Face à l’essoufflement du système de retraite par répartition, des économistes défendent la mise en place d’un régime mixte – combinant capitalisation et répartition.
Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, le système de retraites actuel par répartition est coûteux, pénalise les actifs et les plus modestes, freine l’épargne nationale et aggrave les inégalités.
Un système mixte : 2/3 répartition, 1/3 capitalisation
Dans ces conditions, on comprend bien qu’une réforme s’impose. Et Bertrand Martinot, expert à l’Institut Montaigne, propose une substitution du régime par répartition actuel par un système mixte combinant répartition et capitalisation, en s’inspirant de dispositifs collectifs et obligatoires déjà introduits en France comme la retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) et la retraite des sénateurs.
Le nouveau système remplacerait « les deux étages de retraite de base (régime général) et des retraites complémentaires (Agirc-Arrco) ». Il pourrait, comme aujourd’hui, « être complété par des dispositifs d’épargne retraite collectifs ou individuels volontaires ».
Bertrand Martinot explique ensuite sur quels piliers devrait reposer ce système mixte et comment il serait possible de le mettre en place (phase de transition).
Dans ce scénario, chaque salarié du secteur privé se voit doté d’un compte personnel de retraite, alimenté par une cotisation dédiée prélevée sur son salaire. Concrètement, une personne commençant à cotiser l’année de mise en place (2025) bénéficiera au moment de son départ en retraite d’une pension qui sera financée à hauteur de 33 % par ses contributions au fonds de capitalisation. Martinot estime que « la montée en charge du pilier par capitalisation étant nécessairement très progressive, la proportion des pensions du secteur privé versées par capitalisations serait de 25 % en 2070 ».
Cependant, selon Martinot, il n’est pas possible de mettre en oeuvre ce pilier par capitalisation sans avoir au préalable fait des économies sur la répartition. Il suggère ainsi que soient réduites les dépenses de solidarité qui ne se justifient plus. Il s’agirait ainsi de limiter la validation de trimestres pour les périodes de chômage, de supprimer la prise en charge par l’Unedic d’une partie des achats de points de retraite complémentaire durant les épisodes de chômage, de rationaliser les différents avantages familiaux, de fixer l’âge du taux plein pour la retraite complémentaire Agirc-Arrco à 67 ans (sauf invalidité ou inaptitude), quelle que soit la durée cotisée, et de repenser les fins de carrière. Tout cela ferait économiser 40 milliards d’euros à long terme sur les retraites du secteur privé.
C’est à ce prix que la capitalisation pourra être tentée, car il n’est pas question d’accroître les prélèvements sur le travail. Bertrand Martinot propose donc que la cotisation pour la capitalisation – qu’il fixe à 4 % – soit compensée par une diminution du taux de cotisation pour la répartition. « Au fur et à mesure de la montée en puissance du système par capitalisation, la somme du taux de cotisations par répartition et du taux de cotisations par capitalisation aboutirait à une diminution nette des cotisations, jusqu’à environ 7 points à l’horizon 2070 (une diminution de 11 points de la cotisation par répartition et création d’une cotisation par capitalisation à hauteur de 4 %). »
Cette manière de faire « permet de réduire à terme les cotisations pesant sur le travail tout en diminuant la charge globale que les retraites font peser sur les actifs et les entreprises ». Par conséquent, les finances publiques en profitent.
Martinot suggère, par ailleurs, que l’on autorise « une certaine liberté dans le choix du niveau de cotisation et de retraites », la capitalisation permettant « une modulation des cotisations en fonction des préférences de chacun ».
Puisque chaque salarié verra, en temps réel, le montant de droits de pension accumulé, il pourra faire des arbitrages entre travail, cotisation et niveau de pension. Par exemple, il pourra « décider de verser sur son compte personnel une cotisation inférieure pour gagner en pouvoir d’achat, quitte à accepter une pension par capitalisation plus faible, le pilier par répartition lui assurant déjà une couverture retraite minimale ». Et inversement, il pourra « décider de cotiser davantage et de bénéficier d’une pension plus élevée ». Il pourra aussi choisir de compléter les deux premiers piliers (répartition et capitalisation obligatoires) par un plan d’épargne retraite volontaire.
Pour Bertrand Martinot, l’équation est simple. Soit on laisse « dériver notre système actuel par répartition qu’il faut rafistoler tous les trois ou cinq ans, au prix de crises politiques et sociales de plus en plus violentes tout en sacrifiant les générations futures ». Soit on baisse dès maintenant nos dépenses et on trouve les marges financières nécessaires pour introduire un pilier par capitalisation. Il ajoute qu’il « est déjà bien tard, mais peut-être pas encore trop tard » !
Transformer le régime par répartition en régime par capitalisation
Jean-Philippe Delsol (président de l’Iref) a présenté l’étude qu’il a menée pour le think tank qu’il préside.
Intitulé « Garantir les retraites et augmenter le niveau de vie des salariés et des retraités avec des retraites par capitalisation », ce rapport aborde le sujet de manière beaucoup plus radicale que celles de Martinot, dans le sens où il considère qu’il est urgent de passer d’un système reposant exclusivement sur la répartition à un régime qui reposerait à 100 % sur la capitalisation… Un passage qui sera très onéreux, prévient Delsol, mais qui est possible à long terme et surtout souhaitable.
