La Chronique Agora

Si le pétrole imite maintenant le dollar…

** Les opérateurs semblent avoir anticipé mercredi soir un rebond de Wall Street : le Dow Jones remontait de -1,6% jusque vers +0,1% à la mi-journée avant de rechuter au final de -1%… Cependant, ce pressentiment ne s’est manifesté que dans les ultimes instants de la séance. En effet, à 17h27, le CAC 40 affichait 1% de repli à 3 219 points… mais à 17h30, la perte se trouvait réduite à -0,69%.

Au moment du fixing de clôture hier (à 17h35), Paris affichait un score de -0,3%, c’est-à-dire exactement le même niveau qu’il affichait à 10h précise. Mais à 10h01, le CAC 40 a soudainement décroché et perdu 1,6% en seulement 10 minutes, pour inscrire un plancher à 3 187 points. Ce trou d’air ne pouvait être relié à aucune actualité macro-économique puisque les chiffres concernant le chômage au Royaume-Uni (+75 700 pour un taux de 6%) ne furent rendus publics qu’à 10h30 — et ils ne suscitèrent strictement aucune réaction, que ce soit à Londres ou à Paris.

Il est fort probable qu’un gros fonds (ou un gros investisseur particulier) ait délibérément "cassé le marché" en liquidant agressivement son portefeuille — afin d’extraire le maximum de moins-values reportables en 2009, avant de racheter l’intégralité de ses positions à bas prix au cours des heures suivantes.

Malgré leur sursaut final, la consolidation l’a emporté sur les places européennes : Francfort a cédé 0,45%, Zurich 0,35%, Amsterdam 0,2%, tandis que Milan et Madrid grappillaient 0,3%.

Le score de -1,25% affiché par l’Euro Stoxx 50 peut apparaître absurde, mais cet énorme écart de performance est dû à l’effondrement du seul titre BNP Paribas. Ce dernier a chuté de 17,25%, au plus bas de l’année, avec plus de 20 millions d’actions échangées — soit près de 800 millions de chiffre d’affaires sur cette seule valeur.

En ôtant BNP Paribas de la liste des valeurs du CAC 40, on aurait obtenu une performance positive de +0,5% du marché parisien : autrement dit, il s’agissait d’une baisse en "trompe l’oeil".

** Après avoir salué un "geste fort" de la Fed, l’inquiétude générée par l’ampleur de cette initiative sans précédent amène les investisseurs à faire preuve de prudence.

Ben Bernanke a bel et bien créé la surprise mardi soir en optant pour l’instauration d’un taux flottant entre 0 et 0,25% (une grande première aux Etats-Unis), soit un abaissement virtuel de 100 points de base du loyer de l’argent.

La Fed indique "employer tous les outils disponibles pour promouvoir une reprise de la croissance et préserver la stabilité des prix". Elle s’est dite prête à accroître ses achats — déjà massifs — de dettes émises par les organismes de prêts immobiliers disposant de la garantie de l’Etat.

En outre, la Réserve fédérale étudie l’option de procéder à l’achat d’emprunts d’Etat à long terme. Elle a également abaissé son taux d’escompte de 75 points, à 0,50%, et a précisé dans la foulée que les taux devraient rester "à des niveaux exceptionnellement bas pendant un certain temps". Un geste qui n’a pas manqué de rappeler le scénario de "trappe à liquidités" déflationniste survenu au Japon de 1995 à 2003.

** Sur le marché des changes, l’euro a fortement progressé face au dollar : la monnaie unique s’est ainsi hissée au-dessus de la barre de 1,435 $ pour la première fois depuis fin septembre.

Quant au pétrole, il a replongé mercredi soir de 7% en clôture, à 40,3 $ le baril. Les stocks américains de pétrole brut ont symboliquement progressé de 525 000 barils (c’est un chiffre très banal) à l’issue de la semaine du 5 au 13 décembre, selon le département de l’Energie américain.

Cette rechute est d’autant plus paradoxale que les pays de l’OPEP ont décidé de frapper fort à l’occasion de leur réunion à Oran (en Algérie) : ils ont annoncé une réduction de leur production de deux millions de barils par jour.

Mais si cette mesure était anticipée, la réaction des opérateurs n’en demeure pas moins singulière puisque le billet vert s’affaiblit par rapport à toutes les devises (-2,5% contre l’euro, -1,2% face au yen… et surtout -3,5% face au franc suisse).

** A Paris, les titres Total et Vallourec avaient clôturé en hausse car la rechute du baril n’est survenue — très bizarrement — que vers 17h30 : les deux titres ont progressé respectivement de 1,2% et 1,6%, tandis que GDF-Suez reprenait 3,4%… ce qui apparaît complètement anachronique ce jeudi matin alors que le cours du pétrole stagne encore autour des 41 $.

Ces hausses (y compris celles de 4% d’Arcelor et de 7,7% de PPR) furent loin de compenser l’effondrement de BNP Paribas. Le titre a été littéralement laminé tout au long de la séance sur l’annonce de lourdes pertes imputables à son activité de banque de financement et d’investissement : la moins-value s’élève à 710 millions d’euros sur les onze premiers mois de l’année, l’affaire Madoff comptant pour moitié de ce total avec 350 millions d’euros.

Par effet de contagion, les titres Société Générale (-5,75%), Dexia (-5,6%) et Crédit Agricole (-3,5%), accusaient tous de lourds replis… alors que le secteur bancaire s’était envolé de 11,5% mardi soir à Wall Street. A titre de comparaison, Citigroup, plus forte baisse du Dow Jones après 13% de gain la veille, ne cédait que 4,8%.

Décidément, les investisseurs se retrouvent confrontés à des scénarios inédits presque au quotidien depuis le début de l’année… et la rechute de 8% des cours du brut mercredi soir constitue une nouvelle surprise de taille (le baril est brièvement repassé sous la barre des 40 $, une première depuis plus de quatre ans).

La première explication qui peut venir à l’esprit, c’est que chaque rebond du pétrole est mis à profit par les hedge funds pour liquider des reliquats de positions spéculatives (et fortement perdantes)… La seconde explication, c’est qu’une nouvelle catégorie de spéculateurs joue le scénario d’une rechute du baril vers 30 $ — soit environ 20/21 euros — sur l’anticipation d’un délai assez long avant que les dernières initiatives de la Fed ne produisent d’effets positifs.

Philippe Béchade,
Paris

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