▪ Il fallait sauver le soldat athénien — ou tout du moins faire semblant qu’il pourrait survivre à ses blessures et peut-être même un beau jour reprendre le combat. Une bonne partie de l’opinion publique allemande plaidait pour que l’on abrège ses souffrances. La France s’était prononcée très tôt pour ce que de nombreux partenaires européens qualifiaient d’acharnement thérapeutique.
La Grèce n’est pas près de disputer le prochain Marathon de la croissance économique. L’équipe médicale réunie à Bruxelles a décidé de maintenir coûte que coûte ses fonctions cardiaques et respiratoires, de l’alimenter par intraveineuse, d’assurer une bonne irrigation du cerveau… bref, de repousser le diagnostic d’une mort clinique. Et nul ne sait à combien s’élèvera la facture.
C’est ce genre de mobilisation de tous les moyens médicaux que Hank Paulson et la Fed ont refusé à Lehman Brothers. Richard Fuld n’avait pas souscrit une assez bonne mutuelle auprès de Wall Street, contrairement au géant en faillite AIG — rien d’étonnant de la part d’un assureur !
Les Etats-Unis avaient clairement les moyens de renflouer Lehman puisqu’ils n’ont pas regardé à la dépense lorsqu’il s’agit de secourir quelques jours plus tard AIG (ce qui a coûté quatre à cinq fois plus cher. La facture a été tellement astronomique — indécente, selon l’administration Obama — que nul ne sait combien d’argent a été englouti dans ce trou noir de la finance ; probablement plus de 200 milliards de dollars.
▪ Le sauvetage bis de la Grèce représente des sommes équivalentes : 110 milliards d’euros en 2010 plus 100 milliards environ en 2011. Au moins, il ne s’agit pas d’éponger un désastre causé par des délires spéculatifs et ne laissant derrière lui qu’un énorme monceau de résidus financiers toxiques et nauséabonds.
La Grèce possède encore quelques actifs qui constituent un bon alibi politique pour lui permettre de « tenir son rang »… quelques mois ou quelques trimestres de plus parmi les 17 pays ayant choisi d’adopter l’euro.
S’il ne s’était agi du risque systémique lié à une restructuration drastique de sa dette (Bruxelles ne fait que repousser l’échéance), la plupart des pays du nord de l’Europe auraient volontiers laissé choir la Grèce. Cela même si elle décidait de faire cadeau de quelques îles paradisiaques à ses créanciers.
Il faudra un jour se résoudre à une opération vérité sur la valeur de sa dette souveraine. Ce ne sont pas les gouvernements de la Zone euro qui se plieront à cet exercice… mais bien les marchés financiers qui les obligeront à mettre la main à la poche — c’est-à-dire impliquer directement les contribuables dans un véritable plan de sauvetage — ou accepter le chaos.
Pour l’heure, le sommet de Bruxelles se prépare à accoucher d’une véritable macédoine (ancienne province grecque des temps homériques) de mesures. Elles visent surtout à abuser les agences de notation et à les dissuader de recourir à des notations qui impliqueraient le déclenchement des CDS — le même genre d’instrument qui causa l’effondrement d’AIG et de 90% des assureurs crédit aux Etats-Unis en 2008.
La Grèce n’échappera probablement pas à un scénario de défaut partiel, qui s’est déjà produit dans des pays émergents étranglés par un endettement trop élevé. Cela n’avait pas provoqué de drame économique ni effrayé les créanciers (ils se préparaient à pire) et la situation de crise financière avait été peu à peu résolue.
Il manque toutefois un élément déterminant à la dernière phrase du paragraphe précédent : la suite, c’est « grâce à un ajustement significatif et structurel du cours de la devise ».
Sans la possibilité de dévaluer, la Grèce n’a aucune chance de s’en sortir, et ses créanciers non plus ! Les sherpas réunis à Bruxelles doivent en être tellement convaincus qu’ils n’évoquent même pas des mesures de relance de l’économie grecque : il ne sert à rien de rajouter encore plus d’argent dans le tonneau des Danaïdes.
▪ Tous les efforts portent donc sur l’allègement du fardeau de la dette. Aux toutes dernières nouvelles, Athènes bénéficierait d’un abaissement du taux qui lui a été consenti au printemps 2010 (plan d’urgence de 110 milliards d’euros) et d’un allongement de la maturité de cette dette, de sept ans et demi à 15 ans.
Le Fonds de soutien (FESF) verrait ses moyens considérables renforcés avant l’échéance fixée à 2013 ; cela contrarie la position allemande, mais elle a « évolué » sous la pression de Nicolas Sarkozy. Le FESF serait également autorisé — avec l’aval de la BCE qui y était très hostile — à racheter de la dette grecque, même en défaut.
Car il n’est pas exclu, selon Jean-Claude Juncker, que la Grèce fasse partiellement défaut sur certains instruments complexes dont nous vous épargnerons la nomenclature. C’est toutefois une éventualité que les marchés ont apparemment déjà prise en compte dans les cours.
▪ Ceci expliquerait que le CAC 40, très chahuté en début de séance, soit ressorti du rouge jeudi midi avant d’accélérer fortement à la hausse jusque vers 3 840 points. L’euro refranchissait dans le même temps le cap des 1,43 $ (la forte résistance des 1,4270 $ étant débordée) pour se hisser jusque vers 1,44 $.
En Europe, les mauvaises statistiques de la matinée ont été reléguées au second plan. L’activité dans le secteur privé de la Zone euro a pourtant poursuivi son ralentissement en juillet (à 50,4 points) pour atteindre son plus bas niveau en près de deux ans, d’après les résultats préliminaires de l’enquête Markit réalisée auprès des directeurs d’achats… En France, l’indice flash PMI chute vers 54,2, au plus bas depuis 16 mois.
Ces chiffres ne sont guère porteurs de perspectives économiques radieuses. Cela n’a pas empêché le CAC 40 de clôturer en hausse de 1,65% à 3 816 points. L’Euro-Stoxx50 a fusé à la hausse de 2,15% — soit 3,5% sur la semaine si rien ne bouge — dans le sillage de Madrid (+3%) et Milan (+4%).
▪ Après l’Europe, Wall Street se mettait jeudi soir à croire à son tour à la disparition du risque de défaut de paiement… Cela alors même que la Maison Blanche publiait un communiqué n’annonçant aucun progrès dans les négociations mettant aux prises les membres du Congrès.
Les indices américains ont renoué avec leurs meilleurs niveaux du jour à la mi-séance. Le Dow Jones était en hausse de 1,5% à 12 750 points ; il retrace ainsi à 0,5% près son zénith annuel et affiche un gain de 10% sur l’année 2011.
Le S&P s’envolait tout comme Paris de 1,65%, à 1 346 points. Le Nasdaq — qui ne gagnait plus que 0,45% vers 17h45 — a repris de l’altitude : +0,9% à 2 838 points. Nous essayons d’imaginer quelle correction pourrait survenir, depuis les sommets annuels des dernières heures, si les investisseurs prenaient conscience qu’ils vivent un véritable rêve éveillé…