La Chronique Agora

Tant que les "spolitiques" sont à l’oeuvre, ne lâchez pas votre or

Les Etats-Unis inondent les marchés d’argent facile depuis des mois, comme je le disais hier. Mais cette politique de la fuite en avant a de nombreux défauts…

▪ Elle affaiblit le marché de la dette souveraine et dope l’or depuis deux ans

70% des émissions obligataires souveraines US (treasuries) sont achetées par la Fed à coup de planche à billets. La Fed finance ainsi la dette américaine, Wall Street et le train de vie des Américains. Bernanke signe les chèques sans sourciller, depuis des mois. Mais ce sont des chèques en bois. Des chèques en monnaie de singe. Du vent…

Et chaque chèque signé est un coup de poignard dans le dos du dollar.

Alors je vous demande franchement : peut-on ainsi maintenir la confiance dans le dollar ? La réponse est non puisque les investisseurs se dopent à l’or et délaissent les bonds depuis des mois et des mois

▪ Pensez-vous sérieusement que les investisseurs vont aujourd’hui changer d’avis ?

Qu’ils vont lâcher l’or pour revenir vers le dollar et la dette américaine ? Permettez-moi d’en douter.

Est-ce que les risques et dangers qui pesaient sur la dette américaine ont disparu ? Est-ce que les finances américaines s’assainissent ? Sommes-nous à l’aube d’un rebond majeur et justifié du dollar et de l’économie américaine ? Assiste-t-on à une tendance haussière forte de la croissance du PIB américain ? A une résorption du chômage ? Les fondamentaux ont-ils depuis 10 jours à ce point changé ?

Non. Aucun des dangers auxquels les Etats-Unis sont confrontés n’ont été résolus. Si le dollar donne l’impression de « monter », c’est que Trichet nous joue des tours avec sa hausse de taux avortée, et que Ben fait ponctuellement faire une pause à sa planche à billets en surchauffe. Ce ne sont pas les fondamentaux qui changent…

La dette est toujours là. Ménages, municipalités et Etat restent endettés. Et cette dette doit être payée d’une façon ou d’une autre.

▪ Il n’y a pas trente-six façons de payer une dette

Rouge : vous la payez effectivement. Et là il faut une bonne dose de croissance du PIB pour assurer des rentrées fiscales fortes, la résorption du chômage et une hausse des salaires. Etat et ménages pourront ainsi payer leurs dettes

Noir : vous vous dites que finalement, un peu d’inflation et hop… tout ça partira bien en fumée. Solution de facilité, qui fait un dégât collatéral majeur : le dollar.

A vous de voir…

Je joue noir. Et m’attends à un petit shoot de QE3 sur 2012. Les »spolitiques » ne se laisseront pas étouffer budgétairement par l’inévitable hausse des taux, année électorale oblige.

 

[Isabelle Mouilleseaux rédige chaque jour l’Edito Matières Premières & Devises, dont cet article est extrait. Cette lettre internet gratuite est consacrée au marché des matières premières et au marché des devises. Passionnée depuis toujours par la Bourse et par tous les marchés financiers, Isabelle s’est spécialisée dans les matières premières et veut permettre à l’investisseur particulier de découvrir et de comprendre l’investissement sur ce marché, ainsi que celui du Forex.]

Première parution dans l’Edito Matières & Devises du 13/05/2011.

 

L’inflation actuelle est de la pire espèce

Bill Bonner

▪ Nous séjournons au Peace Hotel à Shanghai. C’est un magnifique bâtiment Art Déco, juste sur le Bund. Nous avons quitté l’hôtel hier soir pour aller dîner à quelques rues de là. Lorsque nous avons vu la ville se découper de l’autre côté de la rivière, nous en avons eu le souffle coupé.

« On se croirait dans le futur », a déclaré Jules. « On s’attendrait presque à voir apparaître une voiture volante ».

Tout est illuminé — y compris les bateaux qui montent et descendent la rivière.