Le président de l’Iref débute son étude en insistant sur un point souvent sous-estimé : « Nos retraites par répartition sont des promesses illusoires. C’est une tromperie politique. » Les jeunes qui cotisent aujourd’hui, à des taux très élevés, pour payer la retraite de leurs aînés, risquent de ne plus avoir grand monde pour cotiser pour eux quand ils atteindront l’âge de la retraite.
Le rapport de l’Iref remet aussi quelques pendules à l’heure s’agissant du coût du système actuel et de son rendement. Il rappelle qu’aujourd’hui, en France, le rapport entre le nombre de personnes en emploi qui cotisent au système des retraites et le nombre de retraités est de 1,7 et il qu’il serait de 1,2 en 2070.
Par ailleurs, on oublie trop souvent que l’Etat, c’est-à-dire les contribuables actuels ou futurs (car financé par l’endettement) mettent la main à la poche puisque, en 2023, seules 66 % des ressources du système de retraite provenaient des cotisations. En fait, les dépenses de retraite ont représenté 386,3 milliards d’euros pour seulement 256,8 milliards d’euros de cotisations, soit un manque de 130 milliards d’euros.
Enfin, petite comparaison européenne, le rendement brut des pensions (avant impôts et cotisations sociales payées par le retraité par rapport à leur dernier salaire brut) était, en moyenne du dernier salaire, de 70,9 % aux Pays-Bas, de 74,47 % au Danemark et de 56,5 % en France. En contrepartie, les cotisations étaient de 27,8 % en France, de 12,7 % au Danemark et de 23,2 % aux Pays-Bas. Quant aux dépenses publiques et privées des systèmes de retraite, elles étaient (en 2019) de 10,3 % du PIB aux Pays-Bas, de 10,5 % au Danemark et de 13,7 % en France.
Ainsi, comme l’écrit Delsol, « les systèmes par capitalisation danois et néerlandais permettaient d’offrir aux retraités des pensions de plus de 30 % supérieures à celle des Français (en taux de remplacement brut) alors que l’effort financier demandé aux cotisants et aux contribuables français était 30 % supérieur à celui demandé aux leurs par les Pays-Bas et le Danemark ».
Comment, dans ces conditions, encore douter que la capitalisation est plus efficace que la répartition ?
Les organisations syndicales (SNABF Solidaires, CGT, FO, CFE-CGC) de la Banque de France n’en doutent pas. En janvier 2020, elles ont appelé à la grève contre la réforme des retraites pour préserver leur régime par capitalisation créé il y a deux siècles par Napoléon. Pourquoi alors leurs « maisons-mères » au niveau national continuent-elles à s’opposer (hormis récemment la CFDT comme nous l’avons dit) à la capitalisation ? Sans doute est-ce pour des raisons idéologiques, la capitalisation renvoyant au « capital » honnis ! Et aujourd’hui, tous ceux qui bénéficient de la capitalisation – fonctionnaires (ERAFP) et sénateurs en tête – ne demandent jamais la suppression de leur système et leur intégration dans le « pot commun » de la répartition. Ne serait-ce pas parce que, finalement, la capitalisation leur est profitable ?
Jean-Philippe Delsol se livre ensuite à un petit calcul en prenant comme exemple un salarié commençant à travailler au 1er janvier 2025 et cotisant pendant 44 ans sur la base d’un salaire mensuel brut proche de la moyenne du salaire médian et du salaire moyen en 2024. Ce salarié ne cotiserait pas à hauteur de28 % de son salaire brut comme aujourd’hui, mais au taux de 15 %.
Ce salarié commencerait à travailler à 21 ans avec un salaire brut de 2 500 €/mois qui augmenterait linéairement jusqu’à 3 500 €/mois lorsqu’il aurait 65 ans et qu’il prendrait sa retraite, soit un revenu brut mensuel moyen de 3 000 € sur la durée de sa carrière. S’il plaçait 15 % chaque année de son salaire brut sur un compte retraite capitalisé à 3,5 % par an en moyenne (outre frais et inflation), il disposerait à 65 ans d’un capital (en euros constants) de 556 997 €. Ce capital placé à 3,5 % pendant la durée moyenne de sa retraite (22 ans) produirait une annuité constante de 38 760€, soit une mensualité de 3 028 € correspondant à 86,5 % de son dernier salaire et 101 % de son salaire moyen sur toute sa carrière.
Tous ces chiffres, précise l’Iref, sont en euros constants sur la base d’une retraite prise en 2024. Ils seraient donc augmentés du montant de l’inflation. Par ailleurs, la retraite serait réduite, selon un calcul actuariel, si le salarié optait pour qu’en cas de prédécès, son conjoint bénéficie d’une retraite de réversion.
Mais, comme nous l’avons précédemment dit, le problème qui soulève beaucoup de questions porte sur la transition entre des deux systèmes.
Nous verrons dans notre prochain article que si cette transition représenterait certes un coût important, celui-ci pourrait être absorbé grâce au meilleur rendement de la capitalisation, qui permettrait à terme d’assainir les finances de l’Etat tout en réduisant durablement les déficits.