La Chronique Agora

Un silence qui en dit long… comme les déficits US

** Les bulls n’ont peut-être pas encore gagné la partie… mais les bears qui abusent du champagne depuis une bonne semaine se sont montrés moins efficaces hier. Ils semblent devenus plus patauds, leurs coups de griffe sont moins précis, ils laissent certaines de leurs victimes préférées (les bancaires et les valeurs du BTP) s’échapper par des brèches dans la clôture… nous les sentons mûrs pour s’offrir une sieste bien méritée.

Avec l’été qui vient juste de débuter, il ne faut pas s’attendre à ce que les "ours" s’en aillent hiberner, mais si la température des marchés se réchauffe trop, ils pourraient être tentés d’aller se réfugier dans un coin ombragé durant une semaine ou deux, dans l’attente de conditions plus propices pour repasser à l’offensive.

Ceux qui ont goûté aux charmes de l’Andalousie savent que les bovidés à robe noire ne craignent pas le soleil… mais il ne faut cependant pas se laisser abuser par les lourdes silhouettes noires et cornues qui bordent les routes : ce sont de gigantesques panneaux publicitaires pour une célèbre marque de Jerez, dont les taureaux de combat sont l’emblème.

Quoi qu’il en soit, le CAC 40 est enfin parvenu ce jeudi à inscrire sa troisième hausse supérieur à 1% depuis le 20 mai dernier. L’indice phare a repris 1,1% et clôturé à 4 343 points — un niveau qui demeure très comparable (à une poignée de points près) aux clôtures des 29 août et 28 octobre 2005.

Comme nous le supposions dès mercredi soir, il se pourrait qu’après 31% de repli par rapport au zénith de la mi-juillet 2007, la zone des 4 300 points puisse constituer un bon support. Nous avons failli douter lorsque le CAC 40 fut victime d’une nouvelle capitulation de -1,5% en début de matinée jeudi : plus de 90% des titres du SBF 120 s’enfonçaient alors dans le rouge.

L’indice phare a brièvement inscrit un plancher annuel à 4 224,13 points (il perdait alors 25% depuis le 1er janvier) mais ils est repassé de 4 325 à 4 358 points en moins de quatre heures de cotations (soit un gain en valeur absolue de 3% d’une seule traite). Il a ensuite terminé sur une succession d’allers-retours entre 4 300 et 4 340 points ; si la hausse l’a emporté, c’était in extremis : la fin de journée ne fut pas de tout repos pour les acheteurs !

** Les investisseurs n’ont pu puiser aucun réconfort dans les piètres statistiques américaines publiées ce jeudi. Les chiffres de l’emploi au mois de juin trahissent la poursuite de la dégradation du marché du travail aux Etats-Unis. Si le taux de chômage reste inchangé à 5,5%, en revanche, ce sont pas moins de 62 000 postes qui auraient été détruits le mois dernier, après -45 000 au mois de mai, -30 000 en avril, -80 000 en mars, -76 000 en février et -17 000 au mois de janvier… soit en tout près de -250 000 au premier semestre 2008.

L’autre mauvaise surprise du jour concernait la baisse de l’activité dans le secteur américain des services. Elle s’est contractée en juin, d’après l’enquête publiée par l’Institute for Supply Management (ISM). Son indice mensuel d’activité s’est fortement contracté, à un niveau de 48,2 en juin après 51,7 en mai… et l’indice d’inflation sous-jacente reste à la hausse.

Mais d’où est donc venu le regain d’optimisme qui s’est manifesté à partir du début de l’après-midi ? Le diagnostic économique de la BCE a en quelques sorte rassuré les marchés : la banque centrale prétend que son unique tour de vis de 25 points devrait éviter que la stabilité des prix soit menacée par une spirale haussière sur les salaires.

** J.C. Trichet minimise toujours le risque de récession et la vigueur de la croissance semble de nouveau  surestimée… Cependant, les expressions "vigilance" ou "état d’alerte" ont disparu du communique final de la BCE, au profit de considérations plus rassurantes concernant la "proche réalisation des objectifs de stabilité des prix". C’est typiquement un discours préfigurant l’instauration d’un biais monétaire neutre (oui, mais jusqu’à quand ?).

