La Chronique Agora

Survivre aux fluctuations de marché (1/2)

Washington DC - US - Mar 22, 2024 A black and white of people waiting in a bread line from the Great Depression, a part of the Franklin Delano Roosevelt Memorial, located on the Tidal Basin.

Les marchés traversent une zone de turbulence. Entre récessions, dépressions et krachs, il devient essentiel pour les investisseurs de distinguer les cycles économiques passagers des crises profondes et structurelles.

Les investisseurs sont nerveux.

Est-ce le moment de paniquer ? Pour faire court, non.

La panique n’est jamais une bonne idée : elle engendre des prises de décision calamiteuses. Même si les autres sont en mode panique, ce n’est jamais la solution pour vous.

Mais le temps est peut-être venu d’être prudent, d’alléger les compartiments actions, d’accroître la liquidité et de diversifier votre portefeuille.

Ce sont souvent de bonnes idées.

Un passage en revue de l’histoire de la finance suggère que ces stratégies pourraient être utiles, en ce moment.

Sur les marchés financiers, les investisseurs peuvent perdre de l’argent de nombreuses façons qu’il est important de comprendre, mais dont les effets et la durée varient. Et il vaut mieux cerner ces différences si vous voulez ajuster votre portefeuille en conséquence.

Identifier la crise

Les récessions, les dépressions, les krachs, les paniques et les crises monétaires sont tous difficiles à vivre et tous différents.

Une récession se définit ainsi : deux (ou plus) trimestres de baisse du PIB, s’accompagnant normalement d’autres critères, comme une hausse du chômage. Aux États-Unis, les récessions sont déclarées (« après coup ») par un petit comité au sein du National Bureau of Economic Research (NBER), un think-tank indépendant situé à Cambridge (Massachusetts).

Aux Etats-Unis, on a constaté 15 récessions techniques depuis 1929. La plus longue fut la Grande Dépression (1929-1933) et la plus courte celle de la pandémie de COVID (deux mois en 2020). La plus forte baisse du PIB a été enregistrée au cours de la Grande Dépression : 21,3 %. Curieusement, la deuxième baisse majeure est intervenue au cours de la plus courte récession (en 2020), où le PIB a chuté de 19,2 %.

Il n’est probablement pas très utile d’intégrer à la liste cette récession de 2020 liée au COVID, dans la mesure où l’économie a été « fermée » par décret gouvernemental sur la base des préconisations des Centers for Disease Control.

Les Etats-Unis se sont rapidement remis de cette récession.

La grande récession de 2007-2009 constitue probablement un meilleur exemple. Elle a duré 18 mois, et le PIB réel a chuté de 5,1 %. Elle a duré davantage que toute autre récession survenue depuis la Grande Dépression, bien que le PIB n’ait pas chuté autant qu’au cours de la récession de 1937 (-18,2 %) ou de celle de 1945 (-12,7 %).

Si l’on met de côté la Grande Dépression, la grande récession et 1937, 1945 et 2020, les dix autres ont entraîné des baisses de PIB comprises entre 0,3 % (2000) et 3,7 % (1958).

Autrement dit, ce n’est pas bien, mais ce n’est pas non plus calamiteux.

Le rebond

La bonne nouvelle, à propos des récessions, c’est que l’économie rebondit.

A partir d’un certain plus bas, les investisseurs recommencent à acheter des actions, les chefs d’entreprises à recruter, les consommateurs à dépenser, les banques à prêter. Et la croissance reprend. Et, en plus, elle renoue avec la tendance enregistrée avant la récession.

En effet, la croissance post-récession reste supérieure à la tendance, du fait d’une sous-utilisation de la main-d’œuvre et des capacités, jusqu’à ce que l’ancienne ligne tendancielle soit retrouvée.

Ensuite, les choses reviennent à la normale. Les récessions sont pénibles sans être de véritables catastrophes. Elles correspondent à des différences de timing entre des baisses temporaires (la récession), des surperformances temporaires (la reprise) et un retour éventuel à la normale (la ligne tendancielle).

Il existe une exception notoire à cette règle du « retour à la normale » : lors de la grande récession de 2007-2009, la croissance a nettement chuté et fini par reprendre, mais sans renouer avec la ligne tendancielle pour autant. Une nouvelle ligne tendancielle « plus plate » s’est installée.

Les dépressions : une lente progression

Ce que l’on ne comprend pas du tout, ce sont les dépressions.

Les investisseurs lambda partent du principe que, puisqu’une récession correspond à deux trimestres consécutifs (ou plus) de baisse du PIB, et qu’une dépression est pire qu’une récession, alors les dépressions devraient impliquer quelque chose comme dix trimestres de baisse du PIB.

