La Chronique Agora

Sommes-nous dans une bulle, et est-elle dangereuse ? (2/4)

Les bulles trouvent leurs origines dans les mêmes schémas.

Dans notre précédent article, nous avons expliqué en quoi les bulles n’étaient pas si facilement identifiables.

Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à la raison pour laquelle elles se forment.

Pourquoi les bulles existent-elles ?

On sait que les marchés ont absurdement surévalué certains prix d’actifs financiers, et ont ensuite précipité les crises quand ils se sont aperçus de la dérive criante entre la réalité économique et la valorisation des actifs financiers en question.

Pour comprendre pourquoi les surévaluations et bulles d’actifs financiers existent, il faut identifier des origines diverses : évolution de la liquidité banque centrale, exigences actionnariales souvent irréalistes, effets pro-cycliques des normes prudentielles et comptables…

Première explication forte des bulles d’actifs financiers, sur laquelle nous et d’autres écrivons souvent dans La Chronique Agora : la trop abondante liquidité banque centrale (le terme consacré est ce que les économistes appellent la base monétaire ou la taille de bilan d’une banque centrale – ce qui est plus parlant dès lors que l’on évoque la création monétaire ex-nihilo).

Les prises de positions spéculatives qui ne sont pas liées aux fondamentaux et qui peuvent déstabiliser les prix de marché sont, en effet, liées à un environnement macroéconomique de forte création monétaire et donc d’excès de liquidité ; mais également aux insuffisances des exigences de fonds propres sur certaines positions de marché.

Si l’on s’en tient à l’Europe, il y a une double responsabilité de la Banque centrale européenne en tant que responsable de la politique monétaire pour la zone euro, mais aussi en tant que superviseur des banques de l’Union Européenne. Cette responsabilité doit conduire à désinciter (on ne parlera pas d’interdire car il est hors de question de nier ou de supprimer le fonctionnement libéral, tout du moins ce qu’il en reste…) les intermédiaires financiers à acheter des actifs à un prix trop élevé (ou, en tout cas, jugé assez objectivement comme tel).

Sinon, cela renforce la surévaluation de ces actifs et les bulles. Cela entretient surtout les crises de solvabilité de ces mêmes intermédiaires financiers lorsque les prix des actifs corrigent violemment à la baisse. Voici qui nécessiterait un vrai contrôle de la création monétaire, non pas à une échelle locale mais à une échelle évidemment mondiale.

On en est bien loin, puisqu’il faudrait revoir la philosophie même des politiques monétaires et tout particulièrement les objectifs d’inflation (qui ne devraient pas se contenter de suivre l’évolution des prix des biens et services et devraient intégrer les prix immobiliers et les prix de nombreux actifs financiers dits risqués).

Par exemple, si la Fed était totalement sérieuse dans la conduite de sa politique monétaire, elle devrait considérer les effets de richesse de second tour de la hausse des marchés d’actifs dits risqués (actions, obligations corporate « invetsment grade » et « high yield » avec la forte baisse des primes de risques, cryptomonnaies).

Si nous ne doutons pas que cette exubérance des marchés financiers est potentiellement inflationniste (certes il y a des fondamentaux qui sont favorables, on peut considérer comme malsain le fait que ces marchés anticipent trois à quatre fois des nouvelles positives déjà publiées). Dans un monde pétri de bon sens, il ne devrait nullement être question de baisse des taux, et il faudrait déjà se satisfaire que les cycles de hausses des taux directeurs soient terminés. Mais volontairement ou pas, la Fed – comme d’autres banques centrales et à l’instar de nombreux économistes – conserve une lecture du cycle économique trop traditionnelle.

Seconde explication forte des bulles d’actifs financiers : le sentiment bien connu de « cupidité » (certains parleront d’avidité). Mais souvent, la cupidité d’institutions s’explique par les exigences de retour sur capitaux propres ou sur investissement de leurs actionnaires ou/et de leurs investisseurs/clients. Cela conduit à des prises de risque excessives à des niveaux de prix d’actifs de plus en plus déconnectés des fondamentaux. La mise en place de stratégies à fort levier accentue cette déconnexion. Il faudrait mettre un terme à la cupidité (enfin plutôt l’atténuer) en remettant en cause certains objectifs de rentabilité irréalistes.

Mais quel dirigeant d’institution privée oserait proposer cela en solo ? Il aurait beau avoir raison intellectuellement, son cours de Bourse serait violemment sanctionné.

Petite métaphore sportive : que penserait-on d’un entraîneur qui fixerait comme objectif à son sauteur en hauteur la barre des 2,70 m, alors que le record du monde est à 2,45 m, et ce depuis 30 ans ?

La déconnexion vis-à-vis des fondamentaux dans tous les domaines est toujours lourde de conséquences. Dans notre domaine, vous ne pouvez déconnecter durablement les prix des actifs – et donc les performances d’un portefeuille d’actifs ou d’un compte d’exploitation de l’environnement économique. Ce n’est pas manquer d’ambition que de le dire.

En tout cas, lutter contre les bulles et donc les mauvais investissements, c’est inciter (encore une fois, on se contentera des termes inciter/désinciter par opposition à contraindre/obliger/interdire) des établissements à éviter les mauvais risques, qui cherchent contre vents et marées à maintenir une rentabilité actionnariale exagérément élevée.

Nous verrons les autres explications de la formation de bulles dans notre prochain article.

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