La Chronique Agora

Une richesse de misère

Votre épargne est dans une situation paradoxale : seule la crise assure sa pérennité – tout retour de la prospérité signifierait sa ruine.

Quand les taux d’intérêt sont à zéro, comment aller plus bas et continuer l’enrichissement des spéculateurs boursiers, nous demandions-nous hier ?

C’est le casse-tête des autorités et elles s’arrachent les cheveux. L’une des solutions, c’est de faire des taux négatifs : c’est ce que l’on a tenté en Europe. L’autre solution consiste à jouer sur un subterfuge et de parler de taux réels. Le taux réel, c’est le taux diminué de l’inflation – donc si on est au zéro et que l’inflation est de 3%, le taux réel est négatif de 3%.

Avec des taux réels négatifs, la valeur et donc le prix des actifs financiers qui ont un petit rendement réel positif devrait être infini !

On n’y est pas encore mais vous comprendrez que nous soyons dans un super cycle spéculatif produit par la dette, par les taux nuls ou négatifs et surtout par les assurances que cela va durer longtemps.

Sans ce dernier élément, les spéculateurs se rueraient vers la sortie.

L’importance du facteur temps

Le facteur temps est important car il est essentiel que les gens croient que cela va durer très très longtemps. De même, il est vital que les gens croient qu’il reste des marges de manœuvre – entendez par là des possibilités de baisser les taux et de continuer l’expérience au-delà des horizons des spéculateurs.

Comme on crée sans cesse plus de dettes, il faut en soutenir la valeur, en soutenir le prix. Il faut donc que les porteurs de cette dette la conservent malgré la dégradation de la solvabilité. C’est l’objet complémentaire de la baisse continue des taux : inciter les gens à ne pas se débarrasser des dettes en leur faisant miroiter des plus-values par les baisses de taux !

Les dettes des uns étant par définition la créance des autres, c’est-à-dire leur capital, ce capital s’accroît fictivement tant que la même politique est menée.

Tous les gens qui détiennent un portefeuille boursier se croient de plus en plus riches, la bulle des prix boursiers produit une bulle des patrimoines et des fortunes. Mais – et c’est là le paradoxe – cette fortune ne peut se maintenir, ne peut durer que tant que l’économie réelle qui justifie la politique monétaire, tant que cette économie réelle va mal… et même de plus en plus mal !

Ce qui signifie que vous vous trouvez dans la situation d’une bulle de patrimoine, d’une bulle de fortune qui grossit tant que, et au fur et à mesure que, la capacité à honorer cette bulle par des revenus, des bénéfices, se réduit.

Un paradoxe sans précédent

Le capital fictif ne peut conserver sa valeur que si et seulement si la capacité à honorer ce capital fictif se réduit. C’est là le paradoxe de la situation dans laquelle nous ont mis les responsables de la conduite des affaires.

Ils ont créé un capital fictif, un capital dit « de misère », qui ne peut résister à une amélioration de la situation désespérée qui lui a donné naissance. Il est condamné par avance.

Les fondations sur lesquelles la richesse fictive est construite sont de pur sable. A mesure que la bulle de richesse fictive enfle, la capacité sous-jacente à générer des revenus est en fait détruite. C’est la nécessité incontournable de cette situation.

C’est pour cela que depuis de nombreuses années j’utilise, pour désigner cette richesse, l’expression « richesse fictive » ou « richesse de misère ».

Cette situation est bien pire que celle qui fut créée par l’expérience de John Law il y a trois siècles.

John Law et son système auraient peut-être pu s‘en sortir si ses différentes Compagnies – des Indes, du Mississipi et autres – avaient vraiment prospéré. Pour nous en revanche, pas question : le retour de la prospérité signifiera l’éclatement de la bulle, de toutes les bulles.

Une valorisation des actifs financiers sur la seule base de la baisse des taux d’intérêt est une valorisation de misère qui se révèle pour ce qu’elle est quand la misère cesse : sans fondement, sans substance.

C’est le retour de la prospérité ou le retour de l’inflation qui nous débarrasseront de toute cette richesse fictive.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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