▪ Nafea faa ipoipo ?
Avant d’en arriver là, cher lecteur, nous voulons dissiper tout doute : nous nous attendons à un craquement… voire un krach… sur les marchés actions à un moment ou à un autre cette année. Nous ne pensons pas, cependant, que ce sera la fin de l’histoire. Nous soupçonnons plutôt que ça marquera la fin d’un chapitre et le début d’un autre — le chapitre final de la bulle du crédit entamée au début des années 70.
C’est une longue histoire. Et c’est une grande histoire.
Dommage qu’elle ait tant été mise dans l’ombre. Le Watergate… le Vietnam… des massacres de Hanoï à Bombay, de Boy George à J-Lo. Les gens ordinaires ont le temps pour la Coupe du Monde et le Tour de France… mais pas pour la Super Bulle, quand bien même elle devrait leur être beaucoup plus importante.
De plus, l’histoire de la Super Bulle reste à conter. Le mieux que nous puissions faire, c’est vous la révéler par petits morceaux, à mesure que nous les découvrons.
▪ En attendant…
… Au cas où votre tahitien serait un peu rouillé, voici une traduction de Nafea faa ipoipo ? : « quand te maries-tu ? »
Cela a également l’honneur d’être désormais l’oeuvre d’art la plus chère jamais vendue. Peint par Paul Gauguin en 1892, ce tableau a rapporté 300 millions de dollars lors d’une vente aux enchères vendredi dernier.
Qu’est-ce qui le rend si précieux ? « Gauguin ne peindra jamais un seul tableau de plus », direz-vous. Mais on pourrait en dire autant de n’importe quel artiste décédé.
« C’était un génie », pourriez-vous ajouter. Mais s’il était un grand artiste, il ne l’était pas moins il y a 10 ou 50 ans, quand ses tableaux se vendaient une fraction du prix obtenu la semaine dernière.
Certes, il est mort. Et certes, il était peut-être un génie… mais pourquoi une oeuvre ordinaire réalisée par un Français atteint de rigor mortis vaut-elle autant d’argent ?
© Wikimedia Commons | Tableau de Paul Gauguin, huile sur toile, 1892 — Nafea Faa Ipoipo (Quand te maries-tu ?)
Nous avons une meilleure explication : ce prix subit l’effet de la bulle mondiale du crédit. En d’autres termes, c’est une chose supplémentaire qui nous fait dire : « hein ? »
Nous ne pouvons qu’en rire. Les riches deviennent plus riches : les banques centrales s’en assurent. Elles prêtent de l’argent qu’elles n’ont jamais eu à des taux extraordinairement bas et font grimper les actifs des riches. Que font ensuite lesdits riches avec cette richesse magique ? Est-ce qu’ils investissent dans de nouvelles usines, embauchent et font du monde un endroit plus prospère ?
Pfff… pourquoi se donner cette peine ? Le monde a déjà trop de capacité — grâce à un excès de crédit (et de dette). Les hommes d’affaires, les investisseurs et les spéculateurs ont pu emprunter sans le moindre souci. Ils ont construit des usines en Chine, foré des puits de pétrole au Texas et produit des voitures en veux-tu en voilà.
A présent que peuvent-ils faire… sinon chercher des moyens de s’impressionner les uns les autres ?
▪ La réponse à tous les problèmes des gouvernements !
Tout ça devient chaque jour plus stupéfiant. Les banques centrales achètent les actifs des banques intermédiaires (QE). Cela augmente la proportion des dettes dans les bilans des banques centrales et met encore plus de cash à la disposition des investisseurs, des spéculateurs et des amateurs d’art.
Pendant des mois, voire des années, les économistes sérieux se sont inquiétés de ce qui se passerait lorsque les banques centrales devraient dégonfler la bulle en revendant leurs obligations sur le marché privé. C’est le seul moyen de réduire la masse monétaire et de faire revenir les choses à la normale. Parce que les choses doivent revenir à la normale, un jour ou l’autre, non ?
A présent, c’est tout juste s’ils se donnent la peine d’y penser. Parce que « la normale » n’est pas près de revenir. Les banques centrales ne revendront jamais leurs actifs (des obligations) sur le marché. L’air ne sera pas évacué de la bulle du crédit. Pas volontairement. Au lieu de ça, les banques centrales continueront à acheter de la dette — principalement aux gouvernements –, à l’entasser dans leurs coffres et à en jeter la clé. Elles savent parfaitement qu’elles ne pourront jamais se débarrasser d’autant d’obligations sans causer un krach sur les marchés obligataires. Et devinez quoi ? Les intérêts qu’elles touchent sur les obligations gouvernementales sont reversés au payeur — le gouvernement lui-même.
Dans les faits, plus les banques centrales rachètent les dettes des gouvernements, plus la dette gouvernementale baisse. Vous imaginez un peu ? Quelle élégante solution au problème dette gouvernementale/PIB — il suffit de vendre à la banque centrale, et fini ! Quel magnifique système. Quelle escroquerie.
Les banques centrales ont déjà absorbé quelque 10 000 milliards de dollars de dettes — provenant en grande partie des gouvernements. Très probablement, ces dettes ne réapparaîtront plus jamais sur les marchés. Que leur arrivera-t-il ? Elles reviendront d’où elles viennent — et disparaîtront dans les airs.
La signification de tout ça est encore en train de se préciser. Tout ce que nous savons pour l’instant, c’est que les choses sont de plus en plus déséquilibrées. D’une manière ou d’une autre, un jour ou l’autre, elles devront revenir à l’équilibre. Nous nous demandons combien « Nafea faa ipoipo » vaudra à ce moment-là…