Les Publications Agora ont réuni au Château de Courtomer une quarantaine de nos plus fidèles abonnés pour écouter quelques-uns de nos experts… découvrez ce qu’en a retenu l’un deux, Philippe Béchade.
Les Publications Agora ont réuni au château de Courtomer une quarantaine de nos plus fidèles abonnés pour notre réunion annuelle de rentrée qui se situe à mi-chemin entre une « université d’été » et une parenthèse dédiée à la douceur de vivre, grâce à quelques parenthèses impromptues (qui ne figurent pas dans le planning pour ménager un effet de surprise).
Oui, un peu de légèreté et quelques moments de grâce pour se ressourcer avec ce que notre monde nous offre de « plus civilisé » (l’opéra) alors que notre monde du « JT de 20h » semble se résumer à un déferlement de pulsions tantôt puériles, tantôt barbares, mais 100% manichéennes.
Nous espérons que les potentialités négatives qui s’accumulent au fil des semaines resteront au stade de menaces auxquelles il est préférable de croire pour mieux les empêcher d’advenir.
Sept bouleversements
Le problème c’est que, si les rédacteurs de nos lettres et leurs abonnés qui ont fait le déplacement sont bien avertis de tous les dangers qui surplombent les marchés, le déni règne parmi ceux dont c’est le devoir de les prévenir et de nous en préserver.
Un déni qui datait de bien avant le déclenchement de la guerre par procuration que se livrent les Etats-Unis et la Russie en Ukraine. Nous notons ainsi que la crise du Covid puis la crise ukrainienne ont déjà fait des victimes incontestables :
– la première, c’est la vérité ;
– la deuxième, c’est la mondialisation : notre planète devient irréversiblement multipolaire, les égoïsmes remplacent la coopération internationale, et c’est parti pour durer le temps d’une génération ;
– la troisième, c’est l’argent pas cher et la « grande modération » (la croissance sans inflation) ;
– la quatrième, c‘est le modèle allemand, qui reposait sur une énergie bon marché et des débouchés asiatiques qui semblaient infinis ;
– la cinquième, c’est la bulle immobilière américaine, qui implique plus de 18 000 Mds$ d’encours de crédit aux Etats-Unis, et génère des millions d’emplois directs et indirects, majoritairement non délocalisables, dans les secteurs de la construction, des matériaux, des services bancaires, etc. ;
– la sixième victime devrait être la bulle boursière, mais les investisseurs ne réalisent pas encore qu’elle a déjà éclaté, car ils portent un casque qui diffuse en continu le narratif de la Fed : ils ne peuvent ainsi entendre clairement le son d’ambiance qui est saturé de fausses notes géopolitiques et économiques ;
– et la septième – peut-être la plus lourde de conséquence, mais certains refusent de l’acter –, il s’agit de la perte de crédibilité des banques centrales… qui font tout pour entretenir l’illusion qu’elles maîtrisent encore la situation, d’où une « férocité » revendiquée, jamais vue depuis l’ère Volcker.
En attendant la correction
Mais ces vents contraires sont loin d’avoir provoqué une situation de chaos total sur les marchés. En effet, à côté des marchés obligataires qui affichent, avec -17% depuis le premier janvier, leur pire performance annuelle depuis 1949 – et des cryptos en crise (-50%) –, la classe « actions » est loin de subir une correction hors norme.
Plus surprenant encore, malgré 31 semaines consécutives de décollecte de la part des épargnants américains et européens, les indices boursiers s’en tiennent à des niveaux de correction assez banals, comme nous en observons régulièrement, tous les 2 ou 3 ans : des achats massifs d’ETF compensent cette désertion de la part des « stock pickers ».
Les tendances haussières moyen et long terme demeurent intactes, tous nos auteurs le constatent.
Tant qu’un signal de retournement n’est pas validé, il faut rester pragmatique : Etienne Henri, Arthur Toce, Eric Lewin, Mathieu Lebrun et Anice Lajnef – qui s’était joint à notre conférence pour nos rappeler les dangers d’une économie-monde bâtie sur le crédit – ont chacun, à leur façon, démontré qu’il faut relativiser ce qui semble éminemment contre-intuitif.
Le problème énergétique
Etienne Henri a notamment souligné à quel point le secteur énergétique a repris une place stratégique dans les indices, au point de compenser à plusieurs reprises depuis janvier le repli de bien d’autres secteurs, notamment cycliques.
Le volontarisme des Etats à l’échelle quasi-planétaire de mener à bien une transition énergétique vers une production décarbonée fera émerger de nouveaux champions, tous comme le fit internet avec le cloud et le e-commerce, ou bien Airbnb avec l’immobilier.
Il y aura donc quelques gagnants, que nous tenterons d’identifier, et pas mal de perdants, dont la tendance s’est déjà retournée et qu’il faudra s’abstenir d’acheter, même à un prix inhabituellement bas (car 50 ou 60% de repli ne garantit pas forcément un prix plancher).
Etienne Henri avertit toutefois : avec une consommation de gaz qui doit baisser de 15% cet hiver, une France qui devient importatrice d’électricité et un Royaume-Uni en récession, les chances que l’économie européenne se contente de stagner durant les 12 prochains mois sont bien minces.
