La hausse des taux se poursuit sur le marché obligataire américain renversant une tendance trentenaire. Mais qui entend l’alarme avant le krach ?
Avec le remue-ménage autour de la Loi sur la fiscalité, nous l’avons presque manqué : mardi, alors que les actions atteignaient de nouveaux sommets en anticipation d’une gigantesque aubaine fiscale pour les entreprises américaine, les obligations ont chuté.
Le rendement du bon du Trésor à 10 ans (il monte lorsque le prix de l’obligation chute) – la référence en termes de rendement supposément « sans risque » – a grimpé à 2,39%. C’est une hausse par rapport au plancher record enregistré en juillet 2016, de seulement 1,39%.
Bien entendu, il est encore trop tôt pour en être certain. Mais nous nous demandons si nous (ou quelqu’un d’autre) parlera encore de ce moment dans 20 ans :
« C’était tellement évident. Je ne comprends pas pourquoi personne n’a rien vu venir. Après 30 ans d’argent facile, les banques centrales ont resserré leurs politiques monétaires. Elles avaient prévenu. Nous aurions dû le savoir ; le marché haussier était terminé. Les actions et les obligations allaient avoir la vie très dure ».
On dit qu' »aucune cloche ne sonne » lorsqu’un sommet est un atteint. Ce n’est que plus tard, souvent des années après, que le bruit et la confusion se dissipent. Alors, on l’entend très clairement.
Plus d’offre et moins de demande pousseront les rendements à la hausse
Si l’on avait écouté en 1980, par exemple, on aurait peut-être entendu Paul Volcker, chef de la Fed à l’époque, faire une annonce importante. « C’est la fin du marché baissier pour les obligations », a-t-il dit, ou à peu près. Il a promis d’écraser l’inflation, faisant ainsi baisser les rendements et les taux d’intérêt. Les prix des obligations devaient grimper. Les actions aussi.
Il a tenu parole, et le rendement du T-Bond à 10 ans a plongé de 15% en 1980 jusqu’aux 1,39% mentionnés ci-dessus en juillet 2016. Les actions ont grimpé, de 1 000 points sur le Dow à 24 700 environ à l’heure où nous écrivons ces lignes. Le monde financier dans son intégralité – y compris nos habitudes et nos attentes – a été façonné par ce marché haussier de 30 ans. Et nous sommes devenus sourds.
A présent, pour la première fois depuis trois décennies, les autorités ont changé de cap. Au lieu de forcer les taux d’intérêt à la baisse, elles oeuvrent des deux côtés du marché – l’offre et la demande – pour les faire grimper.
Du côté de l’offre, la nouvelle Loi sur la fiscalité, combinée à une hausse des dépenses, exigera que les autorités empruntent plus d’argent. Selon Bloomberg :
« Les Etats-Unis étant sur le point de vendre une somme record de dette sur ces huit dernières années, le secrétaire au Trésor US Steven Mnuchin se trouvera peut-être dépendant d’une base d’acheteurs qui souhaitera constater des rendements plus élevés avant de passer à l’achat.
Les ventes de dette gouvernementales devraient plus que doubler en 2018, faisant passer les émissions nettes à 1 300 Mds$, le plus haut niveau depuis 2010, selon les estimations de JPMorgan Chase & Co. Alors que la Réserve fédérale réduit ses détentions obligataires et que les déficits sont en voie d’augmentation avant même que la réforme fiscale soit prise en compte, tous les signes pointent vers une hausse des coûts de financement… Les négociants voient les émissions augmenter pour les années qui viennent. Les coûts sociaux augmentant encore, la dette américaine devait déjà grimper de 10 000 Mds sur la prochaine décennie. A présent, la réforme fiscale pourrait alourdir le déficit d’un milliard supplémentaire sur la même période ».
Toujours du côté de l’offre, nous notons que les émissions de dette dans le monde ont atteint un nouveau record en 2017, à 6 800 Mds$. Plus de la moitié de ces emprunts ont été faits par les entreprises. Sans doute que les directeurs financiers veulent émettre de la dette tant que c’est une bonne affaire – c’est-à-dire tant que les taux sont bas. Peut-être anticipent-ils une future hausse des taux, et moins de prêteurs.
Et la demande ?
Ce qui nous amène à la demande. Les banquiers centraux ont été les plus grands acheteurs de dette ces 30 dernières années. Ils sont en train de devenir les plus grands vendeurs. La Fed promet trois hausses de taux en 2018, et prévoit de réduire son bilan à hauteur de 250 Mds$ de baisse. D’ici la fin de l’année, elle se débarrassera de ses obligations au rythme de 600 Mds$ par an. Dans l’ensemble, elle s’est engagée à réduire son portefeuille de plus de 2 000 Mds$.
La Fed a commencé son cycle de resserrement il y a deux mois. Pour l’instant, cela n’a eu aucun effet sur les actions… et très peu d’effet sur les obligations. Les achats ont été soutenus par les banques centrales étrangères et les fonds de pension. Mais cela aussi semble prendre fin.
Les banquiers centraux aussi bien que les gestionnaires de fonds de pension lisent les mêmes rapports… sortent des mêmes écoles… et croient aux mêmes théories charlatanesques. Et ils doivent tous protéger leurs fonds en devises et leurs économies. Lorsque les Etats-Unis injectaient du crédit… les autres devaient faire de même. A présent, la banque centrale US écope la liquidité au lieu de l’augmenter ; ils doivent donc éponger eux aussi.
La Banque centrale européenne, dirigée par Mario Draghi, ancien de Goldman Sachs, parle désormais de réduire son programme d’assouplissement quantitatif (achats d’obligations) plus tard dans l’année.
La Chine était une autre source considérable de liquidité mondiale – c’était même le plus grand marché étranger pour la dette US. La Chine voulait stimuler son économie avant le couronnement de Xi Jinping en tant que dirigeant chinois le plus puissant depuis Mao ; elle a donc augmenté ses réserves de change pour soutenir le yuan. A présent, le Congrès du Parti est passé… et le yuan s’est stabilisé. Par ailleurs, tout comme la Fed, les autorités chinoises aimeraient inverser les politiques d’argent facile qui ont créé de la dette – une dangereuse épée de Damoclès.
Et qu’avons-nous nous entendu, là ? Est-ce une cloche qui sonne ? Ou juste un bruit supplémentaire ?… Goldman Sachs, en tout cas, tend l’oreille. La banque d’investissement s’attend à ce que le rendement du bon du Trésor US à 10 ans dépasse 3% d’ici la fin de l’année prochaine.
Qui sait : peut-être atteindra-t-il 4%… mettant fin au monde tel que nous le connaissons.
[NDLR : Une hausse des taux risque de provoquer une débâcle dans les 1 000 Mds€ de prêts non performants que détiennent les banques européennes. Votre banque est-elle sûre, vos dépôts serviront-ils à la renflouer ? Découvrez-le ici.]