La Chronique Agora

Le scénario boursier d’Oddo pour 2013 oublie que les marchés sont une équation à plusieurs inconnues

banques centrales

▪ C’est la saison qui veut cela, les gérants commencent à faire le ménage dans leurs portefeuilles avant d’habiller leurs bilans. Les stratèges des grandes maisons de courtage convient clients et journalistes financiers afin de leur proposer quelques scénarios pour 2013.

La maison Oddo nous propose en quelque sorte « le changement dans la continuité », notamment une poursuite de la contraction de l’écart des taux souverains entre le nord et le sud. Plus à perdre qu’à gagner sur les Bunds et le T-Bonds, une belle marge de progression pour les emprunts italiens, et peut-être une très bonne surprise sur les bons du Trésor espagnol si la BCE vient mettre son grain de sel comme elle l’a promis.

En supposant que le péril grec ait été écarté il y a une dizaine de jours pour — soyons optimistes — les douze prochains mois, alors la prime associée au risque systémique devrait continuer de s’évaporer et les acheteurs devraient se sentir de plus en plus confortables avec la Zone euro.

▪ De la récession vers la croissance ?
Tout ce qui précède décrit bien le scénario boursier et obligataire des cinq derniers mois. Les investisseurs voteraient les deux mains levées pour que les marchés continuent comme cela cinq mois de plus… Mettons jusqu’à ce que la transition du pouvoir soit effective en Chine et que le Japon ait achevé sa première phase de destruction du yen, si possible avant le début de la nouvelle année fiscale qui débute le 1er avril 2013.

Les indices de volatilité — au plus bas depuis octobre 2007 — témoignent d’une adhésion massive des opérateurs au scénario d’une transition en douceur de la récession vers une croissance molle. Les liquidités déversées par la Fed, la banque centrale du Japon — et de façon plus discrète par la BCE — finiront-elles par irriguer l’ensemble des économies occidentales, y compris l’Europe ?

Tout ce qui s’est « bien passé » ces derniers mois, nous le devons d’abord à la magie du verbe de Mario Draghi, puis au QE3 de la Fed — bientôt complété par de nouvelles mesures de soutien monétaire qui seront détaillées par Ben Bernanke le 12 décembre prochain.

Autrement dit, tout repose sur des politiques non conventionnelles (dont personne ne connaît les conséquences à long terme)… des coups de com’… des injections de liquidités furtives (s’agissant de la BCE)… des prêts qui ne sont que des abandons de créance déguisés — et autres défauts maquillés en rééchelonnement ou rachats de dettes.

Tout cela aura un coût (astronomique au final) mais pour l’instant, personne n’est tenu de sortir son chéquier. Les marchés espèrent que l’échéance sera repoussée à fin 2013 (au moins jusqu’aux élections allemandes), voire début 2014… lorsque Ben Bernanke devra rendre ses badges et lâcher la manette qui actionne la planche à billets.

▪ Marchés : une équation à plusieurs inconnues
Si ce calendrier politique est respecté, les stratèges d’Oddo et ceux de nombreuses autres banques qui jouent ce scénario depuis le milieu de l’été auront gagné leur pari — au moins sur les onze prochains mois (et les neuf premiers pourraient suffire à dupliquer la performance de 2012 sur les actions).

Mais plusieurs inconnues sont susceptibles d’obscurcir l’horizon, à commencer par le taux d’imposition qui sera appliqué en 2013 aux dividendes et plus-values boursières aux Etats-Unis.

Il ne s’agit pas là de ce que l’Américain moyen visualise mentalement lorsqu’il est question de la falaise fiscale, tout simplement parce que les actions ne représentent qu’une part marginale de son épargne et que les gains qu’il a pu réaliser depuis l’an 2000 ne doivent pas représenter des sommes à cinq zéros.

En revanche, pour ceux dont les dividendes et les exercices d’options représentent 90% des revenus, cela pourrait faire une sacrée différence… dont 98% des Américains se moquent éperdument.

L’autre inconnue, c’est l’état réel de l’économie chinoise alors que Shanghai continue d’enfoncer des planchers historiques. Les vendeurs sont des initiés — là aussi, nous voici confrontés à la problématique des 2% de la population qui contrôlent 80% à 90% des actions — et ils ne sanctionnent pas la situation présente ou passée, mais bien les perspectives 2013/2014 telles qu’ils les envisagent ou les cernent avec suffisamment de précision.

