La Chronique Agora

Touché, vérolé, plombé

Fed dette

Tout, depuis les bons du Trésor jusqu’aux actions en passant par les obligations d’entreprises, est pourri, fragilisé, vacillant… et la Fed se félicite de sa belle ouvrage !

Les équipes de la Reserve fédérale américaine viennent de publier une étude (disponible ici dans son intégralité, en anglais) sur ce qu’il s’est passé en mars 2020… et semblent la trouver rassurante.

La Fed conclut en effet que son action rapide a enrayé le désendettement des opérateurs à effet de levier et a au contraire suscité une vigoureuse tendance haussière du prix des actifs.

Le négatif a produit du positif… croient-ils !

Sauf que ce que la Fed considère comme positif est négatif. En effet, le réflexe de Pavlov qui a fait se retourner les marchés à la hausse fait maintenant partie de la mémoire des marchés ; il va devenir une composante avec laquelle il va falloir compter.

Ce réflexe rend la Reserve fédérale encore plus dépendante, encore plus otage des marchés et de la spéculation. C’est une condamnation à soutenir la bulle.

C’est le « toujours plus » en accéléré.

Un colossal effet de levier

Par ailleurs, la Fed révèle que l’utilisation de l’effet de levier chez les hedge funds est colossale…

… et attention, les hedge funds ne sont qu’une partie de la communauté spéculative mondiale ! Les entités non régulées et offshore sont exclues, y compris l’immense complexe des family office du type Archegos.

Selon l’étude :

« Les expositions brutes aux fonds spéculatifs du Trésor américain (UST) ont doublé de 2018 à février 2020 pour atteindre 2 400 Mds$, principalement grâce aux opérations d’arbitrage de valeur relative et soutenues par des augmentations correspondantes des emprunts en pension… Depuis le deuxième trimestre 2018, il y a eu une augmentation significative des emprunts en pension, indiquant une augmentation marquée des avoirs en titres longs UST.

[…] Le choc de mars 2020 sur le marché UST a été d’une ampleur sans précédent, mais en raison de la rapidité et de l’étendue des interventions de la Réserve fédérale, il a été de relativement courte durée. »

Plutôt que de s’auto-renforcer et de déstabiliser les ventes de la communauté spéculative à effet de levier en difficulté, les marchés se sont emballés, ils ont stimulé les entrées, la prise de risque et encore plus l’effet de levier spéculatif.

De toute évidence, ces dernières années ont été témoins d’une formidable expansion de la spéculation à effet de levier. Alors que ce document se concentrait sur les opérations à effet de levier sur les titres du Trésor, la volatilité de mars 2020 dans l’ensemble des titres à revenu fixe (c’est-à-dire crédit d’entreprise à haut rendement et de qualité supérieure, MBS, obligations municipales…) en constitue la preuve.

Tout, absolument tout, est touché, vérolé, plombé.

Une crise terrible… passée « inaperçue »

L’étude reprend :

« Nos résultats indiquent que l’intervention rapide de la Réserve fédérale pour stabiliser les marchés du Trésor a probablement empêché une spirale de désendettement où les fonds spéculatifs ont encore vendu leurs expositions dans un marché en baisse, réalisant plus de pertes et épuisant davantage leurs fonds propres. Par rapport aux épisodes de crise précédents, le choc de mars 2020 était sans précédent, en particulier dans la vitesse et l’ampleur auxquelles des mouvements extrêmes se sont produits et dans son impact sur des marchés par ailleurs sûrs et liquides tels que le marché UST.

[…] En mars 2020, alors que les investisseurs du monde entier se sont engagés dans une fuite vers les liquidités et les liquidités au milieu d’une fermeture économique soudaine et sans précédent, il y avait une forte divergence dans les spreads UST, dont les hedge funds parient généralement qu’ils convergeront. »

Une fuite vers les liquidités, cela s’appelle un run.

« Alors que les titres UST jouent un rôle vital dans le système financier mondial, l’impact des hedge funds sur le fonctionnement du marché UST n’est pas bien compris car ils sont moins réglementés que les courtiers traditionnels et fournissent peu d’informations. De plus, par rapport à d’autres gestionnaires d’actifs, les hedge funds utilisent un effet de levier important associé à des stratégies d’investissement moins liquides. »

Nous avions été l’un des rares à affirmer que c’était une crise terrible, d’une ampleur et d’une rapidité jamais vues.

Le descriptif de la crise effectué par les équipes de la Reserve Fédérale n’a rien de rassurant, au contraire car il montre que la crise qui dure depuis 1987 se rapproche du centre que constitue le couple Fed/Trésor US.

Cette crise a touché de plein fouet le marché des valeurs du Trésor ; en d’autres termes, elle a touché le cœur de la régulation et des sauvetages. Elle a touché la boîte à outils, l’arsenal.

Le marché des valeurs du Trésor est la pierre angulaire du système mondial et il s’est révulsé. On comprend qu’il ait fallu 4 000 Mds$ pour éviter la catastrophe finale.

La petite bête qui monte…

La petite bête monte, monte… la taupe creuse, personne ne la voit, mais elle fait son travail… la lecture de ce rapport est édifiante… et tout le monde s’en fiche.

Vous allez finir par comprendre ce que j’ai découvert en 2008 et expliqué depuis sans relâche à savoir que la dette ne sert plus à soutenir l’économie. Elle ne sert plus qu’à une chose : soutenir le marché, c’est-à-dire la valeur artificielle de la dette.

Nous sommes dans des alibis ou encore dans des constructions parallèles. Le prétexte à produire toujours plus de dettes est l’économie, car c’est un motif vertueux – mais en réalité, la cause de la nécessité de la production de toujours plus de dette c’est… la dette.

Pour bien assimiler, il faut avoir compris que le marché financier mondial – et singulièrement le marché américain – a la fonction d’une colossale banque mondiale. Il fait la fonction de transformation du court en long, du non risqué en risqué, il fait le levier.

Les anciens runs sur les banques sont déplacés et transformés en runs sur les marchés… et en mars 2020, en réalité, nous avons assisté à un run sur le cœur du marché américain.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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