Par Addison Wiggin (*)
C’est une énigme moderne. Le dollar — la devise de réserve mondiale — s’affaiblit, diminue, chute. C’est le cas depuis les débuts de la Réserve fédérale, l’institution même chargée de maintenir sa valeur ; cependant, le déclin s’est accéléré à un rythme inquiétant ces derniers temps.
"Le dollar a atteint de nouveaux planchers par rapport aux autres devises", tel est le refrain de la presse financière depuis plusieurs années. Entre 2000 et 2004, nous gribouillions nos analyses financières depuis un bureau parisien. Durant une période de 18 mois commençant fin 2002, le coût de la vie, pour nous autres expatriés payés en dollars mais dépensant notre argent en euros, a grimpé de moitié ou presque. En 2007, il en coûte toujours 50 cents supplémentaires pour les Américains vivant ou voyageant en Europe occidentale. La veille de Thanksgiving 2007, le dollar a chuté à 1,4856 par euro — le taux de change le plus bas depuis la naissance de l’euro en 1999 — mais c’est pire encore pour nos collègues de la Chronique Agora travaillant ou se rendant fréquemment à Londres. Mon collègue Bill Bonner a dépensé 425 $ pour une modeste soirée en ville comprenant quelques billets pour une pièce de théâtre dans le West End, un trajet en taxi et un dîner dans un restaurant chinois.
Le déclin du dollar
Dans la mesure où la plupart des Américains ne quittent jamais leur pays, cependant, pourquoi devraient-ils s’inquiéter de voir la valeur du dollar chuter ? Eh bien, la réponse est relativement simple. Tout — le lait, les oeufs, le carburant, les matériaux de construction, bref, tout — coûte désormais plus cher. Beaucoup plus cher. Lorsque la Réserve fédérale parle d’inflation, elle aime à faire une distinction entre l’inflation globale (overall inflation) et l’inflation centrale (core inflation), qui ne tient pas compte des prix de l’énergie et de l’alimentation — soit très précisément les dépenses quotidiennes qui inquiètent la plupart des consommateurs.
Pour un Américain, le prix moyen d’un gallon de carburant sans plomb a plus que doublé entre janvier 2000 et juillet 2006, grimpant de 130,5%, selon le Bureau US des statistiques de l’emploi — et cela sans compter les augmentations constatées en 2007, qui ont poussé le prix à 3 $ et plus le gallon.
L’inflation est pire encore dans les rayons des supermarchés américains. Selon le Food Marketing Institute (FMI), le ménage US moyen dépense 92,50 $ par semaine en produits d’épicerie — plus s’il a des enfants. Durant les six premiers mois de 2007, les prix de l’alimentaire ont augmenté de 7,5% — quasiment le triple de la hausse constatée sur l’ensemble de 2006, qui se montait à 2,1%. En pourcentage, c’est la plus grande hausse annuelle depuis 1980, selon le département du Travail US. Lorsque 2007 a pris fin, les coûts alimentaires avaient enflé de 5,6% — plus du double de l’ensemble de l’année 2006. Même le prix du lait, lourdement réglementé, avait enregistré une coquette hausse, grimpant de 3 $ en 2001 à 3,55 $ — et près de 4 $ dans certains marchés — en octobre 2007. La hausse continue en 2008. Le département US de l’Agriculture prévoit une augmentation de 3% à 4% cette année.
Trois dollars pour un gallon de pétrole, ajouté à la baisse des prix immobiliers — c’est une double claque pour les consommateurs. Et comment réagissent-ils ? Selon le FMI, la viande est le produit le plus volé depuis 2005 — et à l’heure où l’hiver 2007 arrivait, les placards à provisions, partout aux Etats-Unis, rapportaient des réserves en baisse.
Nous vivons une époque bizarre. Les économistes regardent le même chiffre, et expliquent : "non, ça ne coûte pas plus cher. Ils demandent juste des prix plus élevés". Une hausse des prix, c’est pourtant bien ce que subit l’économie américaine, et cela arrive rapidement, partout. La plupart des économistes américains semblent ne pas le comprendre (ou ne pas vouloir l’admettre), mais nous sommes dans le pétrin. Certains économistes rattrapent peut-être enfin les consommateurs. Ou peut-être pas. Ils semblent ne pas pouvoir se décider. Mais c’est la seconde année que nous entendons le mot en "R".
En octobre et novembre 2007, l’Association américaine pour l’économie américaine a rapporté que la moitié des économistes interrogés voyaient une récession à l’horizon. Mais tout comme la Fed, les économistes sont d’éternels optimistes. Ils observent la faible augmentation du PIB US de 2,6% projetée entre la fin 2007 et le quatrième trimestre 2008 et décrètent que tout va bien parce que ce chiffre est légèrement supérieur aux 2,4% anémiques de 2007. Puis, en novembre, la Fed a laminé ses estimations pour 2008, passant de 2,5% à 1,6% — une chute conséquente par rapport aux 2,5% à 3% prévus auparavant. Des expressions comme "croissance économique sous le niveau" et attentes "inférieures à la tendance" jusqu’en 2009 nous disent ce qui se passe vraiment : les Etats-Unis sont en train de perdre pied.
La suite dès demain…
Meilleures salutations,
Addison Wiggin
Pour la Chronique Agora
(*) Addison Wiggin est le Directeur du Daily Reckoning, l’équivalent américain de La Chronique Agora. Mr Wiggin étudie, commente et écrit sur les marchés depuis plus de dix ans. Avec un master de philosophie de l’université de St John, il adopte un point de vue global et contrarien sur les marchés américains et mondiaux.
Addison Wiggin et Bill Bonner ont collaboré à la rédaction de deux ouvrages, L’inéluctable faillite de l’économie américaine, paru en 2004, et L’empire des dettes, paru en 2006.