Wall Street s’est brutalement réveillé, secoué par une adjudication ratée de Treasuries à 20 ans. Le signal est clair : les marchés obligataires vacillent, malgré l’euphorie persistante des actions.
Wall Street (-1,6% à -1,9% mercredi soir) semble soudain ressorti de son « rêve bleu ». En effet, à la mi-séance, vers 19h, certains opérateurs ont liquidé des positions suite à une adjudication mal souscrite de Treasuries à 20 ans, programmée dans la matinée.
Coïncidence troublante, mardi matin, c’est également une adjudication de bons du Trésor à 20 ans au Japon qui avait échoué lamentablement par manque d’enchérisseurs, ce qui avait fait exploser leur taux de 2,40% vers 2,55%, alors que le rendement était de 1,915% le 7 avril.
Même motif, même punition : le rendement du 20 ans US s’est envolé de 4,985% vers 5,115% (+13 points de base, atteignant un niveau plus revu depuis octobre 2023), surpassant le rendement du 30 ans (5,08%, pire score depuis vingt ans).
Wall Street et certaines catégories d’investisseurs devenus influents s’obstinent à ignorer les multiples signaux d’alerte en provenance du Japon ou des Treasuries, alors que les Etats-Unis ont encore 7 500 Mds$ de bons du Trésor à placer dans les douze prochains mois.
La demande de T-Bonds ne ralentit pas
C’est un miracle qu’il y ait encore une demande aussi soutenue pour les T-Bonds, si l’on considère les appels au marché massifs et les créanciers que Trump s’emploie à « rudoyer » à coup de tarifs punitifs. Jusqu’à mi-mai, leur rendement était sans rival, mais voilà que nos OAT repassent le cap des 3,40% et le 40 ans japonais offre du 3 600%. Ce genre de compression des spreads à bas bruit ne parle en général qu’aux initiés…
Ce que nous ne cessons de souligner, c’est que le compartiment obligataire américain ne cesse de se dégrader dans l’indifférence générale depuis le 7 avril, soit au début du rallye des indices US. Entre le 7 avril et le 1er mai, le rendement du 10 ans s’est envolé de 45 points, dont +11 points à plus de 4 600% (soit un quart du total pour ce seul mercredi), tandis que le 30 ans affiche presque 50 points de plus.
Le 10 ans affiche désormais un niveau équivalent à celui de fin octobre 2023, quand Wall Street s’était enflammé avec la confirmation du « pivot de la Fed ». Le S&P 500 se traitait alors autour de 3 500 points : le voici 70% plus haut, de nouveau très proche des 6 000 points, avec des taux revenus à leur niveau initial – comme si la Fed avait laissé ses taux inchangés.
Les acheteurs se sentent pousser des ailes
La chute de la « prime de risque » en faveur des actions en 18 mois est abyssale.
Seulement, plus elle apparaît défavorable, plus les acheteurs se sentent pousser des ailes… Nombre d’entre eux ont commencé à jouer en Bourse lors des confinements du printemps 2020. Beaucoup considèrent toujours Wall Street comme un mélange entre paris sportifs et jeux vidéo en équipe. Ils s’informent sur des forums et pratiquent le copy trading – pratique qui permet aux individus sur les marchés financiers de copier les positions ouvertes gérées par d’autres individus – à grande échelle.
Ils ont fait de ce mantra leur devise : « Les banquiers centraux sont nos amis et les actions, ça monte toujours. » Surtout si on n’arrête pas d’acheter en mode FOMO. Mais ont-ils seulement la moindre idée du genre de guêpier dans lequel se retrouvent leurs « indéfectibles alliés », la Fed et la Bank of Japan (BoJ) ?
Le Japon en récession ?
Ils semblent complètement pris au dépourvu, entre une croissance disparue – le Japon est en récession – et une inflation persistante, parmi les plus élevées depuis 2007, des déficits qui s’accumulent (260% de ratio dette/PIB).
Les taux de marché dictent leur loi et la BoJ semble avoir perdu le contrôle, alors que le chef du gouvernement évoque une « situation pire que la Grèce ».
Rassurez-vous, la dette nippone est à 90% auto-détenue. Rien à voir avec les déboires d’Athènes et ses créanciers en 2010. En termes de dégâts dans les bilans pour les banques, les assureurs et les organismes de gestion des retraites japonaises, le krach obligataire du mois de mai risque d’avoir des conséquences économiques et politiques que l’on ne mesure pas encore.
Ce qui semble déjà évident, c’est que ce sont autant d’acteurs – plombés par des pertes sans précédent sur leur propre gisement obligataire – qui n’ont plus de munitions pour participer aux enchères de la Fed.
La boucle de rétroaction se développe de la façon suivante : les pertes subies au Japon aggravent les problèmes de solvabilité de ce pays, ce qui pourrait l’amener à vendre davantage de bons du Trésor, poussant à nouveau les rendements américains à la hausse et amplifiant les pertes latentes sur ces mêmes instruments pour les institutionnels nippons, nécessitant d’en vendre encore davantage pour rester à flot.
Ceci est un simple mécanisme symétrique et négatif du carry trade, sous forme de cercle vicieux, basé sur des emprunts à coût quasi nul auprès de la BoJ (0,1% en 2020 sur du 10 ans, 0,5% sur du 30 ans) pour investir sur des T-Bonds à 4%. En bonus : une hausse de leur valeur nominale du fait de l’intensité d’une demande japonaise intarissable.
Les banques centrales poussent au risk-on
Comme tout le monde a compris la martingale, des milliers d’opérateurs ont adopté ce schéma, moyennant une petite couverture contre une improbable remontée du yen. Il y a quand même peu de chance que cela arrive puisque tout le monde le vend en permanence à découvert contre du dollar, pour amplifier les effets de levier à Wall Street.
Car 4%, c’est pour les frileux !
Il y a beaucoup mieux à faire avec le NASDAQ, les Sept Fantastiques ou des titres comme Nvidia, Palantir, Rheinmetall à Francfort (+180% depuis le 1er janvier).
Et, puisque les banques centrales poussent au risk-on, allons au bout de la logique avec le Bitcoin. Il a battu un nouveau record absolu à 110 700 $ (contre 109 300 $ le 20 janvier), juste avant que soit connu le fiasco du 20 ans US.
Comment se sentiront, ce jeudi soir, ceux qui ont annoncé triomphalement – comme Michael Saylor – avoir « fait la hausse » depuis le refranchissement des 100 000 $ mi-mai, puis déclaré sur X : « Le BTC vient de passer les 110 000 $, c’est votre dernière chance pour en acheter : ne pas le faire, c’est laisser bêtement de l’argent sur la table » ?
L’or physique et l’or numérique se retrouvent au coude à coude : l’un monte en raison d’un risk-on forcené, l’autre pour la raison inverse.
L’histoire ne devrait pas tarder à trancher !