Familles irlandaises, retraités anglais, chauffeurs routiers polonais et jeunes amants…
Début août, nous avons passé un week-end placé sous le signe de l’anxiété et de la contrariété. Nous étions préoccupés par le jugement de l’Histoire.
Que racontera Wikipédia sur nous en l’an 5 000 ? Sur les Etats-Unis ? Sur les guerres que nous avons menées et sur notre économie ? Aura-t-on même le droit à une note de bas de page ?
Nous ne sous-entendons pas que nous en sachions plus que les autres. Mais cela nous amuse d’imaginer et de deviner que l’histoire sera un juge plus implacable que les analystes actuels.
A bord du ferry
Nous avons eu le temps d’y réfléchir car nous étions captifs à bord du W.B. Yeats, un ferry imposant qui assure la traversée Dublin-Cherbourg en plus de 18 heures, avant de rouler pendant six heures pour rejoindre notre maison au sud de Poitiers. Nous avons eu le temps de la réflexion solitaire.
Nous sommes heureux de vous dire que la vie à bord du W.B. Yeats est revenue à la normale. Nous l’avons souvent pris en Irlande pour rejoindre le continent et cela a toujours été un plaisir. Mais durant les confinements, le navire était quasiment désert, arpentant l’Atlantique nord comme un fantôme. Samedi dernier, il a retrouvé ses bonnes vieilles habitudes, offrant joie et confort à ses passagers.
Il y a quatre catégories de voyageurs : les jeunes familles, les couples retraités, les chauffeurs routiers polonais et les amoureux.
C’était la saison des vacances : les familles irlandaises rejoignaient la France en quête de températures plus chaudes. Certaines descendront même avec leur voiture et leur caravane jusqu’en Espagne ou en Italie. Des enfants de tous âges courraient sur les ponts, quasiment sans surveillance. A coup sûr, certains manquaient à l’appel à l’arrivée en France, tombés par-dessus bord en chemin.
Il y avait également des retraités français qui revenaient de leurs vacances sur l’île d’Emeraude. On reconnaît sans problème les Français : leurs vêtements sont bien plus chouettes et chic que ceux des Irlandais. Les femmes portent des écharpes et sont tellement élégantes qu’elles pourraient rejoindre un dîner mondain tout juste après avoir débarqué. Les Français sont également plus minces et semblent avoir acheté des vêtements au Bon Marché spécifiquement pour leur séjour.
En revanche, les chauffeurs routiers polonais ont fait le voyage tant de fois que celui-ci doit avoir perdu tout son charme. Ils se retrouvent au bar, mangent et boivent copieusement, puis se retirent dans leurs chambres pour se reposer.
Ce sont les amoureux, peut-être en pleine lune de miel, qui ont attiré notre attention. Un couple est assis en face de nous au moment où nous écrivons ces lignes. Il est costaud et n’est plus tout jeune. Il mange un dessert ou deux et descend à grandes gorgées deux pintes de Guinness. Il a un bouc, des lunettes et les cheveux noirs.
Elle est son opposée. Mince comme un mannequin, blonde, avec rien à manger dans son assiette. Sa jeunesse est également derrière elle. Mais les deux se comportent comme s’ils avaient rencontré l’amour pour la première fois de leur vie. Il la serre fortement contre lui. Ils admirent la mer. Il lui caresse l’épaule. Il l’embrasse sur sa joue rosée. Il caresse son cou frêle. Il est l’amant ardent, elle est l’objet de son affection.
Mon dieu… Il lui touche désormais les cheveux et murmure à son oreille.
Nous allons devoir partir, ça devient trop distrayant !
La route du jour J
Le paquebot part en fin d’après-midi. Nous avons l’habitude de nous asseoir au bar pour prendre un thé et regarder le navire quitter le port de Dublin. Nous rejoignons ensuite nos cabines et nous nous préparons pour aller dîner dans un bon restaurant. Après dîner, nous rejoignons nos chambres pour dormir, bercés par la sérénité et par le léger remous de l’Atlantique nord.
Le matin, nous sommes retournés au restaurant pour prendre le petit déjeuner et nous avons retrouvés nos tourtereaux de la veille, la mine fatiguée. Il se pourrait qu’ils aient passé une nuit plus agitée que la nôtre !
Peu après, ce fut l’heure du débarquement. Notre mission (et le véritable objet de notre voyage) était de ramener un vieux van équestre en France pour le faire réparer. Après avoir écouté les instructions du capitaine, nous avons trouvé notre véhicule sur un pont inférieur et avons rejoint la terre ferme, à Cherbourg. Peu après, nous conduisions le long de la péninsule du Cotentin, en direction du Poitou.
La route principale qui nous conduit hors de Cherbourg est longue et droite. C’est la route qu’a prise l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale. Car c’est proche de l’endroit où les Américains et les troupes alliées ont débarqué en 1944, avant de se retrouver encerclés sur la péninsule. Ce cimetière militaire est devenu une attraction touristique sans équivalent dans le monde. Des panneaux indiquent le cimetière américain, le cimetière allemand et le cimetière canadien. D’autres affichages proposent de revivre l’expérience du débarquement.
Notre ami de longue date Stanley, un charpentier à qui nous faisons appel depuis les années 1960, n’avait aucune envie de revivre cette expérience. Il l’avait vécue en 1944. Alors jeune soldat, il avait débarqué sur Omaha Beach.
Nous lui demanderons ce qu’il en pensait demain… avant de continuer notre voyage.