En comparaison, Paris est morose et prévisible. New York est ennuyeux et usé. Le panorama nous a fait beaucoup plus penser à Londres. Là aussi, les bâtiments sont illuminés, on a la même sorte de vue sur la Tamise. Et Londres compte elle aussi des bâtiments frappants et nouveaux.

Mais par rapport à Shanghai, Londres est petit… et lent. La ville fait partie du « vieux monde ». Cela semble en être un nouveau.

Shanghai n’est pas bon marché. Le dîner pour un groupe de six personnes, dans un restaurant pas vraiment haut-de-gamme sur le Bund, nous a coûté 900 $. Notre chambre d’hôtel est à environ 300 $ la nuit. Et l’immobilier ? Les chiffres sont contradictoires. Shanghai était récemment la ville la plus en vogue dans l’économie la plus brûlante au monde. Le gouvernement a tenté de calmer le marché de l’immobilier en Chine — avec quelque succès. Les ventes ont chuté de 70% environ entre le début et la fin de 2010. Les prix ont baissé de 30%.

Et maintenant ?

« C’est bien le problème, avec la Chine », a déclaré un lecteur venu assister à notre cocktail samedi soir. « Lorsqu’on vit en Occident, on peut penser qu’on sait ce qui se passe… mais lorsqu’on vit en Chine, on réalise qu’on n’en a pas la moindre idée ».

▪ Reportons donc notre attention sur les Etats-Unis, au sujet desquels nous n’avons pas non plus la moindre idée… mais beaucoup d’opinions.

Nous avons essayé de nous mettre dans l’esprit de la « reprise ». Impossible d’y arriver. Cette histoire de reprise a toujours été bidon. Alors où se cache la vérité ?

Pour autant que nous puissions en juger, plusieurs histoires se mêlent :

  1. La Grande Correction — dans bon nombre d’économies développées, mais principalement aux Etats-Unis…
  2. La hausse continue des économies en développement… pas seulement en Asie, mais aussi en Amérique latine et en Afrique.
  3. La pénurie croissante d’énergie, de terres, d’eau et de  matières premières bon marché.
  4. Le déclin (suicide serait peut-être un meilleur terme) de l’Empire américain.
  5. La fin proche du système financier mondial basé sur le dollar.

Il en reste probablement quelques-unes que nous oublions de mentionner. Chacune prise isolément pourrait être relativement simple à déchiffrer et prédire. Mais elles fonctionnent ensemble… et en porte-à-faux. Difficile de comprendre ce qui se passe vraiment… et ce qui le provoque.

La correction pèse généralement sur les prix, par exemple. Mais la grande expansion des pays en voie de développement tend à les augmenter.

Autre chose pèse aussi sur les prix — les autorités. Les Etats-Unis contrôlent la devise de réserve mondiale. Et ils travaillent dur à gonfler la masse de dollars dans le monde. Cela devrait aussi finir par faire grimper les prix.

Le problème, avec l’inflation actuelle, c’est qu’elle est de la pire espèce : elle augmente les prix… mais pas les revenus, du moins pas aux Etats-Unis. Les revenus s’accroissent en Asie. Les gens peuvent donc y acheter plus de voitures et plus de viande — et faire grimper les prix. Les Américains paient donc des prix plus élevés… tandis que leurs revenus n’augmentent pas.

Pourquoi leurs revenus ne grimpent-ils pas ? Parce que les Etats-Unis traversent une Grande Correction. Ils ont trop dépensé et trop emprunté durant les années de boom/bulle. A présent, ils en paient le prix. Voilà pourquoi on y construit si peu de maisons : les maisons de demain ont été construites hier. Et c’est pourquoi on emprunte et dépense si peu d’argent aujourd’hui ; il a déjà été dépensé.

La Fed semble n’avoir pas la moindre idée de ce qui se passe vraiment — c’est probablement intentionnel. Elle essaie de combattre la correction en émettant plus de crédit et en imprimant plus de dollars — comme s’il n’y en avait pas déjà bien assez. Cet argent supplémentaire fait grimper les prix plus encore, aggravant la douleur des Américains.

