La Chronique Agora

Turquie : un aperçu de l’avenir des Etats-Unis

la Turquies et les US en pleine guerre commerciale ?

Les dettes dépassent les capacités de remboursement du monde réel en raison de la monnaie factice établie après Bretton Woods. Désormais, l’avenir est étouffé sous les créances.

Nous voyons se préciser une image de la crise financière mondiale.

Nous nous penchons aujourd’hui sur la Turquie – mais uniquement parce que Donald Trump a envoyé, il y a quelques jours, un tweet extraordinaire.

Dans son tweet, le président américain malmenait de manière remarquable la tradition et le sens commun. Il a utilisé le krach de la lire turque pour justifier une nouvelle attaque dans la guerre commerciale.

Au lieu de mots apaisants qui auraient pu calmer la situation de crise, son tweet en a rajouté une couche. Et au lieu de venir en aide à un allié en difficulté, il l’a au contraire enfoncé.

Je viens d’autoriser un doublement des droits d’importation sur l’acier et l’aluminium en provenance de Turquie car leur devise, la lire turque, chute rapidement contre notre très solide dollar ! L’aluminium sera maintenant taxé à 20% et l’acier à 50%. Nos relations avec la Turquie ne sont pas bonnes en ce moment !

Nous n’avions encore jamais passé ne serait-ce que deux minutes à réfléchir à la Turquie ou à ses finances. Mais une fois que le président a réveillé notre curiosité, nous avons vu ce que nous pensons être un aperçu de l’avenir.

Nous y voyons de gigantesques faillites… des krachs boursiers… des rodomontades… des menaces et des contre-menaces… du populisme… des trahisons… des guerres commerciales… des guerres de devises… tandis que le monde vient à bout de 115 000 milliards de dollars de dettes.

Une petite fissure dans une grande muraille de dettes

La Turquie ne représente qu’1% du PIB mondial, et moins de 5% du PIB américain. De la petite bière, en d’autres termes. Mais l’effondrement d’une muraille commence toujours par une petite fissure.

La grande muraille que nous contemplons est faite de 250 000 milliards de dollars de dette, posées – un milliard ici, un milliard là – lors des 30 dernières années.

Les pierres fondatrices ont été mises en place en 1971, lorsque le lien ultime entre l’or et le dollar américain a été rompu… et le billet vert s’est retrouvé isolé du monde réel, où le temps et les ressources comptaient.

Auparavant, les emprunts étaient plus ou moins limités par l’épargne ; l’épargne était plus ou moins limitée par les revenus ; et les revenus étaient plus ou moins limités par le nombre d’heures dans la journée.

Il y avait bien assez de place pour les excès et les folies de masse dans le monde pré-1971. Mais il y avait aussi un système qui tendait – même si c’était de manière imparfaite – à limiter les déséquilibres.

Les erreurs finissaient par être corrigées.

Ce système était fait d’or. Numéro 79 sur la table périodique des éléments, la quantité d’or disponible ne pouvait pas être facilement augmentée.

L’industrie financière peut créer du crédit. Mais c’est la production du monde réel qui permet de rembourser les dettes. Tant que la monnaie était liée à l’or, ni le cash ni le crédit ne pouvaient dépasser à l’excès les biens et services réels produits par l’économie.

De l’argent à volonté et plus de restriction de dépenses

Puis, en 1971, Nixon coupa le dernier lien entre l’or et le dollar. C’est ainsi que la première pierre de la grande muraille de dette actuelle fut posée.

Une fois les fondations en place, il fallut quelques années pour que les gens réalisent ce qu’ils avaient à leur disposition : une masse de crédit quasi-illimitée.

De « l’argent » pouvait être créé par les banques centrales et multiplié à loisir par l’industrie financière, permettant aux banquiers de gagner des commissions et faisant grimper les actifs des plus riches.

Une fois que les gens réalisèrent que « l’argent » pouvait être obtenu à volonté, leurs inhibitions à le dépenser s’évaporèrent progressivement.

« Les déficits n’ont pas d’importance », affirma Dick Cheney. « Ce serait bien si nous n’avions pas [de plafond de dette fédérale] », ajouta Ben Bernanke.

