** Certains de nos lecteurs s’interrogent sur le montant des pertes stratosphériques évoquées dans le titre de notre précédente Chronique, « Plaidoyer pour un CDR à 1 000 milliards de dollars ».
Aurions-nous une fâcheuse tendance à grossir le trait, à verser dans le sensationnalisme ?
Loin de nous de telles pratiques… et nos références chiffrées sont non seulement exactes — contrairement aux estimations fantaisistes, voire fallacieuses, du chômage publiées aux Etats-Unis ou en France — mais puisées aux meilleures sources.
Nous faisions référence à un rapport tout à fait officiel que le Fonds monétaire international a publié hier : « la crise des emprunts à risque aux Etats-Unis pourrait coûter au final près de 1 000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 640 milliards d’euros ».
Cela représente une bonne cinquantaine d’ardoises du Crédit Lyonnais, mais si les estimations de Merrill Lynch s’avéraient plus proche de la réalité, les subprime ne coûteraient que 30 CDR au système bancaire international.
Exprimé en « faillite des caisses d’épargne » américaines au milieu des années 80 — à l’époque, les Etats-Unis sont passés très près du chaos — l’échelle est de un à deux.
L’encours de prêts consenti par les Savings & Loans était, à l’époque, de 1 300 milliards de dollars ; les pertes totales dépassèrent les 300 milliards de dollars, échelonnés sur 30 ans pour le contribuable américain — qui finira de régler la facture en l’an de grâce 2020.
** Et vous souvenez-vous de ce qu’il advint du dollar entre l’éclatement de la crise en 1984 et la faillite de Drexel Burnham en 1990 suite à l’incarcération de son trader vedette, le roi des junk bonds, Michaël Milken ?
Et bien le dollar perdit précisément la moitié de sa valeur face au franc français — il chuta de 10,2 FF jusque vers 4,95 FF — et plus de deux tiers face au puissant deutschmark !
Depuis l’éclatement de la crise des subprime, combien le dollar a-t-il perdu face à l’euro ? Vous connaissez par coeur la réponse : tout juste 20%… une broutille !
Nous ajouterons, pour recadrer un peu l’histoire de la débâcle des Savings & Loans, que tout était parti de l’incapacité du Mexique à rembourser, à partir de 1982, sa dette — contractée à des taux d’intérêt supérieurs à 15% — auprès de ses créanciers américains. Pour rattraper le coup, et alors que la Fed avait décidé d’abaisser fortement le loyer de l’argent (le dollar à 10 FF, ce n’était plus tenable), les caisses d’épargne s’étaient mises à prêter à tout va à leurs concitoyens américains. Elles alimentèrent ainsi le gonflement d’une bulle de dettes à haut risque, lesquelles se virent rapidement affublées du tristement célèbre sobriquet de junk bonds.
** Les banques américaines viennent de nous rejouer la même partition, avec la complicité active d’Alan Greenspan — qui nie farouchement toute erreur de dosage des taux de 2002 à 2004 — et avec une composante originale et d’une redoutable efficacité en termes de démultiplication de la puissance destructrice de l’argent fou : les dérivés de crédit, CDO, ABS, CDS et autres bombes à retardement exotiques dont vous n’ignorez plus rien à force de nous subir !
Tout comme ce fut le cas 20 ans auparavant — le temps que se reconstitue une génération d’émules d’Yvan Boeski et de Michael Milken –, la crise actuelle trouve son origine dans les débordements de spéculation encouragés par la baisse des taux.
Les Etats-Unis ne sont pas tirés d’affaire. Selon la NAR, la principale association d’agents immobiliers américains, les réservations des particuliers, ou promesses de vente, sont ressorties en recul de 1,9% au mois de février ; elles accusent une chute de 21,4% en rythme annuel.
Les maisons valant plus de 400 000 $ ont du mal à trouver preneur compte tenu de la pénurie de jumbo loans (emprunts supérieurs à 350 000 $) aux Etats-Unis à cause de la frilosité des banques au premier trimestre 2008.
La situation devrait s’améliorer au second semestre — on peut toujours rêver. Cependant, les prix médians devraient reculer de 1,4% à 1,5% en 2008, toujours selon la NAR.
** La dégradation conjoncturelle dans le secteur de l’immobilier devient globale ; le second pays le plus exposé à une correction de grande ampleur est l’Angleterre. Selon une enquête d’Halifax, la banque classée numéro un du crédit aux particuliers outre-Manche, les prix des logements résidentiels ont brusquement chuté de 2,5% en mars, contre un recul de 0,5% anticipé. Ce mouvement était prévisible après 170% de hausse en 10 ans.
La City espère un nouvel abaissement de 25 points du taux directeur de la Bank of England dès demain, ce qui le ramènerait à 5%.
Au-delà des Pyrénées, après avoir assisté à la fermeture de 40 000 agences immobilières en 2007 et constaté que des centaines de milliers d’emprunteurs espagnols sont menacés de la saisie de leur logement, on a réagi. Le premier ministre, José Luis Zapatero, a annoncé la mise en oeuvre d’une série de mesures de relance dans la construction notamment et de stimulation fiscale de la consommation avec des déductions de 400 euros par contribuable assujetti à l’impôt sur le revenu.
Cela n’a pas suffi à soutenir Madrid qui s’est replié de 1,15%. La place espagnole a ainsi perdu deux fois plus de terrain que l’Euro Stoxx 50 (-0,55%) ou que Paris, qui limite son recul grâce à un sursaut de 10 points d’indice à la dernière minute à -0,65%, soit un score de 4 912 points en clôture.
** Le CAC 40 n’a pu échapper à une consolidation après le test des 4 960 points le 7 avril dernier (+12% en trois semaines), avec pas moins de 90% de titres en repli. Le CAC 40 se maintient cependant aisément au-dessus des 4 900 points. Il n’a pas eu à éprouver la solidité du support court terme des 4 850 points pour rebondir, puisque la consolidation ne s’est pas prolongée en-deçà des 4 880 points.
L’étroitesse des volumes — avec tout juste quatre milliards d’euros échangés — démontre que le flot des mauvaises nouvelles ne motive plus les vendeurs. A contrario, nous redoutons que la première éclaircie sur le front des chiffres macroéconomiques ou des résultats trimestriels — attention à la déferlante qui s’annonce dès le début de la semaine prochaine aux Etats-Unis — ne marque la fin d’un état de grâce contrarien.
Et pour finir, cette petite question anodine : comment la City de Londres — qui se réjouit d’entendre les investisseurs scander depuis 15 jours le slogan « la crise est finie »– va-t-elle encaisser une correction de 30 à 40% de l’immobilier au cours des trois prochaines années alors que le simple plafonnement des prix de l’immobilier des bords de la Tamise aux faubourgs de Newcastle a déjà fait capoter Northern Rock ?
Philippe Béchade,
Paris