Le débat (pas seulement américain) concernant la dette met dos à dos les partisans de toujours plus de dépenses, et ignore ceux qui paient les intérêts.
Dans un monde sain d’esprit, l’affrontement au sujet de la dette et de son plafond devrait opposer d’un côté le débiteur et de l’autre le créancier.
Dans le monde imaginaire que nous habitons, ce n’est pas ainsi que les choses se passent ; les créanciers n’existent pas, ils n’ont pas leur mot à dire. Ils sont spectateurs, priés voire invités à s’intéresser au spectacle dont ils sont évincés. C’est une colossale métonymie que celle du spectacle qui remplace le pouvoir effectif.
La logique des causes et effets disparaît au profit d’un soi-disant équivalent, la participation au spectacle.
C’est à son sommet « la dépossession », processus si caractéristique de nos ex-démocraties redevenues ploutocraties. C’est le glissement métonymique qui permet de sauver les apparences, que dis-je, les apparences du simulacre au second degré.
La souveraineté est devenue un concept vide ; elle se réduit à un simulacre avec des rites qui eux-mêmes peu à peu se vident de tout contenu.
C’est un processus bien analysé par les matérialistes qui consiste à vider les mots de tout contenu, à oblitérer les référents, mais ensuite, un fois vidés de tout contenu à les survaloriser, à les brandir comme des étendards.
Panier percé contre panier troué
De la même façon que la démocratie est vidée de tout contenu réel effectif dans l’exercice du pouvoir, le débat sur la dette est un happening sans portée aucune, dans la relation entre le peuple et ses élites/maîtres.
Aux Etats-Unis, ce happening ne concerne que les élites entre elles, d’un côté « démocrates », de l’autre « républicains » et au milieu les fonctionnaires. D’un côté ceux qui veulent du beurre et des canons, et de l’autre ceux qui veulent des canons et du beurre, avec au milieu ceux qui en profitent pour toucher sur tout ce qui passe !
Le débat oppose celui qui dépense à celui qui dépense… et oublie celui qui paye : cliquez ici pour lire la suite.
Le débat au sujet de la dette oppose d’un côté celui qui dépense, de l’autre celui qui dépense, et au milieu… celui qui crée la fausse monnaie pour monétiser cette dette.
Nous sommes tellement plongés dans l’imaginaire du monde tordu, inversé, qui marche sur la tête que tout cela nous semble normal. La folie est devenue la norme !
Avec les impôts, la dette est la pierre angulaire du politique. Elle est envahissante, c’est un système qui détermine tout le reste.
C’est elle qui produit l’ordre social en complément de la propriété des instruments de production. Mais ce que l’on oublie, c’est que tout cela c’est « bonnet blanc » et « blanc bonnet » car la propriété des instruments de production c’est le Capital, et la propriété des instruments de dette, c’est-à-dire des créances, c’est le Capital aussi !
Quand on dit qu’il faut que le Capital réalise son profit, c’est exactement la même chose que quand on dit : « Il faut que les créanciers fassent leur plein. »
Dans les deux cas, on ratifie un rapport social qui donne aux uns le droit de prélever sur le travail des autres. On confère aux uns qui détiennent le Capital, travail mort ou fictif, le droit de s’accaparer une part du travail vivant, une part de l’effort. On ratifie la tyrannie du mort sur le vif, et bien sûr au passage, on détruit les capacités d’adaptation ; mais c’est une autre histoire pour un autre jour.
Partout des dettes
Ce n’est pas un hasard si nos régimes ploutocratiques financiarisés ont développé la dette, les déficits de façon exponentielle, et les marchés colossaux de la dette, marchés qui imposent leur loi !
Le recours à la dette et la montée du pouvoir des marchés de cette dette est un processus d’objectivisation/abstraction de l’exploitation du travail par le capital : ce ne sont plus les individus qui apparaissent comme exploitant les prolos, non ; ce sont les marchés, les agences de notation ! Ils médiatisent, ils intermédiarisent l’exploitation, et ce sont eux qui exercent leur tyrannie, et disent « attention, il faut baisser les niveaux de vie » !
Ce choix de la dette leur a permis de ne pas prélever les impôts qu’ils auraient dû prélever. Sans ce choix, ils auraient été obligés de sélectionner les dépenses, ils auraient été obligés de faire voter les représentants du peuple, etc.
Le recours à la dette est un truc, un subterfuge qui permet de se passer encore plus de la démocratie, c’est une esquive. Une esquive que même – et surtout – les partis de « gôche » utilisent et magnifient, car c’est cette esquive qui leur donne les moyens de financer leurs conneries.
La dette, c’est la mort du bridge ; c’est ce dont on ne parle pas, mais c’est elle qui détermine le jeu politique et social. Elle exerce son pouvoir, sa tyrannie. La dette a un rôle déterminant dans le développement de tous les modèles politiques.
La dette, l’envahissement de nos sociétés, la structuration de nos arrangements sociaux par les dettes sont tellement omniprésents que l’on ne s’en aperçoit plus. Elles sont comme l’air que l’on respire ou plus justement comme l’eau du bocal qui nous enferme. Le poisson ne sait pas qu’il vit dans l’eau et nous, nous ne savons plus que nous baignons dans la dette et que la logique de cette dette devient la logique sociale suprême.
A suivre…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]