La Chronique Agora

Sans crises, l’imaginaire domine la finance

crise économique, finance

Pour dépasser les limites de la réalité, la finance a inventé un monde parallèle dans lequel il est devenu possible d’échanger du vent, mais aussi des obligations, options et autres dérivés sur le vent…

Dans mon dernier article publié dans La Chronique Agora en 2021, je m’interrogeais sur les causes des crises. Aujourd’hui, personne n’écrit sur le sujet de l’origine des crises qui se succèdent sous des formes variées depuis la financiarisation.

Les plus avisés se contentent d’imputer ces crises aux excès de la financiarisation (par exemple Minsky) sans pousser plus loin leurs analyses. Ils ne se posent pas la question pourtant évidente, l’éléphant au milieu de la pièce : pourquoi le système s’est-il financiarisé ?

Les observateurs semblent considérer que cette financiarisation coulait de source, qu’elle était tombée du ciel sans détermination autre que le hasard, l’ordre des choses ou – à la rigueur – l’appât du gain des protagonistes.

C’est une attitude anti-scientifique. Elle a des raisons diverses : la complexité de la chose financière, qui rebute les pseudo-intellectuels, mais aussi la mystification propre au capitalisme – qui s’efforce toujours de masquer ses mécanismes, son fonctionnement, ses contradictions, etc.

Le capitalisme de l’imaginaire

Pour résumer, la financiarisation a été un moyen pour le capitalisme de s’envoyer en l’air fictivement.

Au-delà de la vulgarité, cette expression est juste : le capitalisme s’est envolé dans l’imaginaire, dans le monde des signes, afin de dépasser – faussement, pas réellement – ses difficultés. Pas assez de ressources pour faire vivre et reproduire le système ? Solution toute trouvée : on invente des ressources fictives, des promesses de ressources, ou même des illusions de ressources.

La financiarisation est un moyen de dépasser dans l’imaginaire, la rareté et d’échapper à la loi de la valeur. Elle va au de la prédominance du capital financier sur le capital productif. Elle désigne la fusion du capital bancaire et du capital productif ainsi que la domination du second par le premier.

Et je vais au-delà : la financiarisation désigne la fusion du capital de marché avec le capital bancaire et avec le capital productif, le tout sous le signe de la dette.

Malgré la multiplication des travaux, la financiarisation du capitalisme est un sujet vierge.

Il n’a jamais été étudié sous sa forme moderne maintenant dominée non par le capital bancaire, mais par les marchés en tant qu’espaces alchimiques de production et de reproduction du capitalisme, libérés de la pesanteur de la production, où l’on réussit à vendre du vent. Et même de l’espoir et de la dérivée de vent. En apparence bien sûr, car il faut bien que quelqu’un travaille, se coltine le poids du monde, produise la plus-value.

Les crises périodiques sont nécessaires

La financiarisation est une conséquence des contradictions internes du capitalisme. Le capital s’accumule et s’il n’est pas détruit au fur et à mesure de son accumulation par les crises périodiques de nettoyage, il se suraccumule.

Quand cela se produit, l’intensité capitalistique augmente en regard de la main-d’œuvre, et la mise en valeur du capital devient de plus en plus difficile. Le capital n’arrive pas à s’attribuer assez de surproduit pour se rentabiliser.

La suraccumulation est le mal interne, endogène du système capitaliste. C’est incontournable, le capital a tendance toujours à s’accumuler plus vite que la production de profit. Avant, on disait il faut une bonne guerre pour que le système reparte.

La contradiction interne du capitalisme découle du fait que c’est le système de l’accumulation du capital et donc de la recherche continuelle de profit, mais que la masse de profit ne progresse pas assez pour satisfaire tous les besoins.

C’est ainsi que se pose et s’expose la dialectique du capital : le besoin de toujours plus de profit, un ogre insatiable.

Peser sur le facteur travail

Je passe sur les moyens dont dispose le capital pour tenter de dépasser cette contradiction, mais j’évoque rapidement le besoin de peser sur les salaires, de déréguler le marché du travail, de gagner de nouveaux marchés, d’exploiter de nouvelles sources de main-d’œuvre, de mécaniser, de robotiser, etc.

L’un des moyens qui a fait surface à l’époque du président John F. Kennedy est le recours à la finance. C’est une sorte de moyen radical qui repose sur le fait que la finance, tout en étant le reflet de la réalité économique, peut en même temps en être aussi détachée.

C’est l’aspect faustien : on peut détacher les ombres des corps, on peut disjoindre les signes qui expriment le réel du réel lui-même, c’est à dire créer un imaginaire qui peu à peu s’autonomise et dispose de ses règles propres.

Cet imaginaire étant imaginaire, il dépasse les contradictions du réel. On peut y affirmer que 2+2=5.

L’imaginaire est une sorte de discours, de rêve qui peu à peu prend ses libertés – comme le dollar en 1971 – et satisfait ses désirs comme dans les rêves.

Les rêveurs ignorent les contradictions, les raretés, les limites. Comme les enfants d’ailleurs.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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