▪ Aucun homme n’a jamais autant augmenté les profits de l’industrie militaire américaine… ou les pertes financières américaines. On pourrait croire qu’il aurait été traité avec un peu plus de respect. Une plaque sur les terrains d’entraînement de l’armée privée Blackwater, en Caroline du Nord, par exemple. L’entreprise a gagné des centaines de millions de dollars grâce à la guerre contre la terreur ; elle pourrait montrer un peu de reconnaissance à l’homme censé l’avoir déclenchée.

Mais nous avons découvert que non seulement il a contribué à mettre deux empires à terre — l’Union soviétique et les Etats-Unis (une prédiction, non un fait) –, mais il aimait aussi regarder des images coquines. L’équipe chargée de le tuer a découvert une pile de magazines pornographiques dans la maison d’Oussama ben Laden. Hmmm.

Et tiens : le président du FMI a été arrêté à New York suite à des accusations de viol. Hmmm. Il aurait violemment attaqué une femme de chambre dans un hôtel. Hmmm. Il était considéré comme le principal candidat susceptible de résister à Nicolas Sarkozy lors des prochaines élections présidentielles. Hmmm.

Hmmm…

Pour autant que nous en sachions, ces deux histoires sont entièrement vraies.

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DSK : un scénario médiatico-judiciaire qui viole la présomption d’innocence

Philippe Béchade

▪ C’est la première fois qu’un homme appartenant au premier cercle des puissants de ce monde (ou au septième cercle, selon la façon d’aborder ce classement) devient l’objet — et le sujet — d’un scoop hégémonique sur l’ensemble des chaînes de télévision occidentales.

Il ne nous appartient pas de juger de la solidité de l’accusation ni de la gravité des faits reprochés au patron du FMI (victime d’un complot ou en proie à une pulsion incontrôlable ?).

Toutefois, on ne peut qu’être confondu par l’immédiateté et l’ampleur de la publicité accordée à une arrestation motivée par une présomption de culpabilité établie avec une singulière célérité par la justice américaine. Cela avant même que des tests ADN aient apporté la moindre confirmation du scénario figurant dans l’acte d’accusation.

Imaginons un seul instant le scénario inverse. Si un membre éminent du FMI de nationalité américaine — de surcroît favori pour l’accession à la Maison Blanche — avait fait l’objet d’accusations similaires lors d’un passage à Paris, la police française se serait-elle empressée de battre le rappel de la presse après une interpellation à Roissy dans un avion en partance pour Washington ?

L’affaire serait certainement considérée comme trop sensible et le soupçon d’une machination trop important. On peut penser que le délit était clairement avéré aux yeux des enquêteurs, pour que la nouvelle soit lâchée dans les médias avant que tous les doutes soient levés… après que l’ADN ait « parlé ».

Par ailleurs, le souci de protéger temporairement l’institution (le FMI) et les relations franco-américaines supposerait un minimum de concertation avant de révéler ce qui ne saurait être étouffé plus de quelques heures au nom de la raison d’Etat.

Le déroulement de l’affaire DSK constitue l’antithèse absolue du principe de la présomption d’innocence en vigueur dans l’Hexagone.

Et que dire du principe de précaution consistant à refuser le versement d’une caution pour l’incarcérer préventivement afin d’éviter qu’il ne file à l’anglaise, déguisé en simple escroc venant vendre ses subprime et ses CDO pourris en Europe…

▪ En l’occurrence, la forme de l’arrestation pourrait être encore plus révélatrice que le fond. L’Amérique puritaine (qui réprouve beaucoup plus sévèrement les affaires de moeurs que les guerres scélérates) n’a pas pardonné le soutien de l’intelligentsia française à Roman Polanski.

Nous assistons à un véritable programme de télé-réalité qui abolit tout recul. La vision des menottes y équivaut — pour un public qui a coupé le son de la télé — à une preuve de culpabilité qui rend presque inutile le réquisitoire implacable d’un procureur habité par son intime conviction.

