La Chronique Agora

Sans alternative à la dette

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Avec le besoin absolu d’honorer les dettes, le système économique a confisqué le pouvoir politique.

Comme nous l’avons vu mardi dernier, le débat sur le plafond de la dette ignore totalement l’une des parties prenantes, pour reposer entre les mains des seules élites dépensières.

Et ce n’est pas un hasard si ces dettes ont pris une place aussi importante, sur les marchés financiers comme dans les discours politiques.

Les Etats-Unis par exemple sont structurés autour de l’hégémonie du dollar, c’est-à-dire autour de l’hegemon de la dette du Trésor et donc des déficits du gouvernement américain.

L’Europe, elle, est en voie de destruction et déstructuration autour de l’euro qui est pure dette, et en tant que dette, pur reflet des contradictions et antagonismes de la construction européenne.

Ce que je tente de vous faire re-appréhender, c’est l’éléphant au milieu de la pièce : la dette est déterminante, déter-minante, c’est elle qui produit la monnaie ; et cette monnaie est le catalyseur, le sang, le moteur de vie, en tant qu’équivalent de tous vos désirs depuis que vous êtes aliénés dans l’« avoir » et la marchandise.

Nos sociétés ont sacralisé les dettes et la Dette. Elles l’ont placé au centre.

La dette d’avant

Cela n’a pas toujours été ainsi, loin de là. L’idée originale de la dette, du service de la dette, des paiements d’intérêts, et du régime foncier correspondant, a déjà été mise en place au troisième millénaire avant notre ère.

La plupart des gens pensent que la Grèce, Rome et la civilisation occidentale sont le début de tout. C’est faux bien sûr : la Grèce et Rome ont développé leurs pratiques économiques et leurs pratiques sociales à partir des tribus primitives et civilisations qui se sont développées avant elles.

Commencer l’histoire avec la Grèce et Rome passe à côté du fait qu’ils étaient en quelque sorte à la périphérie de 3 000 ans de développement de Sumer à l’empire babylonien, à l’Assyrie, à la Judée et à Israël.

Tous ces pays du Proche-Orient avaient une pratique commune. Je soutiens que c’est cette pratique commune qui a structuré leurs sociétés et leur vie politique en s’opposant aux inégalités de fortune et à la dictature des ploutocrates.

Cette pratique courante commune était ce que la religion juive appelait l’année du Jubilé. Les annulations de dettes au cours de la 50e année étaient placées au centre même de la loi mosaïque dans le chapitre 25 du Lévitique.

Les lois juives ont été tirées mot pour mot de la pratique babylonienne. Vous annuliez les dettes – pas les dettes commerciales, mais les dettes personnelles – qui étaient dues.

Vous libéreriez les esclaves qui ont été engagés et vous restitueriez des terres aux personnes qui les auraient perdues. De cette façon, vous auriez empêché une oligarchie de se développer et de s’emparer de tout le territoire.

Tout doit être payé

La question de la dette constitue selon moi le débat démocratique par excellence et… par construction cynique du système de la financiarisation ; vous n’avez hélas pas votre mot à dire !

Je reviendrai sur ce thème, car il est lié à mon cadre analytique lequel repose sur : l’accumulation du Capital, la suraccumulation du capital fictif, le besoin de profit, le besoin d’honorer les dettes dans le système et la nécessité qui en découle à mon sens d’euthanasier une grande partie du capital excédentaire dans le système, par un moyen ou un autre.

Le message central de la financiarisation, et le message politique de l’histoire économique moderne est le suivant : TINA ! There is no alternative : il n’y a pas d’alternative !

Les rapports sociaux imposés par le capital et les dettes sont immuables ; tout doit être honoré, payé, le Capital doit faire son plein ! Et il a confisqué le pouvoir pour pouvoir faire son plein !

C’est pour cela que les Bourses – qui sont le temple du Capital – valent beaucoup plus cher qu’avant ; c’est parce que le Capital a gagné la lutte, il a été sacralisé, protégé par les politiciens nommés par les ploutocrates. Le Capital fictif de la dette est devenu l’invariant du système, tandis que ce sont les salaires qui sont devenus la variable d’ajustement. Par conséquent, il n’y a pas d’alternative à l’avenir. Toutes les dettes doivent être payées et les intérêts des créanciers doivent primer sur les intérêts des débiteurs et sur ceux de la société endettée dans son ensemble.

Le fait que les premières sociétés ont fait face au problème de la dette, non pas en laissant les créanciers saisir les biens, mais en euthanasiant les dettes afin de maintenir un équilibre entre ce qui était dû et ce qui pouvait être payé devrait faire réfléchir les élites ; euthanasier le Capital, c’est moins cruel que les guerres.

Note : vous remarquez que dans ce texte je ne fais pas de distinction entre le soi-disant « capital propre » et les dettes, et pour cause : j’en suis parvenu au point où dans mes analyses, les deux sont devenus équivalents. Le capital propre n’étant plus propre, ne supportant plus les risques et étant bien souvent produit… à crédit.

Le quoi qu’il en coûte, ce n’est jamais à eux, non, c’est toujours à vous ! Nous sommes dans un système de tiers payant généralisé. La division des tâches, les uns produisent, les autres jouissent !

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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