** C’est une fois de plus Wall Street qui s’apprête à nous tirer du pétrin dans lequel les places européennes se débattent depuis lundi. L’Euro Stoxx 50 affichait jeudi soir pas moins de 4,5% de repli sur les quatre premières séances de la semaine ; Paris dévisse de 5,2% dans l’intervalle — calquant en apparence son évolution sur celle du Nasdaq.
Le CAC 40, qui s’est enfoncé jeudi sous le palier de soutien des 4 735/4 750 pour clôturer au contact des 4 720 points, semble n’attendre qu’une mauvaise surprise de plus pour retracer son récent plancher annuel des 4 505 points.
Aucune vague de rachats à bon compte ne s’est dessinée alors que l’indice flirtait avec les 4 680 points en milieu d’après-midi. De nombreux titres apparaissaient bradés mais le climat psychologique restait trop déprimé pour que quiconque — disposant de moyens conséquents — soit tenté de prendre des positions contrariennes, de manière à faire courir les vendeurs à découvert après le papier.
Jouer le marché à la baisse apparaît presque trop facile. Les opérateurs ont le sentiment que la Fed et la Banque d’Angleterre ont perdu la main alors qu’il s’avère impossible de forcer celle de la BCE. Celle-ci semble poursuivre un but qui va bien au-delà de sa mission officielle consistant à juguler l’inflation. Elle perçoit, en effet, que le moment n’a jamais été aussi favorable pour imposer l’euro comme monnaie de réserve mondiale aux dépens du dollar.
Sur le papier, le billet vert ne vaut théoriquement plus grand-chose. Précipiter sa chute face au yen ou à la monnaie unique risquerait, cependant, de faire éclater tout le système économique mondial. Il s’agit plutôt d’orchestrer une transition douce du pouvoir économique vers l’Europe puis l’Asie du Sud-Est, par nature moins belliqueuse que les Etats-Unis.
La réalisation d’un tel objectif vaut certainement de sacrifier durant quelques mois ou quelques trimestres la croissance et l’emploi en Zone euro. Une politique monétaire plus accommodante pourrait ralentir la chute de l’activité et adoucir les effets de la future récession qui se profile mais elle n’aurait en aucun cas le pouvoir de l’empêcher.
** Mais la question la plus immédiate que se posent à voix haute les marchés concerne le choix d’une stratégie pour les toutes prochaines heures ou les toutes prochaines séances. Faut-il conserver quelques blue chips en portefeuille ou tout liquider dans l’urgence et oublier la bourse et les actions tant que le CAC 40 n’aura pas rejoint les 4 350 puis les 3 820 points ?
Nous vous expliquerons bientôt pourquoi nous mentionnons ce dernier niveau-clé, mais avec 1 000 points de plus à perdre — enfin, plus que 900 points en clôture ce jeudi — nous avons le temps de vous révéler les raisons techniques et macro-économiques du choix de cet objectif.
Pour ne pas vous frustrer totalement en vous privant de toute piste, sachez seulement que nous avons attentivement étudié tous les épisodes correctifs d’une ampleur de 15% à partir d’un sommet indiciel moyen (six mois) ou long terme (trois à cinq ans) entre 1987 et 2007. Et nous n’avons pas trouvé trace d’une reprise du CAC 40 qui se déroule aussi mal depuis 20 ans.
Il existe une règle non-écrite, mais jamais démentie depuis l’avènement de la bulle du crédit — qui coïncide avec la prise de fonction d’Alan Greespan en août 1987. En effet, les banques centrales sont toujours parvenues à ressusciter le minimum d’espoir permettant aux marchés — occidentaux, il faut le préciser car le Japon est largement hors-jeu — de reconquérir ponctuellement un minimum de 50% du terrain perdu à l’issue du dernier épisode correctif.
Or, si tel avait été le cas, le CAC 40 aurait dû retracer les 5 082 points et refermer le gap laissé béant le 18 janvier dernier avant de retomber, tout aussi promptement, vers ses planchers — bien que ce cas de figure demeure fort rare puisqu’il ne s’est matérialisé à Paris qu’en janvier 1988 et en mars 2003.
