La Chronique Agora

Une quarantaine de quatre semaines, cela peut-il fonctionner ?

** La stratégie de cantonnement des dérivés de créances immobilières adoptée par la Fed — avec la complicité de la BCE, de la Banque d’Angleterre et de la Banque Nationale Suisse — peut-elle constituer le point de départ d’un redressement durable des marchés financiers ?

Du point de vue de l’analyse technique — qui ignore par définition des facteurs aussi incommodants que la glissade du dollar sous les 1,5 euros et les 102 yens et la flambée symétrique du baril vers 110 $ pour ne considérer que le scénario graphique — la récente rechute des indices européens au contact des planchers annuels de janvier 2008 et des indices américains sur des supports remontant à juin 2006 pourrait constituer l’ébauche d’un « double creux », également répertorié comme configuration positive en W, de belle facture, préfigurant une puissante correction haussière à court ou moyen terme.

Voilà qui pourrait justifier d’audacieuses prises de position à l’achat, s’inspirant de la conviction que les « mauvaises nouvelles sont dans les cours », pour reprendre une expression boursière qui fait florès depuis 48 heures. Nous sommes cependant saisi d’un gros doute car le Dow Jones ou le Nasdaq tutoient depuis mardi dernier des niveaux proches de ceux du milieu du mois de mars 2007, alors même que les medias économiques continuaient de se faire l’écho de perspectives économiques favorables et de la conviction que la crise des subprime serait facilement surmontée.

** Pour vous faire sourire un peu, et mesurer rétrospectivement la compétence des sherpas auxquels le citoyen/épargnant non averti est sensé accorder une confiance aveugle, voici un petit florilège des meilleurs diagnostics glanés au fil des Chroniques du 28 février au 13 mars 2007, il y a un an jour pour jour.

Procédons par ordre chronologique : alors que New Century Financial (15% du marché des prêts hypothécaires américains) s’effondrait en Californie, Ben Bernanke déclarait plein de confiance : « il existe une possibilité raisonnable pour que nous assistions à un renforcement de l’économie américaine aux alentours du milieu de l’année 2007 ».

Deux semaines plus tard, alors que le même New Century Financial se déclarait officiellement en faillite, Henry Paulson, ex-CEO de Goldman Sachs fraîchement nommé Secrétaire d’Etat au Trésor, rassurait son auditoire du club économique de Washington : « L’économie américaine est en bonne santé et sa transition vers un taux de croissance modéré mais durable sera couronnée de succès ». Il justifiait même cet optimisme par le constat que « toutes les économies mondiales sont en croissance, dans tous les compartiments, tandis que l’inflation progresse à un rythme modéré […] alors que les liquidités demeurent abondantes ».

L’ex-patron de la Fed, Alan « Bulles » Greenspan, lors d’une de ses interventions « privées » à 50 000 $ la demi-heure, rappelait au même moment que « si la possibilité d’une poursuite de la baisse du prix des logements doit être envisagée, cela ne devrait pas avoir d’impact macroéconomique important dans la mesure où le système bancaire national et la financiarisation des créances hypothécaires rend une propagation de la correction du secteur immobilier aux autres compartiments économiques improbable ».

Quelques mois plus tard, au plus fort de la crise estivale, il n’estimait pas à plus de 33% le risque d’une récession aux Etats-Unis… et il réitérait ce pronostic tout au long de l’automne.

Mais revenons six mois en arrière, c’est-à-dire début mars 2007 : J.C. Trichet jugeait « l’éventualité d’une récession nulle » puisque l’économie européenne jouissait d’une « croissance robuste » dans le cadre d’une stabilité monétaire optimale, « en ligne avec sa tendance historique, dans un contexte de croissance (trop) rapide de la masse monétaire qui traduit un niveau élevé des investissement et des anticipations de hausse du PIB ».

Aujourd’hui des études de grandes banques d’affaires fleurissent ; elles font de la surenchère dans le registre « la récession, nous y sommes déjà », « la stagflation, nous y serons demain », « et cela apparaîtra encore comme une période bénie avant que ne s’abatte la déflation », comme ce fut le cas au Japon 18 mois après l’éclatement de la bulle immobilière.

Etonnez-vous après cela que le dollar poursuive sa débâcle sous les 1,55/euro !

** Sans regarder si loin, dans un futur qui s’annonce cauchemardesque d’après les éditoriaux de nos quotidiens économiques favoris, le billet vert a été bel et bien victime des chiffres macroéconomiques publiés en Europe mardi matin. La production industrielle est en progression de 0,9% en janvier 2008 par rapport à décembre 2007 (selon les données CVS publiées par Eurostat) et les prix à la consommation ont grimpé de 0,2% en France en février 2008 (hors énergie, loyers et alimentation) selon les chiffres de l’Insee, soit une dérive de +2,8% en glissement annuel.

De quels meilleurs arguments la BCE pourrait-elle ainsi disposer pour maintenir sa politique monétaire inchangée jusqu’à la fin du premier semestre 2008 ?

Nous attendons avec une réelle curiosité de connaître les raisons de sa collaboration avec la Fed dans le processus de mise en quarantaine — en fait de mise en « trentaine » puisqu’il s’agit de prises en pension à 28 jours — des dérivés de créances immobilières notées « triple A » présentées à ses guichets en l’échange de bons du Trésor négociables à tout moment.

Nous en profitons pour souligner une nouvelle fois le silence assourdissant observé par la BCE au sujet de la flambée de l’euro. La Fed reste aussi très silencieuse au sujet du risque systémique induit par les quelques 1 000 milliards de dollars de pertes potentielles induites par l’arrivée progressive à échéance des plus mauvaises tranches de prêts subprime émises à partir de l’automne 2005 puis tout au long de l’année 2006 et qui devraient impacter simultanément les encours de cartes de crédit qui étranglent les ménages surendettés.

Mais nous redoutons surtout l’impact du débouclement des positions spéculatives de fonds spécialisés dans l’immobilier d’entreprise. Avec la montée du chômage qui se dessine, inutile de vous faire un dessin au sujet des besoins en m2 des banques et des réassureurs, des promoteurs et des agents immobiliers. Nous vous laissons imaginer les dégâts dans le secteur des baux commerciaux avec la contraction de la surface de vente utile détenue par les foncières spécialisées, confrontées à un sévère ralentissement de la consommation.

** Ce genre de considérations aurait-il troublé — au moins autant que la chute du dollar — les investisseurs européens ? De fait, l’euphorie qui règne à Wall Street depuis mardi (13h30) ne parvient pas à s’imposer en Europe où les indices (+1,2% au final) ont en fait reperdu la moitié des gains accumulés au cours des deux premières heures de cotations.

Et le CAC 40, qui culminait vers 4 740 points en milieu de matinée n’affichait plus que 1,25% de progression à quelques secondes de la clôture… Il n’est même pas parvenu, malgré un coup de pouce opportuniste de dernière minute, à inscrire une clôture au-dessus des 4 700 points.

Un nouvel échec sous les 4 750 points — seuil technique situé à mi-chemin des extrêmes indiciels observés depuis le 21 janvier dernier — ou un test avorté de la zone des 4 780 points nous inciteraient à écarter l’hypothèse séduisante du « double creux » sur les 4 505/4 535 points, annonciateur d’un retracement des 5 250/5 300 points. Ce retracement est espéré, en vain et à trois reprises, depuis le 15 janvier dernier.

Philippe Béchade,
Paris

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