▪ Vous vous rappelez quand Mario Draghi, ancien de chez Goldman et désormais à la tête de la Banque centrale européenne, a promis de « tout faire » pour sauver la Zone euro ? Le problème qui se pose à lui est le suivant : que faut-il pour provoquer une vraie reprise ?
Pour commencer, quoi qu’il faille, Mario Draghi ne semble pas l’avoir. Ou peut-être que si. La situation en Europe est si compliquée que c’est difficile à dire. C’est peut-être pour cette raison que les investisseurs sont craintifs un jour et heureux le lendemain.
Le Telegraph disait en tout cas il y a quelques jours que M. Draghi avait bien quelque chose :
« M. Draghi s’est assuré la possibilité de recourir à des ‘opérations illimitées sur le marché libre’, bien loin des achats obligataires trompeurs et faits à contrecoeur ces deux dernières années. La BCE a au moins la permission d’agir avec une force écrasante, comme la Réserve fédérale américaine ».
« Une force écrasante », c’est ce qu’a à sa disposition Ben Bernanke, et on pense que c’est la réponse à tout. Mais est-ce suffisant ? Quelle force ont vraiment les banquiers centraux ? Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est fournir plus de liquidités et de crédit aux marchés. Mais même s’ils donnent tout ce qu’ils ont, ça ne suffira pas à causer une véritable reprise. Parce qu’on ne peut pas guérir une crise de la dette avec plus de dette. Si c’était le cas, personne ne se donnerait le mal de faire des cures d’austérité.
Les ménages, les gouvernements, les entreprises — confrontés à un excès de dette et un manque d’argent — doivent tôt ou tard s’amender, réduire leurs dépenses et apurer leurs mauvaises dettes.
D’un autre côté, nous n’avons jamais entendu parler d’un faussaire qui ne rembourse pas ses dettes. Dans la mesure où la banque de Ben Bernanke a le pouvoir d’imprimer de l’argent, les investisseurs ont tendance à lui donner un peu de mou, à lui et aux Etats-Unis. C’est parce qu’il a « une force écrasante ». Du moins lui donnent-ils un peu plus de mou qu’à la Grèce, par exemple. Lorsque la Grèce est dans le pétrin, elle fait défaut. Elle l’a fait plusieurs fois. La moitié de son histoire, depuis son indépendance en 1828, s’est déroulée dans la faillite. Mais quand les Etats-Unis sont dans le pétrin, eux, ils impriment !
Telle est la Théorie du Gros Bazooka, en deux mots — elle n’en mérite pas plus. Voici également une prédiction. Lecteur, prenez note : ce n’est pas la recette d’une économie saine. Pas plus qu’elle ne provoque de reprise. Ce n’est qu’une formule pour repousser le problème si loin que la plupart des investisseurs et des épargnants ne peuvent plus le voir et ne s’en inquiètent donc plus.
Quant à Mario Draghi, nous n’en savons rien. Il a peut-être le pouvoir d’utiliser une force illimitée. Ou pas.
Selon la théorie, le bazooka ne peut pas être simplement gros, il doit être infiniment gros. Parce que le seul moyen de retarder un défaut de paiement, c’est de promettre d’imprimer une quantité infinie de cash. Il faut aussi être sincère. Si vous vous contentez d’imprimer quelques centaines de milliards, les spéculateurs sortent leurs calculatrices. S’ils voient que vous êtes un peu serré, ils vendent vos obligations, craignant que vous fassiez faillite. D’autres spéculateurs les achètent alors à bas prix, pariant que vous imprimerez plus. Ensuite, quand c’est le cas, les prix grimpent en flèche et les spéculateurs revendent les obligations sur le marché…
… puis tout le processus se répète… jusqu’à ce que vous finissiez par faire défaut.
Tant que la quantité que vous imprimez est limitée, les spéculateurs peuvent anticiper le moment où elle s’épuisera. La seule manière de mettre fin à cette spéculation contre vos obligations est de dire : « ne vous donnez pas la peine de vendre mes obligations, j’en imprimerai une quantité infinie pour les protéger ».
Tout le drame disparaît alors. Les épargnants et les investisseurs veulent juste être certains qu’ils récupéreront leur argent. Votre volonté d’imprimer, sans aucune limite imposée par la loi ou le bon sens, les rassure.
En fait, dans le monde actuel, ils achèteront une telle quantité de vos obligations que vos taux d’intérêt chuteront sous le niveau de l’inflation des prix à la consommation (qui chute généralement aussi)… rendant le rendement réel négatif ! En d’autres termes, si vous acceptez d’agir comme un satané idiot, ils vous prêteront de l’argent sans exiger de véritable rendement.
Tout ça parce que vous serez « prêt à tout ».
C’est profondément étrange — mais très amusant.
Cela nous laisse toutefois avec une question : que faut-il pour provoquer une vraie reprise ?…
Meilleures salutations,
Bill Bonner
La Chronique Agora