Lorsqu’une reprise en « V » se dessine — comme nous l’avons observé depuis le 22 janvier — des défaillances et des rechutes aussi profondes que celle que nous venons de vivre ne s’étaient jamais produites. Tout du moins pas dans le cadre d’une reprise atteignant +10% après un épisode de capitulation des cours.
Ce genre de mouvement correctif à la hausse se déroule classiquement en deux temps, et les bears n’ont jamais eu l’occasion de rattraper les bulls afin de leur infliger un croc-en-jambe qui les fasse rouler dans la poussière avant qu’ils n’atteignent le sommet de la colline au « double sommet ».
Auraient-ils appris le maniement du lasso au cours des cinq dernières années de bull market ?
Nous constatons simplement que pratiquement aucun indice sectoriel, ni aucune valeur phare de la cote, n’a réussi à valider l’objectif le plus conservateur prévu par les chartistes depuis le 23 janvier dernier — en prenant comme référence la plus basse clôture et non le plancher intra-day du 22 janvier provenant de ventes paniques.
** La rechute des places européennes s’est nettement amplifiée ce jeudi sur l’annonce d’une timide réduction de 25 points du taux directeur de la Banque d’Angleterre (à 5,25%) alors que les marchés espéraient une baisse de 50 points de base.
La décision de la BCE de laisser son « Repo » inchangé à 4% n’est pas une surprise. Cependant, cet immobilisme indispose les marchés car la Fed, de son côté, a déjà assoupli sa politique monétaire de 125 points de base depuis le début de l’année. Elle pourrait même retrancher 50 points supplémentaires au mois de mars. Les économistes parient à 90% sur un statu quo en Europe jusqu’en juin, lorsque tous les signaux techniques seront au rouge.
J.C. Trichet concède que des incertitudes sur le rythme de la croissance sont apparues récemment et que le risque penchait du côté du ralentissement de l’activité. Un doux euphémisme 48 heures après la publication de l’ISM américain et du PMI des services allemand !
L’euro, qui décroche sous les 1,45 dollar, semble victime du rapatriement des capitaux vers les Etats-Unis par certains gérants américains. Ils délaissent une zone économique risquant de mettre du temps à ressortir de la récession compte tenu de la rigidité de la politique monétaire de la BCE et des handicaps structurels de nombreux pays de l’Union européenne.
Il n’est qu’à faire état du déficit commercial record de la France — 39,2 milliards d’euros en 2007 contre 28,24 milliards d’euros en 2006. Les exportations ont considérablement ralenti (+3% en 2007 après +9% en 2006) mais bien moins que les importations (+5,4% après +9,9% en 2006). Et la facture pétrolière, quoi que minorée par la vigueur de l’euro, plombe lourdement la balance.
La Chine et les dragons d’Asie restent les grands bénéficiaires de déficits en tous genres — c’est le prix à payer pour que les prix ne dérapent pas en Occident.
** Et ceci nous amène à réitérer l’argument que la BCE amuse la galerie lorsqu’elle se vante « d’ancrer sans faiblesses les anticipations inflationnistes »… alors qu’elle ne contrôlerait strictement plus rien depuis longtemps si la productivité chinoise n’absorbait pas le choc de la flambée des matières premières et de l’énergie.
Et si les places occidentales ont évité cette semaine une rechute sur les planchers du 22 et 23 janvier, c’est, une fois encore, grâce à un heureux hasard du calendrier. Shanghai était en effet fermée pour trois jours — et Hong Kong pour 48 heures — en l’honneur des festivités du Nouvel An lunaire avec l’avènement de l’année du Rat et l’amorce d’un cycle symbolique de 12 ans. Ces festivités ont permis d’éviter que nous nous réveillions jeudi avec un -7% à Hong Kong et un -10% à Shanghai.
Mais cela n’empêche pas qu’il risque de faire un temps de cochon le lundi 11 février pour le début de l’année du Rat — non seulement du point de vue météorologique mais également boursier.
Philippe Béchade,
Paris