Une fois encore, j’ose à peine imaginer le ressentiment du peuple américain si la justice française infligeait une telle humiliation publique au favori de la prochaine élection présidentielle américaine : la forme l’emporte largement sur le fond.

Une telle forme ne nous serait jamais pardonnée par notre allié américain (au nom du respect pour la famille du prévenu, au nom d’une amitié historique, etc.) — quand bien même le dossier à charge serait aussi accablant que le mensonge officiel concernant les armes de destruction massive irakiennes.

Quelle que soit l’issue de l’affaire — imaginons même une disculpation –, c’est cette image d’un directeur du FMI menotté qui restera gravée dans la mémoire collective américaine. Les tabloïds (la presse caniveau américaine) se déchaînent sans retenue contre le président du FMI et nul ne se souciera des détails d’un procès appelé à durer des semaines.

Si jamais DSK devait être disculpé, cela empoisonnera les relations franco-américaines pour des décennies : rien de bon ne sortira d’un tel procès, quel qu’en soit le verdict.

▪ La thèse de la machination semble peu plausible (mais peut-on l’exclure formellement ?). Cependant, la récente fausse affaire d’espionnage chez Renault, les accusations calomnieuses dont fut victime Dominique Baudis ne surgirent pas en quelques heures. Les pseudo-faits délictueux en question remontaient à plusieurs semaines, voire à plusieurs mois… pas au dernier quart d’heure écoulé.

Mais une fois que les médias s’emparent d’un dossier, le déferlement des images et des témoignages plus ou mois orientés occulte cette question majeure : que sait-on vraiment ?

▪ Ce que les marchés savent déjà, c’est que le rapport de force vient de basculer entre la France et l’Allemagne dans les négociations visant au renflouement de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande.

L’implication du FMI (et de son patron) constituait la clé de voûte des divers plans de sauvetage à l’étude, dont certaines grandes lignes devaient être adoptées dès ce lundi 16 mai à Berlin.

La France vient de perdre une pièce maîtresse dans le dossier grec. Ce qui est probablement pire — alors que J.-C. Trichet achève son mandat fin octobre –, c’est qu’elle a également perdu la possibilité de placer un représentant influent à la tête d’une grande institution financière internationale avant très longtemps.

▪ Comment les marchés d’action ont vécu cette saga judiciaire, cela relève de l’anecdote. Il s’agit d’un simple fait divers qui apporte une part d’incertitude supplémentaire sur la gestion du dossier de la dette des pays périphériques.

Wall Street en a d’ailleurs relativisé l’impact durant la première moitié de la séance, avant de basculer de plus en plus franchement dans le rouge en seconde partie. Si le Dow Jones ne cède que 0,38%, le S&P lâche 0,62% et le Nasdaq décroche de 1,62% à 2 782 points pour en terminer au plus bas du jour.

S’il en avait été ainsi à 17h30, le CAC 40 (-0,72% au final) n’aurait certainement pas repris la moitié du terrain perdu au cours des deux dernières heures de la séance.

Parmi les causes potentielles du repli de Wall Street, citons deux mauvais chiffres : l’indice Empire State de la Fed de New York plonge de 21,7 vers 11,9 ; et le baromètre immobilier de la NAHB stagne sur son plancher historique de 15 pour le cinquième mois consécutif.

Mais nous savons bien que Wall Street a été bien plus perturbé par une annonce du Trésor américain qui planait comme l’épée de Damoclès depuis des semaines. Le gouvernement n’alimentera plus que partiellement les caisses de retraite de fonctionnaires, la limite légale de la dette publique américaine ayant été atteinte à la mi-journée lundi.

C’est donc un premier acheteur structurel d’action qui se retrouve contraint de lever le pied… et ce ne sera pas le dernier si les Chinois donnent un nouveau tour de vis monétaire pour maîtriser leur inflation.

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