Selon toute probabilité, notre manque d’énergie nous condamne à quelque chose de pire que la stagflation et qu’il baptise d’un néologisme : la « slumpflation ». C’est à dire une chute d’activité économique générale due non seulement à la hausse des prix – comme de 1973 à 1981 –, mais également à cause de la raréfaction de ressources.
Avec l’assèchement des liquidités des banques centrales, la partie la plus aisée de la population qui profitait de l’impression monétaire pour stocker cette manne céleste dans les actifs les plus volatils va probablement se replier sur ceux qui procurent du rendement sans risque, comme les T-Bonds US.
Le risque d’effondrement boursier pourrait alors pousser les banques centrales à faire machine arrière, comme fin 2018 : baisse des taux et relance du quantitative easing (QE), en mode turbo.
Toutes les entreprises ne connaissent pas la crise
Arthur Toce adhère aussi à cette hypothèse, mais c’est difficile à « timer » : lui s’intéresse aux entreprises qui pourraient tirer parti de la crise. Arthur observe de manière optimiste que de nombreux champions d’aujourd’hui n’étaient que des jeunes pousses lors des récessions passées.
Les crises obligent à faire preuve d’originalité, à changer d’approche, à trouver des solutions disruptives : des gains de 1 000% ou plus ne se concrétisent pas sur des modèles « matures », mais sur des dossiers qui révolutionnent notre quotidien comme Amazon, Netflix, Paypal… et demain, notre façon de payer et de stocker de la valeur, car l’ère de la « blockchain » est devant nous.
L’avenir sera disruptif ou ne sera pas, et s’il l’est, c’est maintenant qu’il faut commencer à flairer qui a le profil d’un futur Amazon.
Eric Lewin, lui, espère bien que, parmi les small caps qu’il suit – et dont il connait la plupart des dirigeants – une ou plusieurs de ses favorites sortiront renforcées de la crise.
Beaucoup ont énormément baissé, alors que leur situation financière et leur taux de croissance ne le justifie pas : les entreprises sont très bien gérées, c’est particulièrement vrai des saga « familiales ».
Beaucoup d’entreprises à taille humaine regorgent de cash. Contrairement aux 100 plus grosses capitalisations, elles n’investissent pas leur trésorerie dans des rachats massifs de titres, elles savent maintenir un niveau confortable de dividendes, et les profits sont souvent supérieurs aux attentes, sans que cela soutienne leur cours, ce qui est aberrant.
Les gérants n’ont qu’une obsession, se placer sur des dossiers suffisamment liquides pour pouvoir en sortir – sans fracasser les cours – si les choses tournaient mal.
Une baisse de 10 ou 15% supplémentaire de Wall Street et des places européennes est possible : ce sera l’occasion de racheter les grandes entreprises de fond de portefeuille avec du « pricing power » et une croissance des résultats qui a triomphé de toutes les crises (luxe, logiciels, logistique, etc.).
En Bourse, point de salut ?
Mais Eric mise sur un autre phénomène propre à ce segment des small caps qu’il suit de près : nombre de patrons sont déjà dégoûtés de la sous-valorisation de leur entreprise, des frais engagés pour être inscrits à la cote et du peu d’intérêt de la part d’investisseurs qui ne jurent que par les « algos » et la gestion indicielle.
Ils pourraient donc être tentés par un retrait de la Bourse, c’est-à-dire reprendre complètement la main en rachetant les titres en circulation (souvent, c’est moins de 20% qui circulent dans le public) afin de se distribuer 100% des dividendes et ne plus rien devoir à personne.
Ces opérations de rachat de titres (OPR), donnent souvent lieu à une (forte) « prime de rachat » offerte aux actionnaires demeurées fidèles, allant de 20 à 40%.
Il y a aussi des entreprises dont les actions atteignent – à force de baisser sans raisons objectives – des « cours idiots » : si le flottant est suffisant pour qu’un concurrent puisse s’emparer d’une minorité de blocage ou ait une chance de devenir majoritaire, alors des OPA deviennent possibles, avec à la clé des primes qui peuvent aller de 20 à 100%.
Pour ma part, et cela n’a pas valeur de conclusion – car je vous renvoie aux sept points de basculement que j’ai déjà évoqué –, je reste très attentif au processus de « militarisation du dollar » que j’ai évoqué lors de mon intervention à Courtomer, c’est-à-dire cet impératif de contrecarrer le processus de dédollarisation assumé – voire militant – de la part de pays ayant acquis le statut d’acteurs majeurs de l’économie mondiale.
Je reviendrai sur ce concept dans ma toute prochaine chronique.
Je vous quitte sur un constat qui a valeur d’avertissement pour ceux qui connaissent bien les principes de la gestion algorithmique, basée sur la combinaison de milliards de données relevant de l’analyse graphique : attention à l’impact technique de l’annonce d’un triple relèvement de taux par la Fed, la Bank of England et la Bank of Japan ces mercredi 21 et jeudi 22… à un rythme jamais observé depuis les années 1980.
Que le CAC 40 ait tenu au-dessus des 6 000 points et le Dow Jones au-dessus des 30 000 (seuils de rupture majeurs) tout l’été sera peut-être bientôt considéré comme l’un des plus grands prodiges boursiers depuis que les banques centrales ont instauré les QE.