La Chronique Agora

La richesse réelle ne suit pas l’augmentation des marchés boursiers

▪ La vie à la campagne a bien changé. Autrefois, elle était difficile, rude et isolée. Aujourd’hui, avec un peu d’argent, internet et quelques technologies anciennes et modernes, ça peut être bien plus amusant…

Nous sommes parti en Normandie vendredi afin d’aider à rénover un vieux corps de ferme, et nous avons passé une bonne partie du week-end à couper du bois. La Normandie peut être humide, sombre et froide, en automne : pouvoir faire une bonne flambée dans la cheminée est utile.

Aujourd’hui, grâce à des tronçonneuses petites et maniables, il est facile de couper du bois. Bien sûr, il faut toujours le fendre et l’empiler — mais même ces tâches sont plus faciles quand on dispose d’une fendeuse et de la benne hydraulique du tracteur, qui élève le bois à une hauteur confortable. A la fin de la journée, fatigué mais satisfait, on peut s’asseoir devant une bonne flambée avec un petit Calvados, et profiter des fruits de son travail.

La semaine dernière, Wall Street n’a pas eu besoin de flambées pour se remettre de bonne humeur. Les prix ont grimpé. Les personnes possédant des actions US étaient un peu plus riches à la fin de la semaine qu’au début. Bien entendu, la richesse réelle des Etats-Unis n’a pas beaucoup augmenté dans le même temps. De sorte que si les actionnaires se sont enrichis, c’est aux dépens de quelqu’un d’autre.

Ce phénomène devient plus clair lorsqu’on l’envisage sur les sept dernières années. Si l’on s’en tient au Dow, les actions sont passées d’un plancher de 7 000 points environ à un sommet de plus de 17 000. Cela représente une augmentation, pour les actionnaires, de 11 000 milliards de dollars environ.

La richesse telle que suggérée par le marché boursier a augmenté près de 10 fois plus rapidement que la production réelle de l’économie

Sur la même période, le PIB US est passé de 15 000 milliards de dollars à 16 300 milliards. En d’autres termes, la richesse telle que suggérée par le marché boursier a augmenté près de 10 fois plus rapidement que la production réelle de l’économie.

Comment est-ce possible ? Les actionnaires sont beaucoup plus riches. Mais d’où vient tout cet argent ?

L’accroissement de la production devrait signaler une augmentation de la richesse pour tout le monde — à la fois la main-d’oeuvre et le capital. Cependant, les études montrent que quasiment toutes les augmentations de la richesse depuis 2007 sont allées au capital (c’est-à-dire aux propriétaires et aux dirigeants d’entreprises), et rien pour la main-d’oeuvre. C’est pour cette raison que tant de commentateurs se lamentent sur "les inégalités" et le besoin de "faire quelque chose" pour aider "les familles travailleuses de la classe moyenne".

▪ Qui sont les gagnants ? Qui sont les perdants ?
Cette fraude compte plusieurs parties. Comme on peut le constater, la production n’a pas connu d’augmentation significative. Le PIB US a tout juste augmenté. Ce qui nous gêne, ce n’est pas que les gens n’aient pas partagé plus équitablement la nouvelle richesse… mais qu’il n’y ait tout simplement pas eu de nouvelle richesse à partager. En l’absence d’augmentation de la production réelle, ceux qui se sont enrichis (et ils sont rares) ne l’ont pas fait en prenant une part plus grande de la nouvelle richesse ; ils l’ont fait en prenant une part plus grande de l’ancienne richesse. Du vol, en d’autres termes. Et ils ont désormais droit à une part plus grande de la richesse US existante — des ressources, de la main-d’oeuvre et de la production. S’ils pouvaient vendre leurs actions et les transformer ainsi en actifs réels — maisons, voitures, terrains etc. — ils s’en sortiraient avec une bonne longueur d’avance. Ils auraient plus ; d’autres auraient moins.

S’ils essayaient tous de vendre en même temps, qui achèterait ?

Bien entendu, ce n’est pas aussi facile. Parce que leur richesse n’est que sur le papier. Leur nouvelle richesse est réelle — mais passagère. Ils peuvent l’échanger contre d’autres biens et services, mais ils ne devraient pas trop attendre : n’importe que investisseur individuel peut vendre ses actions et transformer l’argent en d’autres formes de richesse… Mais s’ils essayaient tous de vendre en même temps, qui achèterait ? Le marché s’effondrerait et toute la richesse fantasmée disparaîtrait en quelques heures. Voilà pourquoi il paie de sortir tôt !

En attendant, certains gagnent, d’autres perdent. Les gagnants sont rusés. Ils travaillent dans la finance. Ils possèdent des actions. Ils gèrent de l’argent. Ils connaissent le truc. Mais les autres ? Quid des gens dont ils prennent l’argent (ils doivent bien le prendre quelque part) ? Qui sont-ils ? Que pensent-ils ? Que font-ils ? Comment vivent-ils ?

Voici une information de notre vieil ami Jim Davidson. Son livre à paraître, qu’il nous a envoyé pour information, aide à localiser les perdants :

"[…] une analyse démographique de 2014 effectuée par le Washington Post […] a montré que dans 210 comtés des Etats-Unis, les revenus ont atteint leur sommet il y a 45 ans. Dans 572 autres comptés, les revenus ont atteint leur sommet il y a 35 ans. Et c’est uniquement dans 380 comtés […] que les revenus ont atteint leur sommet dans la décennie 2010".

Nous ne savons pas où sont tous ces comtés isolés, mais certains doivent être dans l’ouest de la Pennsylvanie. Nous avons visité la région au sud de Pittsburgh lorsque nous avons assisté aux funérailles d’une tante il y a quelques années. Donora, Charleroi, Monessen — ils devaient autrefois faire partie des comtés les plus riches du pays. Les gens travaillaient dans les aciéries le long du fleuve Monongahela et gagnaient de bons salaires. Puis les aciéries ont refroidi et la "financiarisation" a chauffé.

A suivre…

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