La Chronique Agora

La stabilité des prix est-elle réellement une bonne chose ? (2/2)

stabilité des prix

Pour déterminer comment les prix ont évolué d’une période à l’autre, il faut utiliser des outils statistiques comme les indices de prix à la consommation, dont le fameux « panier de la ménagère ». Mais qu’est-ce que ce panier mesure vraiment ?

Comme nous l’avons vu hier, viser la stabilité des prix peut a priori sembler une bonne chose. En effet, si le niveau général des prix varie fortement, il est plus dur de déterminer dans quel sens évolue la demande de certains biens ou services, et donc leurs prix relatifs. Ce qui risque d’entraîner une mauvaise allocation des ressources dans l’économie.

Cette idée se base sur la théorie de la neutralité de la monnaie, qui nous explique que, peu importe la quantité de monnaie injectée dans l’économie, une certaine quantité de biens vaudront toujours la même quantité d’un autre bien (par exemple, deux patates pour une pomme).

Cependant, cette théorie est invalidée par l’effet Cantillon : certains agents économiques recevront une partie de cette quantité de monnaie en premier, et l’utiliseront pour acheter plus de leur bien préféré. Ce qui affectera la demande relative des deux biens, et donc leur prix relatif.

Les failles des indices de prix à pondération constante

Si un euro s’échange contre une miche de pain, alors on peut affirmer que le pouvoir d’achat d’un euro est une miche de pain. Si un euro s’échange contre deux tomates, alors cela signifie que le pouvoir d’achat d’un euro est également de deux tomates.

Les données relatives au pouvoir d’achat de la monnaie pour des marchandises spécifiques ne permettent cependant pas de déterminer le niveau global du pouvoir d’achat de la monnaie. Cela est impossible étant donné que les deux tomates et la miche de pain ne peuvent pas s’additionner.

Nous ne pouvons déterminer le pouvoir d’achat de la monnaie que par rapport à une marchandise spécifique dans le cadre d’une transaction à un moment donné et dans un lieu donné.

Pour résoudre ce problème, les économistes utilisent des indices de prix… Ce qui crée d’autres écueils.

L’utilisation d’un indice des prix à pondération constante semble offrir une solution permettant de contourner le problème du calcul direct de la moyenne des prix. Grâce à ce genre d’indices, si l’on en croit leurs défenseurs, il serait possible de déterminer les variations du pouvoir d’achat global de la monnaie. L’exemple suivant illustre bien le fonctionnement d’un indice des prix à pondération constante.

Admettons qu’au cours de la première période, Tom ait acheté cent hamburgers pour 2 € chacun. Il a également acheté cinq chemises pour 20 € chacune. Ses dépenses totales au cours de la première période représentent donc 300 € (2 €*100+20 €*5=300 €). Notez bien que la pondération des hamburgers dans les dépenses totales représente ici 67%, tandis que celle des chemises représentent 33%.

Au cours de la deuxième période, chaque hamburger coûte désormais 3 €, soit une augmentation de 50%, tandis que les chemises se vendent pour 25€ l’unité, soit une augmentation de 25%. En appliquant les mêmes pondérations qu’au cours de la première période pour le calcul de l’indice des prix, autrement dit en supposant que les habitudes de consommation sont restées inchangées, nous pouvons constater que le pouvoir d’achat de l’argent de Tom a diminué de 41,7 % : 50%*0,67 + 25%*0,33 = 41,7%.

Si nous faisions l’hypothèse que les habitudes de consommation de Tom sont représentatives de celles d’un consommateur moyen, alors nous pourrions dire que le pouvoir d’achat global de la monnaie a diminué de 41,7%.

Vos préférences sont-elles figées ?

Les statisticiens travaillant pour le gouvernement mènent périodiquement des enquêtes approfondies afin d’établir la répartition des dépenses d’un consommateur « typique » ou « moyen ». Les pondérations obtenues par ce biais servent ensuite à déterminer les variations du niveau général des prix et donc du pouvoir d’achat de la monnaie.

L’hypothèse selon laquelle la répartition des dépenses des consommateurs resterait constante sur une période de temps prolongée n’est toutefois pas réaliste. Elle suppose en effet que les préférences des individus demeurèrent figées, comme s’ils étaient des robots. Selon Mises, dans un monde aux préférences figées, l’idée que le pouvoir d’achat de la monnaie puisse fluctuer est incohérente. [1]

De plus, d’après Murray N. Rothbard :

« Il n’existe que des acheteurs individuels et chacun de ces acheteurs a des habitudes de consommation différentes en termes de quantité et de type de marchandises achetées.

Lorsqu’une personne choisit d’acheter un téléviseur pendant qu’une autre préfère aller au cinéma, chacune de ces décisions est le résultat d’échelles de valeur différentes, et chacune nécessite des ressources différentes. Il n’existe pas ‘d’individu moyen’ qui n’achèterait qu’un morceau de téléviseur et n’irait voir qu’une partie d’un film au cinéma. La notion de ‘ménagère moyenne’ qui achèterait une proportion donnée d’un ensemble de marchandises n’a donc pas de sens.

