Les coutures du monde sont en train de craquer, pas les indices boursiers.
Ce vendredi 26 janvier, les indices boursiers ont collectivement inscrit des records historiques dans des circonstances assez singulières.
En effet, après trois semaines de stagnation complète et l’affichage d’une sous-performance de -2% par rapport à la moyenne européenne et de -5% par rapport aux indices USD (écart constaté jeudi soir à 22h), le CAC 40 a comblé en quelques heures son retard sur le DAX et l’Euro-Stoxx50, grâce à LVMH.
Le n°1 du luxe affichait un bond de 13% (un exploit historique !) sur l’annonce d’une hausse de 8% de ses profits. Ce résultat se situe dans la moyenne basse des performances de la décennie écoulée, hors période COVID, la norme étant plutôt un score à deux chiffres.
Si la thèse des résultats « canon » qui auraient déjoué les prévisions d’une centaine d’analystes tous notoirement incompétents ne tient pas vraiment la route, en revanche, celle d’un short squeeze qui a mis au supplice les vendeurs à découvert mérite d’être prise en considération. C’est l’explication retenue, à l’unanimité, pour justifier la flambée de 15% de Rémy Cointreau (qui n’a fait aucune annonce d’aucune sorte), qui a bénéficié de ventes plus soutenues de Cognac par la division spiritueux de Moët Hennessy, filiale de LVMH.
Même si le scénario de l’envolée du CAC 40 vers un record absolu dans de telles conditions techniques est sans précédent, les circonstances sont, en réalité, encore plus singulières…
Non seulement la France bat un record de déficits (173 Mds€), mais elle se retrouve également menacée de blocage par la fronde des agriculteurs dont le gouvernement semble découvrir qu’en dehors de quelques gros céréaliers, le niveau de revenu moyen des petits exploitants se situe bien en dessous du SMIC, et même en deçà d’un demi-SMIC dans le sud-ouest de la France, avec des productions vendues à perte à la grande distribution, tandis que des accords de libre-échange avec des pays extra-européens ruinent des filières entières (avicoles, ovines, bovines, mais aussi maraîchères… et il n’y a pratiquement plus aucun producteur de champignons de Paris en France).
Mais voilà, l’agriculture en France représente un chiffre d’affaires inférieur à celui de LVMH… et ne parlons pas du secteur du luxe dans son ensemble. Le luxe, c’est 42% de la capitalisation du CAC 40 (j’y inclus EssilorLuxottica, en plus de LVMH, Hermès, Kering, L’Oréal et Pernod Ricard) et l’agro-alimentaire, 2%. Du coup, les tractations entre la FNSEA et Matignon – vu la taille relativement modeste des enjeux économiques – ne préoccupent guère les investisseurs qui ont d’autres priorités, comme la révolution de l’IA générative (l’agriculture, c’est du passé, la PAC, c’est dépassé).
Sauf que cette crise, qui fait tache d’huile à travers l’Europe depuis des mois, traduit une exaspération et un ressentiment contre l’Europe qui tombe mal pour les eurofédéralistes à six mois des élections européennes.
Ce malaise ne va pas être dissipé par l’aveu d’impuissance de Gabriel Attal, qui n’a pas le pouvoir de contrevenir aux règlements imposés par Bruxelles, au lendemain de la mise en scène très « spontanée » et « constructive », avec des agriculteurs dans un village où Emmanuel Macron avait recueilli 70% des suffrages… Pas vraiment un terrain hostile, mais les médias ne vous en ont évidemment rien dit, il fallait entretenir l’illusion que « le courant passait » entre le monde paysan et le nouveau Premier Ministre… et que l’apaisement du conflit était enclenché.
Il serait très prématuré de trancher dans ce sens, mais pour les marchés, tant que les 0,1% ou les 0,01% peuvent faire grimper les profits de LVMH ou de Hermès, c’est que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !
A Wall Street, tant que Nvidia et l’ETF des semi-conducteurs propulsent les marchés en territoire inconnu, peu importe que la dette américaine ait gonflé de 3 000 Mds$ depuis juin 2023. Peu importe que la garde nationale soit mobilisée par le gouverneur du Texas, Gregg Abbott, qui a décrété la « loi martiale » pour endiguer le flux des migrants à la frontière de son Etat, ce qui conduit Joe Biden à le « destituer » en le relevant de son commandement et en renvoyant les troupes dans leurs casernes. Résultat : 28 Etats républicains mobilisent à leur tour la garde nationale, avec leurs armes de service et font converger des convois de volontaires vers le Texas.
Est-ce que Wall Street se figure seulement la gravité de la situation et les risques de rupture institutionnelle entre Washington et les Etats de l’Union ? Combien de temps le S&P 500 et le CAC 40 vont-ils poursuivre leur fuite en avant dans un monde parallèle où une société comme Nvidia, avec 60 Mds$ de chiffre d’affaires, vaut 50% du PIB de la France (et 60% de la capitalisation du CAC 40) sans que cela ne choque personne, puisque chaque jour qui passe prouve que ceux qui n’en achètent pas ont boursièrement tort ?
Symétriquement, chaque jour qui passe précipite les indices chinois vers de nouveaux plus bas, et peu importe que Pékin et la POBC mettent 300 Mds$ sur la table en soutien à Shanghai ou à Shenzhen, la tendance reste irrémédiablement plombée… Inutile de parier sur un « retour à la moyenne », ça c’était « avant », et le « monde d’avant » ne reviendra plus : les marchés s’en sont déconnectés une fois pour toutes.
Et si vous avez boursièrement tort, vous n’avez rien compris au monde tel qu’il va, et peu importe qu’il aille complètement de travers.
Les agriculteurs européens bloquent les villes, des gouverneurs américains défient l’autorité de Washington, et dans les deux cas avec le soutien de la population… Qui pourrait imaginer que cela soit révélateur d’un monde profondément malade et dont l’assise financière est sur le point de basculer sous le poids d’un endettement titanesque ?