjoncture destiné à poser des jalons stratégiques pour 2009 : « même si la réaction des Banques centrales occidentales a été massive et rapide cet automne, le crédit relais sur lequel repose la fluidité du marché immobilier a disparu du paysage bancaire, les intérêts débiteurs sur les cartes de crédit s’accumulent, la politique budgétaire des Etats membres de l’Union européenne suscite de plus en plus de méfiance alors que les agences de notation s’apprêtent à dégrader les émissions de pays tels que l’Espagne, le Portugal, l’Italie… et peut-être aussi la France ».
En ce qui concerne le Portugal et l’Espagne, le couperet est pratiquement tombé en début de semaine… Et si nous n’avions pas mentionné la Grèce, c’est tout simplement parce qu’il avait été question dans une chronique précédente d’un possible éclatement de l’euro alors qu’Athènes se trouvait confrontée au risque de faillite d’Etats voisins tels que la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie… ce qui lui aurait été fatal.
La rumeur d’une « sortie » de l’Italie circulait également ; la droite nationaliste faisait l’inventaire des nombreux avantages d’une autonomie de décision en matière de politique monétaire dans un contexte de profondes divergences de vues au sujet des plans de relance entre les pays du nord de l’Europe et les pays latins.
L’Allemagne, à cette époque de l’année, freinait encore des quatre fers pour limiter les mesures de soutien artificiel à son économie. Le pays estimait que c’était aux Etats-Unis de sauver la planète… après avoir longtemps refusé de reconnaître à quel point son propre système bancaire était gravement impacté par la crise venue des pays anglo-saxons.
Aujourd’hui, les banques allemandes s’empressent d’expliquer qu’elles n’ont aucune exposition directe aux déboires financiers des principaux groupes immobiliers de l’Emirat de Dubaï. C’est probablement vrai d’un strict point de vue formel mais il existe bien d’autres canaux (fonds d’investissement, assurance crédit, financements de projets) par lesquels le « risque Emirats » peut contaminer l’économie germanique — et européenne, via la City.
▪ Il y a tout juste un an, la Chine était déjà très à la mode auprès des investisseurs. Nous n’aurions aujourd’hui pratiquement pas une virgule à changer à un autre texte publié au lendemain de la Saint-Nicolas :
« Pékin a les moyens de bâtir une titanesque muraille de Chine contre la récession. Le gouvernement chinois annonçait le 9 novembre (il y a un mois jour pour jour) la mobilisation de l’équivalent de 461 milliards d’euros pour soutenir l’industrie, la construction et la consommation des ménages (cela représente à peine un quart des ses immenses réserves de cash, et ce plan ne génère pas un dollar d’endettement pour le pays). Dans le même temps, la Banque centrale orchestrait la décrue du yuan, qui a perdu 0,9% en un mois (entre 6,825 $ et 6,8860 $), suscitant la colère des industriels américains. »
Entre parenthèses, le yuan valait 6,83 $ ce 9 décembre 2009. Retour à la case départ au bout de 13 mois et le problème des parités monétaires reste entier : le G20 n’a réussi à obtenir aucune avancée… et la question n’a figuré à l’ordre du jour d’aucune des réunions qui se sont tenues cette année !
Nous écrivions fin 2008 : « Pékin pensait que son statut d’exportateur/créancier lui garantirait des décennies de prospérité mais voilà que le système libéral américain basé sur le moteur –symétrique — du crédit et de la consommation part en vrille. La croissance retombe sous les 9% pour la première fois depuis l’an 2000 (peut-être même autour de 7,5% au troisième trimestre 2008) et c’est là que les ennuis commencent. »
« Même, s’il reste très difficile de collecter des informations fiables sur le climat social dans les régions peu fréquentées par les investisseurs occidentaux, des échos d’émeutes massives, d’usines incendiées, ont transpiré jusqu’ici malgré l’étroit contrôle de l’information instauré par Pékin : la majorité des Chinois n’a connu l’âge d’or qu’au travers de l’autocélébration permanente véhiculée par les médias officiels. »
Huit mois plus tard, des émeutes ethniques au Xinjiang faisaient officiellement 197 morts… mais il s’agissait avant tout d’une révolte de la majorité ouïghour musulmane de la région contre la domination économique exercé par la minorité Han (les incidents ayant éclaté suite à la fermeture d’une usine).
Pékin a d’abord opté pour une répression sans concession avant de s’attaquer aux racines du problème, lesquelles ont beaucoup à voir avec l’instauration d’une Chine à deux vitesses : les entrepreneurs y ont tôt fait de s’enrichir tandis que les ouvriers ne voient non seulement pas leurs salaires progresser (concurrence du Vietnam, de l’Inde ou du Cambodge oblige) mais leur pouvoir d’achat reculer alors que les prix immobiliers flambent dans les villes où ils tentent de trouver du travail.
Les banques chinoises sont donc fortement incitées à prêter aux classes les moins favorisées, notamment au travers de ce qui s’apparente à du micro-crédit. Elles consentent également des prêts sur huit ans pour l’achat d’une voiture ou sur 40 ans pour l’achat d’un logement (la Chine semble prendre exemple sur le Japon !).
Entre soutien volontariste de l’économie et laxisme monétaire, la frontière s’avère mouvante, à l’aune des abus de la spéculation boursière ou immobilière. Chacun sait que la Chine est en pleine bulle du crédit, chacun sait que cela va éclater un jour (comme c’est le cas en ce moment même aux Emirats)… mais chacun s’empresse d’y investir car la sanction de tous les excès actuels est prévue pour « plus tard », les économistes jugeant que le pays est encore en début de cycle.
C’est probablement le cas si l’exemple retenu est la montée en puissance de la Corée du Sud ou le réveil de l’Espagne post-franquisme dans les années 80… Cependant, il est difficile de pousser plus loin la comparaison s’agissant d’un pays-continent 30 fois plus peuplé que les deux pays précités (qui comptent environ 45 millions d’habitants respectivement contre un milliard 350 millions pour l’empire du Milieu).
Si l’histoire devait se répéter, il faudrait deux planètes Terre (en termes de ressources naturelles) pour permettre à Pékin d’atteindre en 20 ans le même stade de développement que Séoul — dont l’émergence remonte à plus de 30 ans… C’était alors un tout autre monde, avec un environnement géopolitique radicalement différent.