Les marchandises ne sont pas échangées dans leur totalité contre une certaine somme d’argent, mais seulement par des individus dans le cadre de transactions individuelles, par conséquent il ne peut y avoir de méthode scientifique permettant de les combiner. » [2]

L’opinion selon laquelle un indice des prix à pondération variable serait plus réaliste et permettrait d’obtenir une estimation du pouvoir d’achat de la monnaie plus proche de la réalité passe à côté de l’essentiel.

Les prix ne sont pas affectés uniquement par des facteurs monétaires

Les fluctuations de prix sont déterminées à la fois par des facteurs monétaires et non monétaires. Cependant, quand il est question de leur impact sur les prix, ces différents facteurs s’entremêlent et ne peuvent être dissociés. Par conséquent, il n’est pas possible de dissocier les variations du pouvoir d’achat de la monnaie des variations de l’indice des prix. Sur ce point, Rothbard a écrit :

« Cette affirmation repose sur le mythe selon lequel une sorte de pouvoir d’achat général de la monnaie ou de niveau général de prix existerait indépendamment des prix spécifiques à chaque transaction.

Comme nous l’avons vu, cette idée est purement fallacieuse. Il n’y a pas de ‘niveau général des prix’ et la valeur d’échange de la monnaie ne peut être déterminée que dans le cadre de transactions de marchandises spécifiques, à des prix spécifiques. Ces deux concepts ne peuvent être dissociés.

Tout ensemble de prix détermine à la fois un rapport d’échange ou une valeur d’échange objective entre une marchandise et une autre et entre la monnaie et une marchandise, il n’y a aucun moyen de dissocier quantitativement ces deux notions.

Il apparaît donc clairement que la valeur d’échange de la monnaie ne peut être dissociée quantitativement de la valeur d’échange des marchandises.

Puisque la valeur d’échange générale de la monnaie, c’est-à-dire le pouvoir d’achat de la monnaie (PAM), ne peut être définie quantitativement et isolée dans toute situation historique et que ses fluctuations ne peuvent être déterminées ou mesurées, il est évidemment impossible d’en assurer la stabilité.

S’il est impossible de mesurer quelque chose, alors nous ne pouvons agir efficacement pour la maintenir à un niveau constant. » [3]

De même, selon Mises, « dans le domaine de la praxéologie [NDLR : analyse de l’action humaine] et de l’économie, la notion de mesure n’a aucun sens. Dans une situation hypothétique qui serait caractérisée par des conditions figées, il n’y aurait aucun changement à mesurer. Dans le monde réel en constante mutation, il n’existe pas de points fixes, de dimensions ou de rapports qui pourraient servir d’étalon. » [4]

Nous pouvons donc en conclure que les multiples déflateurs des prix que les statisticiens du gouvernement calculent ne sont que des nombres arbitraires.

Pourquoi les politiques de stabilisation des prix entraînent davantage d’instabilité

La politique monétaire de la Fed, en cherchant à stabiliser le niveau général des prix, affecte le taux de croissance de la masse monétaire. Puisque les variations de la masse monétaire ne sont pas neutres, cela implique que cette politique modifie le niveau des prix relatifs.

L’altération par la Fed du soi-disant niveau général des prix mine la capacité des entreprises à procéder à un calcul économique rationnel, ce qui entraîne une allocation inefficiente des ressources. Par conséquent, une politique cherchant à stabiliser le niveau général des prix conduit en fait à une surproduction de certaines marchandises et à une sous-production d’autres marchandises.

Une politique de stabilisation des prix engendre de nombreux effets indésirables émanant de l’expansion de la masse monétaire qui est utilisée dans le cadre de cette politique, parmi lesquels les cycles d’expansion-récession et une paupérisation. [5]

Cependant, ce n’est pas ce que les partisans de la stabilisation des prix nous disent, puisqu’ils continuent de croire que le plus grand mérite de la régulation des variations du niveau général des prix réside dans le fait qu’elle permettrait aux prix relatifs de fluctuer librement et de façon plus transparente, permettant ainsi l’allocation efficace des ressources rares.

En conclusion, contrairement à la croyance populaire, il n’existe pas de niveau général des prix que la banque centrale devrait stabiliser afin de promouvoir la prospérité économique.

Conceptuellement, le niveau général des prix ne peut tout simplement pas être déterminé, même à l’aide de formules mathématiques sophistiquées. De toute évidence, s’il est impossible de mesurer quelque chose, alors il est impossible de la maintenir à un niveau constant.

Les politiques qui visent à stabiliser un niveau général des prix qu’il est impossible de connaître ne font qu’empêcher l’utilisation efficiente des ressources rares, ce qui conduit à un appauvrissement économique.


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici


[1] Ludwig von Mises, Human Action: A Treatise on Economics, scholar’s ed. (Auburn, AL: Ludwig von Mises Institute, 1998), p. 223.

[2] Murray N. Rothbard, Man, Economy, and State, with Power and Market, 2d scholar’s ed. (Auburn, AL: Ludwig von Mises Institute, 2009), p. 846.

[3] Rothbard, Man, Economy, and State, with Power and Market, p. 849.

[4] Mises, Human Action, p. 223.

[5] Murray N. Rothbard, America’s Great Depression, 5th ed. (Auburn, AL: Mises Institute, 2000), p. 153.

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