La Commission européenne ne fait rien pour protéger les entreprises des pays membres du protectionnisme de certains.
Nous avons commencé hier à nous intéresser aux barrières pratiques qui existent en Europe pour limiter le libre-échange, malgré les discours et traités. Au centre du problème se trouve la Commission européenne, qui refuse parfois simplement de faire son travail.
Ainsi, quand deux Etats fédéraux allemands ont bloqués l’ouverture de magasins Ikea en 2008, la Commission a envoyé une lettre officielle qui n’a rien changé. Quand Decathlon a fait la même démarche en 2014, la même procédure obtint le même résultat.
En 2008, alors que le commerce électronique en était encore à ses balbutiements, il aurait peut-être été légitime de protéger les petits détaillants. Aujourd’hui, ces petites entreprises sont confrontées à la pleine concurrence des plateformes mondiales de commerce en ligne. Pourquoi alors empêcher Ikea et Decathlon d’ouvrir des magasins de détail ?
En juillet 2022, la Commission européenne a été officiellement réprimandée par le médiateur européen pour son manque d’action. Le médiateur a déclaré que la Commission avait pris « un temps disproportionné » et l’a exhortée à accélérer les choses, en écrivant :
« En tant que médiateur, j’estime qu’un délai aussi important n’est pas raisonnable. Les différents arguments avancés par la Commission pour expliquer ce retard semblent, en partie, être cumulatifs et résulter de l’incapacité de la Commission à prendre une décision sur l’opportunité de poursuivre ou non l’affaire. D’un point de vue objectif, treize ans est un délai disproportionné pour traiter les étapes administratives d’une procédure d’infraction. Ce retard a eu des conséquences négatives indéniables pour les plaignants.
Dans ce contexte, j’estime qu’il incombe à la Commission de prendre une décision sur la prochaine étape de cette procédure d’infraction et je l’invite à le faire sans délai supplémentaire injustifié. »
Dommages économiques
Entre-temps, une évaluation des dommages économiques du protectionnisme allemand réalisée par Europe Economics a révélé que, « au-delà de l’identification d’une perte non négligeable pour l’économie allemande, les restrictions en question […] entraînent des pertes deux à trois fois plus importantes dans le reste de l’UE ».
En particulier, ces dispositions dans les règles d’urbanisme locales, en empêchant l’établissement du type de magasin IKEA en question, entraînent une perte de valeur ajoutée brute pour l’économie de l’Allemagne :
- une perte de valeur ajoutée brute de 25 M€ pour l’économie allemande et de 71 M€ pour les économies du reste de l’UE ;
- des pertes d’emplois : quelque 672 emplois en Allemagne et 1 290 dans le reste de l’UE ;
- des pertes de recettes fiscales – environ 11 M€ en Allemagne et 32 M€ dans le reste de l’UE.
Pour Decathlon, il existe des opportunités similaires. L’entreprise n’a ouvert que 50 magasins en Allemagne, mais elle aimerait en ouvrir 200 de plus dans ce pays, le plus grand marché d’Europe. Selon ses estimations, l’ouverture de 10 magasins en Allemagne permettrait de créer 2 534 emplois et 115 M€ de valeur ajoutée brute dans l’ensemble de l’UE, notamment au Danemark, en France, en Italie, en Pologne et en Roumanie.
Abdication totale ?
Malgré tout cela, aucune action en justice n’a suivi. En réponse au médiateur et aux plaintes en cours, la Commission a simplement indiqué plus tôt cette année qu’elle était en contact avec les autorités allemandes, soulignant une fois de plus qu’elle avait déjà pris la peine d’envoyer une « lettre de mise en demeure », affirmant ainsi que l’Allemagne aurait promis de modifier sa législation nationale.
Cependant, la Commission européenne continue de refuser d’entreprendre une action en justice contre l’Allemagne. Politico a même découvert une lettre de la Commission révélant que l’institution est prête à abandonner cette procédure d’infraction dans la plainte d’Ikea, vieille de 15 ans, qui est l’une des plus anciennes.
Tout comme dans l’affaire slovaque, les entreprises n’ont plus que la possibilité de saisir les tribunaux nationaux pour tenter de faire valoir leur cause, peut-être avec la nouvelle législation fédérale allemande comme paille à laquelle s’accrocher.
Une fois de plus, pour se justifier, la Commission a fait référence au fait qu’elle « dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour décider d’engager ou non, et à quel moment, une procédure d’infraction ou de saisir la Cour de justice ».
Il conviendrait peut-être de vérifier si les traités de l’UE accordent un tel droit d’appréciation à la Commission européenne – par ailleurs toujours très désireuse d’étendre son pouvoir et ses activités – et, si ce n’est pas le cas, les Etats membres de l’UE devraient peut-être le lui rappeler.
Si l’Allemagne n’est pas très heureuse de le faire, des options créatives pourraient être explorées. En 2012, le groupe de réflexion Open Europe a suggéré d’adopter une approche de « coalition des volontaires » pour ouvrir le marché des services de l’UE. Il a calculé que, si seuls les Etats membres de l’UE favorables à cette démarche commençaient déjà à ouvrir leurs marchés des services les uns aux autres, la moitié des avantages gigantesques de l’achèvement du marché unique des services de l’UE serait déjà réalisée. A l’ère du commerce électronique, les avantages d’une telle approche ne font que croître de jour en jour.