La Chronique Agora

Solstice d’été et hiver boursier ?

** Le ressort est cassé, les marchés n’y croient plus. La capitulation du vendredi 20 juin ne suscite pas la moindre vaguelette de rachats à bon compte, les investisseurs sont désormais convaincus que toute initiative allant dans ce sens se retrouvera contrariée par un tsunami de mauvaises nouvelles.

Le solstice d’été aurait-il coïncidé avec l’inexorable décrue des heures d’ensoleillement, annonciatrice de l’avènement précoce d’un long hiver boursier ?

Depuis début juin, les analystes se lancent dans une nouvelle compétition, promise à un bel avenir : c’est à qui annoncera les plus gros montants de dépréciations d’actifs chez ses rivaux, à qui évoquera les pires scénarios en matière de prix pétroliers (200 $, 350 $… 500 $ le baril d’ici 2010 ?), à qui abaissera les prévisions de bénéfices et les objectifs de cours des blue chips du NYSE ou de l’Euroland plus vite et plus fort que son homologue de la tour d’en face !

Et pourquoi les analystes viennent-ils de jeter dans la poubelle grise la plus proche les lunettes roses qu’ils arboraient, pour le plus grand bonheur de la presse économique, quelques semaines auparavant ? Souvenons-nous de l’incursion du CAC 40 au-dessus des 5 100 points le 16 mai dernier ou du S&P 500 vers 1 425 points le 19 mai dernier…

La réponse réside probablement dans le durcissement de ton des banques centrales en général — et de la BCE en particulier — concernant l’inflation. C’en est terminé du biais monétaire accommodant aux Etats-Unis ; c’en est terminé de l’immobilisme face à la progression fulgurante des prix à la production et de l’inflation qui, même minorée par les savantes astuces des statisticiens officiels, dépasse du double leurs objectifs.

Nous nous souvenons — grandement aidé par la consultation de nos archives — de ce qui nous écrivions en juin 2007 : l’inflation réelle dépasse largement les chiffres officiels, la crise immobilière s’aggrave aux Etats-Unis, de grandes banques d’affaires ne vont pas tarder à frôler la faillite si elles se trouvent contraintes de réintégrer les risques hors bilan cantonnés dans les SIV et les hedge funds.

Tous nos avertissements avaient-ils empêché les indices boursiers de battre des records annuels dès la mi-juillet de Paris à Francfort et de Londres à New York ?

Pas le moins du monde. Nous avions beau prédire la stagflation, une crise systémique sans précédent, l’autodestruction programmée du dollar, nous n’avions pas osé écrire que tout finirait mal parce que les banques centrales allaient relever leurs taux en pleine période de récession.

** Nous avions au moins deux raisons majeures de penser que le loyer de l’argent ne grimperait pas avant longtemps (fin 2008 ou mi-2009). Premièrement, parce que la Fed avait clairement laissé entendre qu’elle l’abaisserait en cas de crise de liquidité — ce qu’elle ne tarda pas à faire dès le milieu de l’été. Secondement, parce que les pressions inflationnistes qui s’exercent dans les pays occidentaux depuis 2005 (et le cyclone Katrina) sont d’une nature très différente de celles qui prévalaient à la fin des années 70 et jusqu’à l’effondrement du mur de Berlin.

A l’époque, les salaires en Occident étaient indexés sur le coût de la vie… les prix du pétrole pouvaient retomber aussi vite qu’ils étaient montés — pour cause de surproduction chronique et d’indiscipline au sein de l’OPEP… la Fed de l’époque n’imprimait pas 5 $ (d’argent emprunté) pour que la machine économique américaine parvienne à créer un malheureux 1 $ de richesse… les marchés dérivés n’existaient pas… et la balance commerciale américaine était excédentaire.

Au début des années 80, les Etats-Unis produisaient des biens qui n’étaient disponibles nulle part ailleurs dans le monde. La Corée du Sud ou Singapour n’étaient encore que des pays à peine « émergents » et le Japon, frappé de plein fouet par le premier choc pétrolier, commençait tout juste à moderniser son industrie.