« Et ne vous inquiétez pas du marché boursier », annonça en substance Alan Greenspan. En 1987, il avait fait clairement comprendre qu’on ne laisserait pas le marché boursier le plus important au monde corriger les excès de dette ou de spéculation.

Telle était la signification du « put Greenspan ». Si les actions baissaient, la banque centrale les ferait remonter.

Comment ? En fournissant encore plus d’ersatz de crédit à des termes encore plus avantageux.

Et c’est ainsi que… la course a commencé !

Des communistes… des cinglés… des êtres vivant à quatre pattes dans des cavernes… ont soudain pu obtenir des millions de la part de prêteurs qui n’avaient jamais gagné l’argent, ne l’avaient jamais épargné et ne s’étaient jamais vraiment inquiété de le perdre : après tout, il y en avait encore tout plein – de là où ça venait !

Sinon, quelle personne saine d’esprit irait prêter à la Turquie… à l’Argentine… ou à Elon Musk ?

Qui irait prêter à des taux négatifs ? Si vous prêtez à 20%, il ne vous faut que cinq ans pour rentrer dans vos frais. Si vous prêtez à 10%, il vous faut 10 ans. A 2%, c’est 50 ans. Plus le taux est bas, plus vous avez besoin d’avenir.

Avec des taux négatifs, l’avenir n’a plus aucun sens. Vous ne rentrerez pas dans vos frais.

Jamais.

L’avenir est porté disparu

Ce n’est pas le monde réel ; c’est le monde factice concocté par le dollar US et les charlatans qui le gèrent.

C’est aussi pour cette raison que les prêteurs – apparemment en pleine possession de leurs moyens, ne portant pas de bracelet à la cheville et sans ordonnance du tribunal mettant leurs affaires entre les mains d’un tuteur – ont acheté des obligations argentines à maturité 100 ans.

Un an ? Cent ans ? Peu importait… l’avenir était porté disparu.

Voilà ce qui arrive lorsqu’un système monétaire est perverti par la fausse monnaie. Normalement, on agit en fonction des conséquences que l’on prévoit.

On épargne pour les mauvais jours. On refuse une deuxième part de gâteau parce qu’on sait qu’il faudra monter sur la balance le lendemain. On laisse tranquille la jolie voisine parce qu’on sait que son mari a un permis de port d’armes.

Les actions ont des conséquences ! Le lendemain arrive. Votre voisin vient frapper à votre porte.

Le dollar factice a faussé la connexion entre les actions et les conséquences. Les gens pouvaient récolter ce qu’ils n’avaient pas semé. Ils pouvaient investir de l’épargne que personne n’avait jamais gagnée. Ils pouvaient emprunter – et comment ! – en sachant que l’avenir (lorsqu’ils devraient rembourser) n’arriverait jamais.

Mais dans le monde réel, l’avenir finit par arriver… tôt ou tard.

Ces derniers jours, c’est l’ancienne capitale de l’empire ottoman qui en a fait les frais.

La lire turque a chuté tandis que les investisseurs étrangers fuyaient et que le soleil se levait sur le Bosphore. Donald Trump a aggravé la situation avec de nouvelles barrières commerciales.

Le PIB de la Turquie n’est que de 900 milliards de dollars. Sa dette extérieure n’est que de 500 milliards de dollars. Ces chiffres sont si petits – par rapport à une économie mondiale de 90 000 milliards de dollars… et 250 000 milliards de dollars – que les investisseurs ne s’en soucient pas.

Le problème est « contenu », disent-ils, faisant échos aux mots fameux de Ben Bernanke en septembre 2007.

A l’époque, c’est Lehman Brothers qui était en difficulté. Là aussi, la fissure était minuscule ; Lehman n’avait que 619 milliards de dollars de dette.

A l’époque aussi il semblait n’y avoir que peu de raisons de s’inquiéter. Ben Bernanke avait pris la suite d’Alan Greenspan. Le put Greenspan s’était mué en put Bernanke. L’avenir pouvait bien attendre.

Et Bernanke réussit. Avec près de 4 000 milliards de dollars de crédit supplémentaire émis par la banque centrale, il parvint à ressusciter les fantasmes les plus fous de l’ère de bulle… mais pas avant que le mur se soit effondré, écrasant les marchés boursiers sous les décombres.

A suivre : comment la Turquie… la Chine… et les Etats-Unis gèreront une dette impossible à rembourser.
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