Alors que les partenaires sociaux peinent à s’accorder sur l’avenir des retraites, l’idée d’un recours à la capitalisation refait surface.
Alors que les partenaires sociaux réunis en « conclave » à la demande du Premier ministre tardent à envoyer la fumée blanche, de plus en plus personnes, et notamment des politiques, suggèrent que la capitalisation pourrait être une solution aux problèmes des retraites. Même la secrétaire générale de la CFDT ne la rejette pas d’emblée. « Sur la retraite par capitalisation, nous n’avons pas de tabou », a-t-elle déclaré au Figaro.
Mais les opposants à ce système – autrement dit les partisans du statu quo, et par conséquent, de la faillite de nos retraites – ne décolèrent pas. Ils tentent de donner de la voix et trouvent des relais médiatiques complaisants à France Télévision et, plus curieusement, au quotidien L’Opinion que l’on a connu plus inspiré.
Cette charge anti-capitalisation vient du think tank socialo-macroniste Terra nova qui, dans une note récente, prétend que passer de la répartition à la capitalisation coûterait très cher et qu’il faudrait augmenter considérablement le taux de cotisation pour y arriver. L’effort ne serait pas soutenable et, par conséquent, il serait judicieux d’abandonner cette idée. La capitalisation aurait pu, par le passé, être une solution adoptable, mais il est désormais trop tard pour basculer dans un nouveau système.
Il est dommage que tous ces détracteurs de la capitalisation n’aient pas assisté au colloque organisé par l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref) le 2 avril 2025, dont l’intitulé était : « Réduire les dépenses publiques, réduire le périmètre de l’Etat ». Les thèmes abordés, tout comme les intervenants, étaient aussi divers qu’intéressants. Ont ainsi été traités les problèmes liés au narcotrafic à côté de la maîtrise des finances locales, le coût de l’immigration comme celui des politiques de l’emploi.
Concentrons-nous sur la table ronde qui s’intéressait à la retraite par capitalisation. Elle a réuni trois intervenants : Bertrand Martinot, expert à l’Institut Montaigne, Jean-Philippe Delsol, président de l’Iref et Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari (IEM). Passons en revue le propos de chacun des orateurs.
Pour un système plus économiquement efficient et plus équitable
L’intervention de Bertrand Martinot s’appuyait sur les deux notes qu’il a rédigées pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol). L’une de novembre 2024 qui s’intitule : « La capitalisation : un moyen de sortir par le haut de la crise des retraites ? » L’autre de mars 2025 : « Retraites : optimiser les dépenses, introduire une part de capitalisation. »
Dans la première, Martinot dresse un portrait peu flatteur de notre système actuel. Il considère, en effet, qu’il est « doublement injuste », car il est « favorable aux retraités actuels, il fait peser un poids insupportable sur les générations d’actifs et de retraités futurs ». Il ajoute : « Quant aux travailleurs les plus modestes, dépourvus d’épargne, ils sont, de fait, privés de l’accès à des rendements du capital qui croissent plus vite que les salaires. »
Bertrand Martinot rappelle que les dépenses de retraite en France représentent 13,4 % du PIB, ce qui place notre pays au deuxième rang mondial derrière l’Italie (15,9 %) mais très au-dessus de la moyenne de l’OCDE (7,7 %), et de pays comme le Royaume-Uni (4,9 %) ou les Pays-Bas (5 %). Cela s’explique par le fait que, « à l’inverse de nombreux autres pays, la France n’a pas développé de système de capitalisation obligatoire, sauf pour des publics spécifiques (fonctionnaires qui cotisent en capitalisation sur leurs primes via l’ERAFP, régime du Sénat, de la Banque de France, des pharmaciens, contrats ‘Madelin’ pour les indépendants) et dans le cadre de retraites d’entreprises (plans d’épargne retraite collectifs) ».
En effet, comme le précise Martinot :
« La grande majorité des pays de l’OCDE ont développé des systèmes par capitalisation volontaires ou obligatoires, ce qui explique l’existence d’un stock de capital dédié au financement des retraites. En outre, certains ont également accumulé des fonds de réserve dans le cadre de leurs systèmes publics par répartition. Dans ce cas, l’objectif est de lisser dans le temps les conséquences des évolutions démographiques et de disposer d’un amortisseur en cas d’aléas sur la croissance économique. La France n’ayant fait aucun de ces deux choix, elle se distingue par une extrême faiblesse du stock de capital dédié aux retraites. »
Si l’on résume, la France est l’un des rares pays qui a fait le choix d’un système généreux, financé quasi exclusivement par répartition et quasiment dépourvu de réserves. Le tout, ajoute Martinot, « au prix de prélèvements particulièrement élevés sur le travail des actifs » (27,8 % en moyenne contre 18,2 % en moyenne dans l’OCDE).
Bref, nous sommes particulièrement mal lotis pour affronter l’avenir.
Ensuite, Bertrand Martinot, s’appuyant sur une vaste littérature économique académique, rappelle quelques données à propos des systèmes de retraites.
- Le taux de rendement interne (TRI) d’un régime par répartition est généralement différent de celui obtenu par capitalisation. Pour le dire autrement, la capitalisation permet d’obtenir un même niveau de pension que la répartition avec de moindres cotisations dans le cas où le taux de rendement du capital (r) est supérieur au taux de croissance (g) de l’économie (situation inverse dans le cas où g>r).
- La répartition réduit, à long terme, l’épargne privée, donc le capital par tête disponible dans l’économie, par rapport à une situation sans aucun régime de retraite ou avec un régime par capitalisation.
- La réduction de l’épargne privée opérée par un système de répartition est souhaitable si l’économie se trouve initialement dans une situation de suraccumulation de capital (donc un excès d’épargne).
- Les deux systèmes comportent des risques sur le niveau des pensions versées pour un montant de cotisations donné, mais ceux-ci sont de nature différente. Les risques relatifs à la capitalisation sont liés à la volatilité du rendement, à l’inflation, et à la captation par l’Etat des fonds accumulés pour renflouer les finances publiques. Les risques relatifs à la répartition sont liés aux aléas politiques, démographiques et économiques, ainsi qu’au partage de la valeur entre rémunération du capital et rémunération du travail (si le partage de la valeur ajoutée évolue dans un sens défavorable au travail, la rentabilité de la retraite par répartition se trouve déstabilisée).
A partir de ces considérations, Bertrand Martinot audite, en quelque sorte, le système français et aboutit aux conclusions suivantes :
- l’écart positif entre le taux de rendement du capital et la croissance constaté par le passé et probable dans le futur rend difficilement justifiable le choix d’une répartition pure ;
- le système actuel conduit à une épargne nationale à la fois insuffisante en volume et mal orientée qualitativement, dans un contexte où les besoins supplémentaires d’investissement seront considérables dans les prochaines décennies ;
- le système contribue à perpétuer, voire à accroître, les inégalités d’épargne et de patrimoine entre les ménages et les générations ;
- le système aboutit inévitablement à une mauvaise gestion des risques économiques, politiques et démographiques.
On comprend bien dans ces conditions qu’une réforme s’impose. Nous verrons dans notre prochain article ce que la proposition de Martinot – une substitution du régime par répartition actuel par un système mixte combinant répartition et capitalisation – implique.