** Aujourd’hui, les Etats-Unis n’ont plus qu’un vague souvenir de ce qu’est une économie dans laquelle un outil industriel enrichit patrons et ouvriers ; quand un secteur d’activité, quel qu’il soit, génère du profit, celui-ci est partagé entre le management et les actionnaires.

Le salarié/consommateur ne ramasse que des miettes. S’il lui prend l’envie d’acheter des biens et services au-dessus de ses moyens, il doit passer par le recours à l’emprunt. Celui-ci est devenu — et de très loin — la principale industrie aux Etats-Unis.

Aucun problème tant que les banques prêtent à livre ouvert et que les taux sont à la baisse. Mais la situation tourne au désastre si les emprunteurs et les réassureurs font défaut tandis que les banques centrales s’imaginent que priver de pouvoir d’achat des citoyens déjà exsangues financièrement va juguler l’inflation.

L’inflation — celle des actifs réels — résulte de la surabondance de dollars et de la fuite des détenteurs de produits dérivés (adossés à des créances immobilières, municipales ou d’entreprises américaines) vers des placements à la valeur « certaine » (pétrole, gaz, métaux, denrées alimentaires).

Nous aimerions que la BCE nous explique en quoi le relèvement du « repo » à 4,25% va ralentir la mécanique de l’arbitrage dollar/pétrole, dollar/blé ou maïs — arbitrage qui produit la seule inflation dont le salarié européen soit réellement victime à ce jour.

** La Banque centrale européenne s’est-elle jamais émue de l’inflation des prix de l’immobilier qui privait de toit les ménages les moins fortunés ? Les 120 à 150% de hausse des prix en Ile-de-France en 10 ans ont-ils jamais fait débat à la Banque de France quand J.C. Trichet en était le gouverneur jusqu’en 2003, puis de 2004 à 2007 ?

La BCE aurait probablement pu assister à la destruction du dollar par l’inflation sans qu’elle ait à lever le petit doigt… mais une telle passivité pouvait conduire les historiens des années 2020/2030 à évoquer un basculement mondial des réserves de change au profit de l’euro sans mentionner le nom de J.C. Trichet, par le seul fait de la déliquescence de l’empire américain. Bill Bonner excelle d’ailleurs à décrire ladite déliquescence en la comparant souvent à l’effondrement de Rome au profit de Constantinople, située quelque part vers l’orient de la Méditerranée.

Cela prit cinq siècles. Mais, à l’époque, les caravanes et les lourdes galères tenaient lieu d’internet pour les marchands et les armées impériales. Aujourd’hui, tout va beaucoup plus vite. Au lieu de cinq siècles, cinq années de crises systémique — nous attaquons seulement l’an II — devraient suffire à jeter à bas le leadership économique des Etats-Unis au profit de la Chine, située quelque part à l’orient de l’ex-empire soviétique.

** Une prise de conscience vient probablement d’avoir lieu autour des 10/13 juin 2008. C’est ce qui explique l’interruption d’un scénario boursier qui, vague par vague, ressemblait depuis la mi-mars à celui observé en 2007 durant la même période.

Mais, la semaine passée, au lieu d’assister à l’effacement de 80% des pertes subies du 1er au 13 juin — ou au moins à un retour dans la zone des 4 900 points –, nous venons de voir le CAC 40 enfoncer les 4 615 points puis les 4 500 points et le Dow Jones casser les 12 000 points.

Compte tenu du climat boursier et des volumes négociés le vendredi 20 juin, nous avons renoncé à miser sur un « effet quatre sorcières ». Une telle explication de la cassure des supports majeurs moyen et long terme était encore défendable jeudi, et même vendredi jusque vers l’heure du déjeuner… mais, comme nous le redoutions à la veille du week-end, aucun rebond ne s’est dessiné ce lundi.

Les places boursières européennes et l’ensemble des indices américains ont confirmé leur lourdeur tout au long de la séance de lundi. Le Nasdaq, comme une piqûre de rappel infligée aux investisseurs les plus distraits, a chuté de 0,85% et enfoncé l’ultime palier de soutien du 11 juin dernier — lorsqu’il était encore logique d’espérer un début d’été boursier ensoleillé.

Philippe Béchade,
Paris

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