Mais ce n’est pas ainsi que se passent les dépressions.

En période de dépression, on peut enregistrer de la croissance, mais elle est tout simplement inférieure au potentiel de croissance.

Si le potentiel de croissance est de 3,5 % et la croissance réelle de 1 % seulement, alors c’est un contexte de dépression. Selon John Maynard Keynes, la dépression est une période prolongée de croissance inférieure à la croissance tendancielle, sans aucune tendance vers un retour à la croissance potentielle, ni vers un effondrement.

Les économistes grand public ne parlent même pas des dépressions, ou alors seulement au passé. Comme elles n’ont pas de définition chiffrée, contrairement aux récessions, elles ne peuvent pas être intégrées dans des équations. Par conséquent, elles n’existent pas.

Mais évidemment, elles existent. Le déni des économistes, qui se trompent à peu près sur tout, ne change pas la réalité.

La Grande Dépression est un bon exemple.

Si l’on se base sur les indicateurs de récession, les Etats-Unis ont été en récession de 1929 à 1933, et à nouveau de 1937 à 1938. On peut considérer ces deux événements comme des récessions techniques, mais il est plus logique de considérer toute la période de 1929 à 1940 comme une grande dépression.

De la croissance a été enregistrée de 1934 à 1936, et les actions se sont appréciées. De la croissance a également été enregistrée de 1938 à 1939. Mais il a fallu attendre 1940 et l’accélération de la production dans le contexte de la seconde guerre mondiale pour qu’elle renoue avec son plein potentiel.

En ce qui concerne les actions et l’immobilier, on n’a pas renoué avec les plus hauts de 1929 avant 1954, soit 25 ans plus tard. C’est ça, une dépression.

Si l’on prend en compte cette définition, on commence à voir d’un autre oeil les données de certaines récessions techniques. Toutes les récessions n’interviennent pas dans le cadre d’une dépression, mais il est tout à fait possible d’avoir de multiples récessions au cours de dépressions prolongées.

La Grande Dépression de 1929-1940 l’illustre très bien, mais il existe de nombreux autres cas.

Le Japon, qui évolue dans un contexte de dépression depuis 1990, a connu neuf récessions techniques dans cet intervalle de 35 ans. Les récessions techniques pénalisent la production et l’emploi, mais ne sont pas le pire danger menaçant l’économie japonaise.

Cette longue dépression et l’incapacité du Japon à revenir à la croissance tendancielle enregistrée de 1950 à 1990 représentent un danger bien plus grave.

La plus longue dépression de l’Histoire des Etats-Unis a débuté lors de la crise de 1873. Les historiens ne sont pas d’accord sur la question de savoir si elle s’est achevée en 1879 ou en 1885, ou même avec la crise de 1896. Si l’on retient cette date de fin, la longue dépression aurait donc duré 23 ans.

Cette période a été ponctuée d’une récession – de 1882 à 1885 – où la croissance a chuté de 32,8 %. Une autre récession a duré de 1887 à 1888, avec une chute de 14,6 % de la croissance. Une troisième récession, survenue de 1890 à 1891, a provoqué une chute de 22,1 % de la croissance.

Puis la croissance s’est effondrée de 37,3 %, lors de la crise de 1893, et à nouveau de 25,2 % lors de la crise de 1896.

Il est intéressant de noter que la longue dépression a été marquée par des innovations technologiques fantastiques telles que le chemin de fer, les engins industriels, le téléphone, le cinéma, la photographie, le phonographe, l’électricité et les moteurs à vapeur, entre autres.

La longue dépression, qui a été violente pour les agriculteurs, les débiteurs et la plupart de ceux qui avaient investi en Bourse, a offert énormément aux inventeurs, entrepreneurs et consommateurs, ainsi qu’à ceux qui investissaient dans ces nouvelles technologies.

Si l’on considère la dépression comme une longue période de faible croissance ponctuée de récessions techniques, alors il faut reconsidérer la période qui s’est amorcée en 2007.

Les économistes affirment que nous avons été en récession de 2007 à 2009, et à nouveau pendant la pandémie de 2020 (bien que sur une très courte période).

En fait, les Etats-Unis traversent une dépression depuis 18 ans : elle a débuté en 2007, s’est prolongée jusqu’en 2025… et on n’en voit pas la fin.

Ces deux récessions techniques ont été suivies d’une faible croissance qui n’a pas renoué avec la croissance tendancielle antérieure à 2007.

Nous verrons dans notre prochain article que les Etats-Unis évoluent vers un régime de croissance molle, où la fragilité du crédit et l’effet de levier peuvent déclencher des crises soudaines — d’où la nécessité d’un portefeuille solide.

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