Quelle est la définition exacte de la classe moyenne… quel est son rôle spécifique dans l’économie… et n’est-elle pas en train d’être victime de la « lutte des classes » ?
Considérant la fréquence à laquelle la classe moyenne est invoquée par les politiciens et les économistes, on pourrait penser qu’ils en ont une compréhension solide… Hélas, ce n’est pas si simple.
Le point de vue conventionnel est que la classe moyenne se définit par ses revenus, son éducation, ou le type de métier qu’elle exerce. Autant d’attributs superficiels qui ne tiennent pas compte des différences concrètes entre la classe ouvrière et la classe moyenne.
Certes, la classe moyenne gagne plus, a des diplômes supérieurs et tend à occuper des postes à cols blancs plutôt que bleus.
Mais une éducation supérieure et un salaire plus élevé ne garantissent pas automatiquement un rôle de classe moyenne dans l’économie… une garantie qu’un poste de travailleur à col blanc ne peut pas non plus offrir.
Rien de tout ceci ne permet à l’individu de s’élever sur l’échelle sociale, passant d’une détention de capital quasi-nulle (classe ouvrière) à une propriété significative de capital productif (classe moyenne).
Fondamentalement, la classe moyenne est un moyen de transformer le travail en capital par le biais de l’épargne et de l’investissement. L’ascenseur social traditionnel, qui permet de passer de classe ouvrière à classe moyenne, est lié à la capitalisation du travail : du temps et de l’épargne sont investis dans une éducation supérieure, ce qui permet de capitaliser le travail à venir en augmentant sa productivité.
En d’autres termes, ce qui distingue la classe ouvrière de la classe moyenne, c’est la capacité de cette dernière à transformer son travail en capital, alors que le travail de la classe ouvrière ne permet que de financer la consommation.
Voyons cela de plus près…
L’angle mort du marxisme
La classe ouvrière n’est pas définie par ses diplômes ou par le type de travail qu’elle exerce, mais par un accès limité aux moyens de transformer son travail en capital.
Le point de vue marxiste classique établit une ligne claire entre travail et capital : le prolétariat travaille dans les usines dont les industriels capitalistes sont propriétaires. Ces derniers dépendent quant à eux d’un capital monopolistique contrôlé par les banques commerciales/d’investissement.
La classe des petites entreprises – artisans, commerçants, professionnels etc. – n’est que le coin qui sépare les catégories dominantes de main d’œuvre et de capital.
De ce point de vue, l’exploitation du travail est la force dominante du capitalisme. Si la main d’œuvre est effectivement exploitée dans bien des cas, ce schéma oublie une dynamique importante : le rôle essentiel du crédit, de la dette et de la consommation de la classe moyenne, qui génère des profits pour les grands détenteurs de capital.
Les travailleurs à bas salaires bénéficient à leurs employeurs, mais pas aux banques où à ceux qui profitent de la vente de biens et de service à des travailleurs mieux payés, c’est-à-dire à la classe moyenne.
La dette est immensément rentable, de sorte que les travailleurs à bas salaires ont un bassin de rentabilité limité. Les services financiers sont très doués pour manger la laine sur le dos de la classe ouvrière grâce à des avances sur salaires, des services d’encaissement de chèques, des prêts automobiles à taux vertigineux, des pénalités de retard ridiculement élevées et des agios.
Pourtant, je le répète, on a beau presser ces travailleurs à bas salaires, on ne peut en extraire qu’une quantité limitée de substance vitale.
Les salaires plus élevés et plus sûrs de la classe moyenne offrent une manne de profits à plus long terme grâce aux dettes qu’elle contracte. Par exemple…
Des prêts étudiants, pour obtenir les diplômes jugés nécessaires pour faire partie de la classe moyenne, des prêts automobiles, des hypothèques pour acheter une maison, et des dettes pour la consommation accessible à la classe moyenne : séjours au ski, croisières, dîners au restaurant etc.
En d’autres termes, sans une classe moyenne en bonne forme, capable de contracter des dettes, qui emprunte et dépense librement, le capitalisme moderne stagne. Souvenez-vous : les profits proviennent du haut niveau d’endettement et de consommation ambitieuse que les plus précaires, aux salaires plus bas, ne peuvent pas se permettre.
Un nouveau servage
Mais voilà : la majeure partie de la dette de la classe moyenne provient du désir de transformer le travail en capital grâce à l’éducation supérieure (dette estudiantine) et à la propriété (hypothèques).
Or le pouvoir d’achat issu du salaire de la classe moyenne diminue et les revenus se précarisent (les employeurs décidant de se décharger des coûts liés à la santé et aux retraites sur leurs employés et de les remplacer par des contractuels). La capacité de la classe moyenne à emprunter et à consommer davantage commence donc à faillir.
Pire encore, les voies d’accès traditionnelles vers la propriété de capital productif ne sont plus fiables. