** Un glorieux rayon de soleil parvient souvent à traverser les cumulonimbus avant que le ciel d’orage ne se referme au-dessus de nos têtes… et le même phénomène se produit également après que soit passé le premier rideau de grêle. Ensuite, un régime d’averses intermittentes s’installe, accompagnées ou non de fortes rafales qui peuvent provoquer d’importantes chutes de bois mort (les branches alourdies par la pluie deviennent beaucoup plus vulnérables aux vents tourbillonnants).
Après la mini-tempête du début de semaine, qui a vu le CAC 40 chuter de 6% pratiquement sans le moindre rebond intermédiaire (-200 points entre 3 340 et 3 140 points), voilà qu’une belle éclaircie se manifeste suite à la publication des indicateurs avancés du Conference Board. Ces derniers affichent au mois de juin l’un des plus forts rebonds de la décennie : +1,2% à 100,2 après une progression de 1,1% en avril et un repli de 0,3% au mois de mars.
L’indice composite est censé préfigurer l’évolution de l’économie américaine à un horizon de six mois, et confirmerait l’anticipation d’une nette embellie conjoncturelle d’ici à la fin de l’année.
Dans le détail, les économistes se plaisent à souligner une hausse des performances commerciales des entreprises… un rétrécissement des spreads de taux d’intérêt (réduction des écarts entre la rémunération des emprunts du secteur public et ceux du privé)… l’abondance de l’offre monétaire… la hausse des cours boursiers — et peu importe qu’elle soit météorique… le rebond spectaculaire des attentes des consommateurs… et enfin la hausse des permis de construire (+4% le mois dernier) ou des mises en chantier de logements neufs (+17% après -13%).
** De façon surprenante, 48 heures après la déception causée par l’indice Empire State de la Fed de New York, l’activité industrielle s’est nettement redressée dans la région voisine de Philadelphie, d’après l’enquête mensuelle publiée jeudi par l’antenne locale de la Réserve fédérale. L’indice d’activité Philly Fed bondit de -22,6 à -2,2 au mois de juin ; le sous-indice des perspectives à six mois traduit un niveau d’optimisme jamais observé depuis septembre 2003 : le score s’établit à 60,1 contre 47,5 au mois de mai… cela tient du prodige.
Il y a tout de même un bémol : le taux d’utilisation de l’outil de production et le volume des nouvelles commandes ainsi que des livraisons sont au mieux stables et ne reflètent guère l’euphorie apparente des chefs d’entreprises. Ces derniers font état d’une baisse persistante de la masse salariale et du nombre d’heures travaillées.
Le sous-indice régional de l’emploi se redresse néanmoins à -21,8 contre -26,8 en mai et -44,9 en avril — il avait atteint ce mois-là un plancher quasi-historique.
** Le bonheur des marchés ne serait pas complet sans une embellie sur le front du chômage (en données mensuelles) aux Etats-Unis : -7 000 à 622 750, c’est le premier repli enregistré depuis le 3 janvier. Seule ombre au tableau, les demandes d’indemnités hebdomadaires ont au contraire légèrement progressé (+3 000 à 608 000). Cependant, la variation est "de l’épaisseur du trait", inférieure à la marge d’incertitude qui peut dépasser les 10 000 d’une semaine sur l’autre.
Impossible de terminer le portrait tout en rose de l’économie américaine sans un coup de projecteur sur le recul du nombre global de chômeurs inscrits dans les agences relevant du département du Travail US : -148 000, à 6 687 000 — un chiffre qui confirmerait une stabilisation du rythme de la contraction du marché de l’emploi.
Vous êtes sans doute perplexe devant cet étalage de bonnes nouvelles : premièrement parce que nous ne sommes pas coutumiers de cet exercice… deuxièmement parce que nous trouvons toujours des indicateurs ou des contre-arguments à mettre en balance (vous pourriez nous soupçonner aujourd’hui de partialité)… et troisièmement parce que nous ne nous montrons pas très disert sur la hausse des marchés qui devrait logiquement en résulter.
** Et c’est bien là que nous voulions en venir : il n’y a pas de flambée du Dow Jones ou de l’Eurotop 100 dont nous puissions faire état… car deux heures après la publication de l’avalanche de bons chiffres commentés en préambule, ces deux indices affichaient des gains de +0,6% (Francfort reprenant 0,75% et Paris 1,05%).
Ce sont là des rebonds bien modestes en regard des pertes accumulées depuis jeudi dernier, qui s’élèvent en moyenne à -5% de part et d’autre de l’Atlantique. Il y a un évident paradoxe entre la flambée de 3,5% des 1er et 2 juin pour des prétextes dont nous avions souligné la minceur, voire l’absurdité, et la correction de 4% (après l’amorce d’un rebond qui s’avère tout au plus technique) survenant à la mi-juin à quelques séances de la fameuse "journée des quatre sorcières" qui marquera la fin du premier semestre 2009.
Que constatons-nous ? Tout d’abord la stagnation du CAC 40 (-0,75%… mais il aura peut-être rattrapé ce retard au moment où vous lirez ces lignes), du Dow Jones et du S&P 500 (-2,5% et +1,5% respectivement depuis le 1er janvier), de l’Eurostoxx 50 (-1,5%) et du DAX (la Bourse de Francfort grappille 0,5% et pourrait aussi bien les reperdre aujourd’hui).
Il est difficile de relier l’optimisme tapageur dont font étalage les économistes des pays occidentaux à la performance des indices boursiers. Au Japon en revanche, alors qu’un pessimisme noir régnait en tout début d’année fiscale 2009/2100 (le 1er avril), la Bourse de Tokyo engrange +10%.
A Hong Kong, l’effondrement des exportations vers l’Occident fait sourire les investisseurs : l’indice Hang Seng affiche +23% en six mois… et Taiwan grimpe de 33%. Enfin, un véritable vent d’euphorie souffle sur Shanghai puisque le SSE (le baromètre des valeurs chinoises dont l’accès est réservé aux investisseurs locaux, le yuan n’étant pas encore convertible) s’envole de 55%.
Mais toutes ces performances font pâle figure face aux +45% de la Bourse de Bombay et aux +65% du marché moscovite (qui vient toutefois de reperdre -10% cette semaine).
Côté occidental, c’est le Nasdaq qui sauve l’honneur avec un gain de 20% ; le Canada ne démérite pas avec une progression de 12% du TSX, qui se hissait ce 18 juin juste au-dessus de la barre symbolique des 10 000 points.
Pour résumer : Moscou et Toronto réalisent les meilleures performances dans leurs zones respectives, Sydney dans l’hémisphère sud s’adjuge 8,25%, Santiago s’envole de 32%, Sao Paulo de 36%. Ce sont les Bourses représentatives de cinq pays producteurs de matières premières… et la Chine, leur principal client, écrase le classement avec +55,7%.
** La thématique "produits de base" n’est peut-être qu’un dénominateur commun secondaire, (les investisseurs privilégient les pays émergents réunis sous l’acronyme BRIC… le Canada et l’Australie ne correspondant pas au profil). Cependant, il est difficile de ne pas établir de parallèle entre le rebond de leurs marchés financiers respectifs et le fait que leur balance commerciale soit fortement excédentaire grâce aux exportations de matières premières, à l’exception notable de la Chine qui en importe par millions de tonnes.
Les Etats-Unis qui n’exportent que des dettes et les pays européens dont le déficit commercial se creuse sont en panne de croissance. Il ne faudrait pas que cette situation perdure car les BRIC ne pourront surmonter indéfiniment la déconfiture économique de leurs principaux clients : les Bourses des émergents ne sont nullement le reflet d’un bon climat social à l’échelon local.
Il existe une troisième explication qui découlerait logiquement des deux précédentes : les investisseurs agissent depuis six mois comme s’il valait mieux détenir n’importe quel actif… plutôt que du dollar !
Philippe Béchade,
Paris