La Chronique Agora

Le timing de la dégradation du Triple A de la France nous laisse perplexes

▪ Nous n’obligeons personne à valider notre théorie des coups tordus. C’est juste que gagner de l’argent en Bourse sur des intervalles de 24 à 48 heures sans adopter des raisonnements machiavéliques s’avère bien difficile.

Même pour des traders qui ne font que de l’intraday à plein-temps — il s’agit de semi-professionnels qui développent leurs propres automates de passation d’ordres — la proportion de gagnants est largement inférieure à 50%.

En l’occurrence, nous faisons référence aux bilans connus et incontestables des candidats qui ont participé sous nos yeux à des concours comme ceux organisés sur une seule séance à l’occasion du Salon du Trading ou par BFM (sur une durée de six semaines).

Certes, les traders en situation de compétition ne gèrent pas le risque de la même façon que s’ils n’avaient pas à se préoccuper des performances de leurs rivaux. Mais même en s’imposant de n’opérer qu’en suivi de tendance, les performances s’avèrent inférieures à celles du marché.

Bien entendu, il y aura toujours un kamikaze pour prendre un levier 10 à l’ouverture lundi matin et qui vous annoncera 25% de gain à la clôture. Mais il y a 90% de chances qu’il s’abîme en mer à l’issue de ses trois prochains paris boursiers sur le mode tout ou rien.

▪ La logique du coup tordu
Pour illustrer la logique du coup tordu qui marche presque à chaque fois, vous constaterez que la séance du 19 novembre ne constitue pas un exemple isolé. Rebelote dès le lendemain avec une Bourse de Paris qui termine au plus haut du jour, sur un gain de 0,65% à 3 462 points.
Cette hausse semble saluer un abaissement de la note souveraine de la France par Moody’s.

Les commentateurs tentaient de nous expliquer mardi que cette sanction était largement anticipée, que le AAA de la France et de l’Allemagne ne se valaient pas — une évidence que nous avons martelée à de multiples reprises dans nos chroniques depuis deux ans. Mais le choix du timing de l’annonce soulève de nombreuses interrogations.

Pourquoi sanctionner la France alors que notre gouvernement (qu’on le soutienne ou qu’on le juge incompétent) vient de prendre des mesures pour stimuler la compétitivité ?

Pourquoi Moody’s invoque-t-il la faiblesse de la croissance française alors qu’elle se retrouvait — pour la première fois cette année — au coude à coude avec l’Allemagne au troisième trimestre ?

▪ Pourquoi dégrader la note française maintenant ?
Moody’s aurait eu bien raison de sévir au mois de juillet, mais cela aurait peut-être torpillé l’impact du bombement de torse de la BCE annonçant qu’elle allait sauver la Zone euro.

Ce qui nous amène à évoquer le second argument justifiant la dégradation annoncée la nuit dernière : la France et ses banques sont trop exposées en cas d’appel de fonds visant à secourir les pays du sud… la Grèce et l’Espagne en particulier.

Où la France trouverait-elle l’argent nécessaire alors que ses caisses sont déjà vides ?

Nous sommes bien d’accord et cela fait également partie de nos inquiétudes récurrentes. Mais attendez, il y a un détail qui nous chiffonne ! Moody’s semble donc considérer que ce risque (de refinancement des PIIGS) s’est accru au lieu de diminuer ces derniers mois, malgré les gesticulations de la BCE et les multiples déclarations triomphalistes du type « la crise est derrière nous ».

Qu’est-ce que Moody’s a bien pu identifier comme montée imminente des périls qui aurait échappé à la BCE, à la Commission de Bruxelles ainsi qu’à Angela Merkel et François Hollande ?

Nous en revenons donc à cette question centrale : qu’est-ce qui rendait la dégradation de la note française si urgente, alors que les tensions sur les emprunts italiens et espagnols se sont nettement atténuées depuis juillet dernier ?

Et la Grèce ? Ne lisons-nous pas chaque jour que l’Europe n’avait jamais été aussi près de trouver une solution au problème ? Le déblocage des 31,5 milliards d’euros promis tiendrait à quelques milliers de licenciements de fonctionnaires qu’Athènes refuse de consentir au FMI. Mais comme de toute façon il n’y a plus d’argent pour les payer, c’est comme s’ils n’existaient déjà plus, non ?

Pourquoi se torturer l’esprit avec toutes ces questions ? De l’avis général, si les marchés ont grimpé hier, c’est que l’avis de Moody’s n’a au fond plus guère d’importance, que ce soit un 19 novembre 2012 à 23h15 ou un 15 janvier 2013 à l’heure du café.

Nous ne sommes que partiellement convaincu. Imaginez qu’après les 1,4% perdus vendredi soir, les places européennes — et Paris en particulier — aient entamé la semaine en découvrant à 8h une dépêche annonçant que la signature de la France était abaissée à AA1… avec perspective négative.

Pensez-vous sérieusement que la séance de lundi se serait conclue par une hausse de 3% alors que le CAC 40 et l’Euro-Stoxx 50 venaient de casser des supports majeurs vendredi après-midi ?

Pensez-vous sérieusement que le CAC 40 a repris 2,9% dans un vide sidéral (en termes de volumes à l’achat comme à la vente) sans que ce mouvement soit minutieusement orchestré ?

Nous osons répondre « non » sans hésiter… mais nous restons ouvert à d’autres interprétations.

Un constat s’impose cependant à tous les observateurs. Les vendeurs de la première heure mardi matin ont de nouveau été pris totalement à contrepied en milieu d’après-midi. En effet, le CAC 40 et l’Euro-Stoxx 50 (0,6%) ont amplifié leur avance en fin de séance comme s’ils avaient eu l’assurance que Wall Street (qui reculait encore 0,25% vers 17h30) allait repasser dans le vert au cours des prochaines heures.

▪ Des statistiques immobilières irréalistes
Les investisseurs avaient pourtant accueilli avec scepticisme les (trop bonnes ?) statistiques de l’immobilier publiées à 14h30 : et il y avait de quoi !

D’après les chiffres publiés par le département du Commerce, tout se passe comme si l’ouragan Sandy avait soufflé très loin de la Côte est. Les mises en chantier de logements n’auraient absolument pas souffert de l’arrêt des activités dans l’est des Etats-Unis durant une bonne semaine fin octobre.

Le baromètre mensuel aurait progressé de 3,6%, atteignant un rythme de 894 000. Cela fait donc une hausse annualisée de 42% (un rêve d’agent immobilier !). Les permis de construire auraient par contre reculé de 2,7% à 866 000 unités par rapport au mois de septembre.

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