Alors aurions-nous été injuste avec la BCE ? Nous serions-nous montrés exagérément sévère avec J.C. Trichet ("laxiste avec les puissants" — et tout le monde se souvient du Crédit Lyonnais… "impitoyable avec les faibles" — de nombreux intermédiaires financiers de taille modeste, mis en difficulté par des contrôles tatillons, n’ont jamais bénéficié de la "solidarité bancaire", laissée à la discrétion de la direction du Trésor) ?

Et bien nous répondons NON haut et fort, avec un aplomb qui n’a d’égal que celui de certains grands serviteurs de la République (titre auquel nous ne saurions prétendre) se tenant "droit dans leurs bottes".

Laissez-nous vous narrer une anecdote qui en dit plus long que les longs chapitres de la Chronique consacrés à démonter, pièce par pièce, la grille de lecture, le discours et la stratégie de la BCE. Elle nous a été livrée sur un plateau d’argent vers 14h50 ce jeudi !

** J.C. Claude Trichet se pliait depuis une vingtaine de minutes au fastidieux exercice des questions/réponses routinières avec des journalistes triés sur le volet, se montrant parfois faussement agressifs ("la hausse des taux est-elle justifiée ?", "y aura-t-il de nouveaux tours de vis monétaires ?", "le ralentissement de la croissance ne doit-il pas être pris en considération ?"…). Nous commencions à nous ennuyer ferme ; nous avons déjà vécu la même scène 36 fois — et entendu 36 fois les mêmes contre-arguments — … et puis soudain, la tuile, le gros couac, l’impensable se produisit !

Un journaliste (nous n’avons pas retenu son nom… nous commencions à penser à d’autres choses) a lancé la question suivante — comme s’il venait de lire nos précédentes Chroniques du début de la semaine : "mais ne voyez-vous pas qu’en faisant délibérément monter l’euro, vous provoquez la flambée du pétrole, elle-même responsable de l’inflation que vous prétendez combattre ?"

Et là, notre Jean-Claude national, le champion du monde de la langue de bois et des réponses qui embrouillent le questionneur est resté muet… Si, si, absolument authentique !

Il a juste réussi à bredouiller que le dollar était effectivement un peu faible, mais il n’a rien trouvé d’autre à dire… et s’en est tiré par la formule traditionnelle : "il ne nous reste que quelques secondes, nous allons devoir nous interrompre, quelqu’un a-t-il une autre question ?" (sous-entendu, surtout pas la même que la précédente !)

Oui, M. Trichet, le tout puissant et infaillible patron de la BCE, a séché comme un débutant sur une question du niveau de la Chronique Agora — c’est tout dire !

Pour vous livrer le fond de notre pensée, notre inestimable Jean Claude sait pertinemment que la hausse de l’Euro fait grimper le pétrole… mais il sait surtout que cela torpille le Dollar, miné par des déficits structurels insurmontables !

Autrement dit, nous interprétons sa non-réponse comme un silence qui en dit long sur la nature réelle de sa stratégie monétaire : déboulonner le billet vert de son piédestal de devise de réserve internationale comme des manifestants en colère déboulonnent la statue d’un tyran un jour d’insurrection populaire !

Mais M. Trichet agit de façon plus discrète et plus sournoise ; il dévisse patiemment toute la nuit, pendant que les gouvernements et la Fed dorment, il laisse le dégrippant agir toute la journée… puis il revient avec sa clé de 25 (points de base) et extrait sans bruit les boulons un par un, jusqu’à ce que le dollar ne tienne plus en équilibre que par son seul poids. Il n’y a plus qu’à attendre une bonne rafale – viendra-t-elle de Chine ou du Proche-Orient ? — et l’emblème de la toute puissance économique américaine s’affaissera tout seul, avec un bruit sourd… On entendra juste J.C. Trichet siffloter joyeusement l’air de la "stabilité monétaire".

Philippe Béchade,
Paris

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