La Chronique Agora

Sandy, Bastiat et la « vitre cassée »

▪ Soyons clairs… L’ouragan Sandy a détruit de la richesse. Des maisons parfaitement saines ont été réduites en ruines. Des routes correctes ont été dévastées. Des bateaux parfaitement utilisables ont été coulés.

Mais les économistes profitent de l’occasion pour donner de mauvaises idées. Ils affirment que le PIB grimpera à mesure que les gens reconstruisent… et que les emplois suivront dans le secteur de la construction. De l’agence Associated Press :

« Les maisons de 30 000 à 40 000 personnes ont été gravement endommagées par Sandy, ont annoncé les autorités durant une conférence, et des logements à court et long terme sont nécessaires. Le directeur de la FEMA Craig Fugate a déclaré que 86 000 foyers de la région de New York ont déjà déposé des demandes d’aide fédérale, pour un coût de 97 millions de dollars ».

« ‘Notre premier souci est de nous assurer qu’ils ont de la nourriture, de l’eau et qu’ils sont en sécurité ; parallèlement, nous travaillons à des solutions de plus long terme’, a déclaré Bloomberg. ‘D’après mon souvenir, les chiffres de Katrina auraient été similaires’. »

« Certains des plus grands logements de la ville seront ‘hors d’usage pendant très longtemps’, a ajouté Bloomberg ».

« Le sénateur Charles Schumer a déclaré qu’il y a très peu de chambres d’hôtel à Staten Island, durement touchée, ce qui rend le relogement des familles coûteux et difficile. ‘Nous avons demandé une vraie flexibilité, et nos coûts de logement sont bien plus élevés que dans le reste du pays. Il nous faudra peut-être des solutions uniques ici, en termes de ce qui est accordé pour les remboursements’, a-t-il dit. ‘Des dizaines de milliers de personnes devront être relogées’. »

On pourrait penser qu’en conséquence, tout ira mieux. Les dégâts sont positifs parce qu’ils « mettent les gens au travail » ou « augmentent la demande ».

▪ Une idée fausse qui s’applique à l’économie dans son ensemble
Les pertes ne deviennent pas des gains juste parce que les gens essaient de rentrer dans leurs frais. Les habitants des régions de New York et du New Jersey qui ont été affectés par la tempête (ainsi que les contribuables américains dans leur ensemble) devront dorénavant dépenser environ 40 milliards de dollars juste pour revenir à leur point de départ.

Frédéric Bastiat a traité le sujet il y a plus d’un siècle et demi. Même à l’époque, certains économistes pensaient qu’une vitre cassée pouvait augmenter la prospérité… parce qu’elle fournissait du travail au fabriquant de verre, au vitrier et ainsi de suite. Bastiat, dans son essai sur Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas :

« A quelque chose malheur est bon. De tels accidents font aller l’industrie. Il faut que tout le monde vive. Que deviendraient les vitriers, si l’on ne cassait jamais de vitres ? »

« A supposer qu’il faille dépenser six francs pour réparer le dommage, si l’on veut dire que l’accident fait arriver six francs à l’industrie vitrière, qu’il encourage dans la mesure de six francs la susdite industrie, je l’accorde, je ne conteste en aucune façon, on raisonne juste. Le vitrier va venir, il fera besogne, touchera six francs, se frottera les mains et bénira de son coeur l’enfant terrible [qui a brisé la vitre]. C’est ce qu’on voit« .

« Mais si, par voie de déduction, on arrive à conclure, comme on le fait trop souvent, qu’il est bon qu’on casse les vitres, que cela fait circuler l’argent, qu’il en résulte un encouragement pour l’industrie en général, je suis obligé de m’écrier : halte-là ! Votre théorie s’arrête à ce qu’on voit, elle ne tient pas compte de ce qu’on ne voit pas« .

« On ne voit pas que, puisque notre bourgeois a dépensé six francs à une chose, il ne pourra plus les dépenser à une autre. On ne voit pas que s’il n’eût pas eu de vitre à remplacer, il eût remplacé, par exemple, ses souliers éculés ou mis un livre de plus dans sa bibliothèque. Bref, il aurait fait de ses six francs un emploi quelconque qu’il ne fera pas ».

Merci, Frédéric.

Vous avez fait plus que démonter le « sophisme de la vitre cassée ». Vous nous avez donné l’explication de ce qui afflige les Etats-Unis… et le monde développé dans son ensemble.

Oui, cher lecteur, le commerçant… le concierge… le banquier… le charpentier — qui que l’on mette dans le rôle principal de cette histoire — n’a qu’une quantité limitée d’argent. Si on le force à le dépenser de manière peu judicieuse… à l’utiliser pour réparer quelque chose qui ne devrait pas être réparé… ou à investir dans un plan insensé… l’argent sera perdu. Il ne contribuera pas au bien-être du pauvre homme… ni à celui de l’économie dans laquelle il vit.

C’est stupéfiant, combien peu de progrès ont été faits depuis que Bastiat a décrit l’évidence. Ce pauvre Bastiat. Il en a eu assez d’essayer d’expliquer tout ça à ses concitoyens français. Il a déménagé à Rome… où il est mort à l’âge de 49 ans.

Nous voilà 162 ans plus tard, et on entend les mêmes erreurs et imbécilités.

Sur la question des finances du pays, par exemple, presque tout le monde continue de croire que le gouvernement devrait « stimuler » l’économie. Mais comment ? Il n’a pas d’argent. Il doit donc l’emprunter. A qui ? Aux charpentiers, peintres, bouchers et boulangers dont les ressources — comme le bourgeois de l’exemple de Bastiat — sont limitées. En d’autres termes, pour relancer Paul, il faut « dé-relancer » Pierre. L’effet sur Paul est vu. La « dé-relance », non.

Naturellement, Paul est tout à fait en faveur de telles mesures. Mais prendre de l’argent à Pierre n’ajoute pas un sou de véritable demande. Cela ne fait que transférer les ressources de leurs propriétaires légitimes… vers les zombies chanceux et rusés qui sont proches des politiciens.

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