Parce que ce sont également eux qui détiennent à la fois les actions mais aussi les leviers politiques et économiques.

▪ Paris imperturbable face à Shanghai…
Le nouveau recul de Shanghai n’a pas perturbé les places européennes lundi matin. Elles n’ont pas tardé à gagner 1% puis 1,2% à l’heure du déjeuner, mais la fin de parcours a été plus laborieuse.

Paris en termine certes sur une neuvième séance sur une série de onze, mais la clôture intervient exactement au même niveau qu’à l’entame de la séance (0,26% à 3 567 points).

C’est même peut-être un peu décevant puisque le CAC 40 est allé chercher les 3 600 points et s’est offert le luxe d’inscrire un nouveau zénith annuel vers 3 603 à 13h51 — dans des volumes toujours aussi anémiques, à peine supérieurs à 1,9 milliard d’euros.

La manière ne fut pas non plus très convaincante. Sans que l’on comprenne bien pourquoi, l’indice CAC 40 s’est arraché de 12 points (+0,35%) en deux minutes au moment le plus creux de la séance, sans motif concret, sans aucune actualité positive (à Paris ou en Europe) ni rumeur concernant par exemple des avancées dans les négociations autour de la falaise fiscale.

▪ … mais pas face à Wall Street
Le CAC 40 a reperdu l’essentiel de ses gains de la mi-journée suite à la publication à 16h de l’indice ISM manufacturier américain pour novembre qui rechute vers 49,5 contre un léger repli anticipé à 51,4.

Ce fut un peu la douche froide car l’indice PMI manufacturier américain publié une heure plus tôt était ressorti à 52,8 (contre 51 au mois d’octobre) en estimation finale d’après Markit.

Même scénario à Wall Street. Les indices américains avaient entamé la séance en hausse de 0,4% à 0,5% avant d’effacer leur avance et de passer marginalement en territoire négatif vers 17h30.

Ils demeuraient très hésitants à mi-séance avec -0,2% pour le Dow Jones, -0,15% pour le S&P 500 et 0,05% sur le Nasdaq grâce au titre Dell.

Les places européennes affichaient 0,3% de progression à 17h35. Les investisseurs ont occulté de façon assez étourdissant l’indice PMI manufacturier dans la Zone euro (46,2 en novembre… il s’agissait du seizième mois consécutif de contraction), sans oublier l’effondrement des ventes d’automobiles en France en novembre.

L’actualité du jour s’inscrivait une fois encore en filigrane sur le programme du jour où les sherpas du marché avaient inscrit que le CAC 40 devait retracer les 3 600 points et l’Euro-Stoxx 50 les 2 600. Les baromètres du stress étaient priés d’afficher des planchers historiques, des fois que quelques naïfs (peut-être en reste t-il une poignée) prennent ce scénario idyllique pour argent comptant.

Les marchés ont donc été conduits à bon port… enfin, pour ceux qui avaient bien compris que les objectifs précités seraient atteints quels que soient l’actualité conjoncturelle, les dégradations infligées par les agences, la récession et le chômage.

Alors nous posons perfidement la question. Ne serait-il pas temps de profiter de la marée haute pour faire descendre les passagers tant que le pont du bateau est à la hauteur du quai ?

Wall Street a glissé, tout doucement mais régulièrement, tout au long de la séance, sans à-coup, sans bruit… tiens, justement, comme une marée qui se retire.

Ce fut donc une consolidation tout en « doigté », le cahier des charges indiquait qu’il fallait éviter de déclencher des stops vente : mission accomplie !

Le Dow Jones Industrial a lâché 0,47% et enfoncé les 13 000 points (à 12 965). Le S&P (-0,46%) s’est maintenu facilement au-dessus des 1 400 points, et le Nasdaq (-0,27%) a préservé in extremis les 3 000 points (à 3 002 points).

S’il fallait maintenir les indices américains au-dessus de ces niveaux, une petite injection supplémentaire de « super-dividendes » ferait l’affaire.

De toute façon, il reste un peu moins de trois semaines pour distribuer la trésorerie des entreprises avant la fin du monde : qu’en feraient-elles après le 21 décembre ? Les gérants seront presque tous en congé.

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