La Chronique Agora

Qui va se substituer à la Fed après expiration du QE2 ?

▪ Personne ne l’avait vu venir… mais l’envolée providentielle des marchés ce mardi est tombée à point nommé ! Avec une progression moyenne de 1,7%, les places européennes effacent d’un coup un bon tiers des pertes du mois de mai… dont le bilan apparaît presque anodin en regard des périls biens réels qui ont pu motiver une amorce de correction boursière.

Le CAC 40 (+1,63%), par exemple, ne cède plus que 2,5% contre -4,2% la veille. Le DAX 30 recule de 3% contre -5% lundi, et ces pertes correspondent en fait à l’effacement des gains anachroniques et totalement artificiels du 26 au 29 avril dernier.

Applaudissez les artistes ! De vrais magiciens !

Dans 15 jours, le QE2 aura expiré. Qui va se substituer à la Fed qui achète depuis six mois 70% des émissions du Trésor américain ?

La contestation sociale monte en puissance en Espagne. Que se passera-t-il lorsque le gouvernement devra voler au secours des Caisses régionales (Cajas) qui supportent l’essentiel des moins-values latentes sur les prêts immobiliers ?

Les Espagnols accepteront-ils un nouveau déferlement de mesures d’austérité sous la houlette de Bruxelles et de la BCE, seul moyen de s’assurer le soutien des créanciers ?

Le ralentissement de la croissance des émergents est le revers de la médaille des bulles spéculatives sur les matières premières engendrées par l’activité de faux monnayeur pleinement assumée par Ben Bernanke… Cela au nom de cette même « croissance » qui s’évanouit — comble de l’ironie — depuis la mise en place du QE2 aux Etats-Unis.

Ces épineuses questions continuent d’être éludées pour une raison qui en vaut bien une autre : aucune d’entre elle ne comporte de solution crédible. Puisque le Titanic des dettes va couler, autant piller le bar jusqu’à la dernière bouteille, se soûler jusqu’à perdre la notion du haut et du bas et s’enfoncer dans l’eau glaciale en s’imaginant glisser dans un bain turc.

▪ Avec le retour aux affaires des opérateurs anglo-saxons, les investisseurs européens complètement apathiques la veille se découvraient ce mardi une pléthore de raisons, parfois imaginaires, d’afficher un optimisme exubérant. L’Euro-Stoxx 50 a gagné jusqu’à 2% en fin de matinée, tandis que le CAC 40 tutoyait les 4 015 points avec 100% de ses composantes en hausse.

Certaines des motivations invoquées par les acheteurs laissent songeur : par exemple, la production industrielle a modestement rebondi au Japon au mois d’avril (moitié moins que prévu !). Qu’à cela ne tienne, les chiffres d’activité de mai et juin n’en seront donc que meilleurs !

Et pourquoi pas une croissance à 3,5% au deuxième trimestre dans l’Archipel pour compenser les -3,7% en rythme annuel du premier ? La Bourse de Tokyo s’est envolée de 2%, dans le sillage d’un yen qui s’affaiblissait face au dollar (la dette nippone pourrait être dégradée par Fitch).

En Inde, la croissance au premier trimestre 2011 ressort à 7,8%. Le chiffre semble a priori ébouriffant… mais il se situe bien en retrait du quatrième trimestre 2010 : 8,2%.

Peu importe, c’est quatre fois plus qu’aux Etats-Unis… Le concept des émergents comme locomotives du commerce mondial a donc encore de beaux jours devant lui.

En Europe, le nouvelles économiques étaient plus que mitigées. L’inflation est ressortie un peu moins forte qu’en avril (2,7% contre 2,8%), mais les ventes de détail sont en forte contraction en France (-1,8%) tandis que les ventes de logements neufs ont chuté de 17% en avril.

Aucune importance puisque les ventes de détail progressent de 0,6% en Allemagne. Aux Etats-Unis, l’ISM manufacturier de la région de Chicago a dévissé de 11 points, à 56,5. L’indice de confiance des consommateurs du Conference Board pique du nez (-5 points) à 60,8, et l’indices Case-Shiller des prix de l’immobilier aligne un neuvième mois de repli consécutif.

▪ L’autre secret, c’est de repousser indéfiniment le constat de la faillite de la Grèce. Les  Européens et le FMI pourraient donc accorder à Athènes de quoi tenir encore quelques précieux mois, évitant ainsi un rééchelonnement ou un « reprofilage » de sa dette… Mais cela ne constituerait rien d’autre qu’un défaut de paiement déguisé ; l’agence Moody’s a déjà fait savoir qu’elle n’est pas dupe de cette stratégie.

Alors quels sont les éléments très concrets qui justifiaient une envolée de 1,6% du CAC 40 et de 1,9% du DAX 30 à Francfort mardi ?

C’est élémentaire, il suffisait de regarder le calendrier !

Nous étions le 31 mai : c’était donc le dernier jour pour limiter les pertes boursières sur le mois écoulé (elles dépassaient 5% en milieu de semaine dernière) !

S’il n’y a pas de véritables raisons pour étayer cette hausse — et certainement pas de cette ampleur –, les médias se chargent d’en inventer pour sauver les apparences. Hier, le leitmotiv c’était : « la Grèce sera sauvée d’ici vendredi  » — une rumeur alimentée, peut-être à dessein, par un article paru dans le Wall Street Journal.

Du point de vue technique, cette séance de mardi a été caractérisée par une reprise du carry trade dollar/euro (vente à découvert du billet vert). Elle traduit, selon l’expression consacrée, « une résurgence de l’appétit pour le risque » — et l’euro a bondi vers 1,44 $.

▪ Pour couronner cette hausse sortie de nulle part, une nouvelle chute de l’indice Case Shiller (-3,6% contre -3,3% en mars) a provoqué une amplification des gains (+1%) à Wall Street. La place américaine a pris de 0,5% à 0,6% au cours de la dernière demi-heure — sans que le dollar ou le pétrole ne décalent à la hausse ne serait-ce que de 0,1%.

La conjoncture immobilière demeure désastreuse : recul des prix des 20 principales métropoles américaines durant neuf mois consécutifs, pour un retour sur les planchers de mars 2009. Dans de telles conditions, la Fed va maintenir ses taux bas indéfiniment… même s’il est prouvé au bout de deux ans de laxisme monétaire que cela n’a aucun impact positif sur ce secteur.

▪ Cependant, une séance comme celle de mardi cause probablement plus de dégâts que de bienfaits. Il suffisait de lire les commentaires sur les forums boursiers pour mesurer le degré d’incrédulité (pour les plus modérés) ou de ras-le-bol (pour les plus avertis) suscité par la déconnexion des marchés avec la réalité économique et géopolitique.

En dehors de quelques initiés passés maîtres dans l’art de manipuler les cours de Bourse, plus personne ne fait confiance aux marchés. Le vocabulaire des opérateurs est de ce point de vue très révélateur : les indices n’évoluent plus qu’en fonction des « flux » (d’où sortent-ils, à quelle richesse correspondent-ils ? Mystère total) et de l’appétit pour le risque.

Les gérants de l’ère de la robotique boursière « misent » — car ils n’investissent plus, c’est un concept appartenant au passé — sur de l’upside (anglicisme destiné à masquer la vacuité totale du motif de la hausse des cours).

Pour parler cash (encore un terme à la mode), la vulgate des spéculateurs traduit mieux que n’importe quelle démonstration relative aux manipulations de cours ce que sont devenus les marchés : des casinos qui blanchissent de la fausse monnaie sur le dos des contribuables.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile