La Chronique Agora

Le régime de la domination financière

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D’un côté, la smart money a déjà prévu la crise. De l’autre, les banques centrales, Fed en tête, annoncent une récession. Les deux cherchent ainsi à préserver la même chose.

La semaine dernière, la banque centrale américaine, la Fed, a clairement fait savoir aux investisseurs et à tous les autres qu’elle allait faire la guerre à l’inflation.

Elle va casser la demande, créer une capacité inemployée dans l’économie, et ainsi briser le processus en cours de formation d’une échelle de perroquet entre les prix et les salaires.

Elle va empêcher le maintien du pouvoir d’achat des salariés ordinaires et continuer de réprimer l’épargne populaire puisque les taux réels restent très en deçà de la hausse des prix.

La question de la dette

L’action de la Fed et de ses consœurs mondiales vise à empêcher la formation d’une boule de neige prix/salaires et à préserver les capacités bénéficiaires des entreprises.

Ca, c’est au niveau des apparences : c’est compréhensible pour tout le monde, et il suffit de l’expliquer. Mais on peut creuser un peu plus.

Au passage, elle va réduire le poids nominal des dettes des gouvernements grâce au maintien d’une inflation encore élevée, mais aussi les dettes du très grand capital lequel est en levier surendetté. La répression financière va se poursuivre, notez-le, puisque les taux ne montent pas assez pour compenser l’érosion des monnaies.

Peu importe si cela signifie des dommages collatéraux pour des millions de futurs chômeurs.

Les exégètes font valoir que le Capital aussi paie sa contribution, puisque, d’une part, les cours de la Bourse chutent et, d‘autre part, le ralentissement de l’activité le fragilise.

Il faut distinguer le très grand capital, c’est-à-dire la Smart Money dont je vous parlais hier, et le capital ordinaire. Le capital n’est pas un ensemble homogène, loin de là.

D’une part, cet « argent intelligent » a déjà vendu ses actifs financiers, ou bien il s’est couvert par des assurances et des hedges. Il ne subit donc pas la chute de la Bourse, et il en profite peut-être même ; on le verra dans les comptes 2022 des banques TBTF.

D’autre part, la destruction des secteurs petits et moyens de l’économie permet au grand capital d’étendre son emprise ; il récolte ce qui est détruit. Il se concentre et se monopolise encore plus.

Instinct de survie

Mais là n’est pas le plus important : le plus important dans la manœuvre, c’est le sauvetage par les banques centrales du système, du régime de la financiarisation. Elles se donnent les moyens de refaire un tour de manège.

En menant la politique actuelle très nuancée, les banques centrales s’efforcent de préserver le système de la financiarisation, de Bretton Woods et du dollar impérial.

En effet, elles réussissent à s’opposer à la hausse des taux longs, laquelle devrait être bien plus forte, et devrait détruire toute cette masse d’actifs financiers, constitués sur la base de taux très bas depuis 2008.

Toute cette masse devrait se dévaloriser. Les banques devraient chuter et les classes supérieures devraient être balayées par ce mouvement de nettoyage de la bulle gonflée depuis 2009.

Toute l’action actuelle vise à empêcher ce vrai nettoyage de la pourriture, et à prolonger le système de la financiarisation afin de lui faire refaire un tour. Jusqu’à la guerre avec la Chine.

Cette action préserve l’ordre social et surtout les élites, vous savez, cet ordre que Bernanke s’est vanté d’avoir sauvé à deux reprises, et encore en 2011 dans un grand hôtel de New York !

Périphérie affaiblie

La troisième hausse de taux de 75 points de base de la Fed a également déclenché une tempête d’effondrement des monnaies mondiales et un affaiblissement considérable des pays du reste du monde, dont, singulièrement, des concurrents européens vassaux des Etats-Unis.

L’intensification du conflit en Ukraine va dans le même sens de la guerre contre les peuples, mais je ne m’y attarderai pas ici.

Au lieu de faire ce que la Réserve fédérale est censée faire – soit soutenir le plein emploi – son travail consiste à s’assurer qu’il n’y a pas de plein emploi, et surtout qu’il y a une armée de réserve de chômeurs pour que les salaires n’augmentent pas.

Quand le président actuel de la Fed dit qu’il doit provoquer une dépression car, avec la hausse des prix du pétrole et l’inflation, il y a un danger que le travail salarié essaie de rattraper l’inflation et demande des salaires.

Comment empêcher la main-d’œuvre de demander des salaires pour suivre le coût de la vie ? Et bien c’est simple : il suffit de vous assurer qu’il y a suffisamment de chômage pour les forcer à travailler, et la main-d’œuvre se fera concurrence et maintiendra les salaires bas, afin que les bénéfices des entreprises puissent rester suffisamment élevés pour soutenir les cours boursiers et les propriétaires des actions marché. Les 10% ne vont pas perdre leur argent. Les 90% de travailleurs perdront leur argent, pas le secteur financier.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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