▪ Wall Street semble prêt à nous rejouer la comédie de la divine surprise des trimestriels "meilleurs qu’attendu". Alcoa publie comme par hasard un profit symbolique au lieu d’une perte — mais nous avons détecté une bidouille liée à l’intégration comptable d’une joint-venture qui pourrait avoir fait apparaître des profits à la place de pertes substantielles.
Il n’a pas fallu très longtemps aux médias pour tendre leur micro devant ceux qui n’attendaient que cette occasion d’affirmer qu’il s’agit de la première bonne surprise d’une longue série ! Tiens donc : ils ne sont pas surpris que du "super positif" soit une nouvelle fois au programme…
Ce n’est pas la seule manifestation du double langage qui tient lieu de méthode de communication depuis le début de l’été : les cours de la plupart des titres explosent à la hausse de 50% à 100% mais les analystes sont réputés "prudents".
Les gérants tentent de nous faire croire que des cours de Bourse gonflés à l’hélium, qui affichent des multiples astronomiques, doivent être revus à la hausse du fait de l’écart algébrique entre les prévisions et les profits annoncés (qui sont en fait déjà largement intégrés dans les cours … et bien au-delà du raisonnable).
Les vrais problèmes économiques du moment disparaissent instantanément du raisonnement des opérateurs. Après tout, les cours de Bourse reflètent un avenir radieux, en tous points semblable à celui qui prévalait jusqu’en octobre 2007… sauf que ni la hausse de l’immobilier, ni le volume du crédit à la consommation, ni les investissements des entreprises n’ont la moindre chance de ressembler en 2010 à ce que les analystes extrapolaient fin 2006.
En revanche, les profits de quelques grosses banques qui gagnent à tous les coups en Bourse depuis six mois en spéculant avec l’argent avancé par les contribuables vont publier des profits qui vont repousser toutes les limites du connu s’agissant de leur activité de marché.
Cela fera-t-il oublier une nouvelle fois la contraction de l’activité de crédit et l’explosion des sinistres sur les prêts immobilier prime ou le revolving (assortis de taux à 30%) ?
▪ Les investisseurs veulent croire que oui : les indices boursiers occidentaux sont revenus en quatre séances au contact de leur zénith annuel. Ils réalisent leur meilleure performance hebdomadaire (+4,5% en moyenne) depuis la semaine du 20 au 24 juillet dernier.
Les volumes sont en nette accélération : quatre milliards d’euros en moyenne à Paris depuis lundi. A noter qu’ils étaient restés anémiques au milieu de l’été, personne ne croyant véritablement à la pérennité du rally haussier, compte tenu du peu de preuves tangibles d’une sortie de crise.
Le rush que nous observons depuis lundi semble refléter le quitte ou double des retardataires. Ces derniers sont effet convaincus qu’il faut saisir cette dernière chance de sauter en marche dans le TGV de la hausse avant que les indices ne portent leur avance cumulée depuis le 9 mars de 60% à 70% — ou pourquoi pas 80% puisque tout devient possible — d’ici la fin de l’année.
Les derniers sceptiques sont en train de craquer. Ils rejoignent le clan ultra-majoritaire de ceux qui croient que la décorrélation des cours de Bourse d’avec la santé réelle de l’économie est devenu une règle cardinale. Pour eux, il faut l’intégrer cette notion comme le firent ceux qui estimaient la terre plate et durent admettre qu’elle était ronde.
Sauf que dans le cas présent, il nous est demandé de revenir à la croyance originelle : le potentiel de hausse des indices en ligne droite est réputé infini… et aucun retour au point d’origine (sur les plus bas de juillet, par exemple) ne saurait être envisagé.
▪ La capitulation des vendeurs, matérialisée par une brusque rechute de l’indice VIX de la peur, c’est précisément signal technique que guettent ceux qui soutenaient les cours dans l’attente de trouver une fenêtre de sortie optimale. Ils peuvent compter maintenant sur le mythe des masses de liquidités inemployées : ce sont celles qu’ils ont capté en les détournant du circuit économique auquel les banques centrales les destinaient.
Il n’y avait plus qu’à trouver une raison rationnelle d’accréditer le concept d’une Bourse bon marché. Le dossier Alcoa apparaît de ce point de vue très emblématique : le hasard a voulu que la saison des trimestriels démarre par la publication de résultats — comme par hasard — "meilleurs que prévus".
Comment ne pas imaginer que la direction, consciente des enjeux pour Wall Street, se soit efforcée d’optimiser les trimestriels pour euphoriser des marchés qui n’attendent que cela ? Une tâche d’autant plus aisée qu’Alcoa est certainement le principal bénéficiaire, parmi les 30 vedettes du Dow Jones, des plans de relance chinois et américains — avec notamment la fameuse opération "Cash for Clunkers", qui vient de prendre fin.
Les analystes s’interrogent-ils sur les relais de croissance à l’horizon 2010 ? La Chine y pourvoira. Ses capacités d’achat et de stockage sont réputées infinies… et toutes les anticipations de croissance stratosphériques sont aussitôt validées.
Il est hors de question d’envisager qu’Alcoa a épuisé ses marges de réduction de coûts. Les usines islandaises du groupe tournent désormais à plein régime, d’autres moins rentables vont fermer et ne rouvriront pas. La firme s’est montrée la plus agressive en matière de suppression d’effectifs — elle pourrait donc se trouver contrainte de réembaucher.
▪ Une autre question se pose toutefois. Les sidérurgistes disposeront-ils en 2010 de marges de manoeuvre sur la fixation des prix ? Il faut savoir que le recyclage des voitures récemment retirées de la circulation va bientôt occasionner la remise sur le marché de grandes quantités d’aluminium à très bas prix de revient (un sixième du coût du raffinage de la bauxite).
Alcoa bénéficie d’un effet "dessus du panier" qui apparaît difficilement transposable aux autres secteurs d’activité (services, distribution, immobilier…).
Si par extraordinaire les chiffres d’affaire et les marges s’amélioraient pour ne serait-ce que la moitié des composantes du Dow, alors effectivement, le CAC 40 aurait ses chances de grimper vers 4 000 points. A condition cependant que le dollar ne dévisse pas sous les 1,4850/euro et 87,5 yens.
▪ Si ces niveaux sont enfoncés, de fortes turbulences vont affecter les indices boursiers car un appel d’air en faveur des matières premières devrait se faire ressentir. Nous hésitons encore à parler de cap décisif sur l’once d’or car les records de mars 2008, exprimés en euros, tiennent toujours. Probablement pas pour très longtemps, ceci dit : l’once teste les 715 euros et les 1 060 $. La flèche haussière sur les matières premières pourrait bien être celle qui percera la bulle des valorisations boursières.
Tant que le pétrole plafonne sous les 74,5 $, il n’y a rien de fait. Mais le scénario d’une correction se met en place avec l’ébauche d’un triple sommet baissier sur le CAC 40, le S&P et l’Eurotop 100 au cours des six dernières semaines — une séquence qui s’apparente fortement à celle observée au milieu de l’été 2007.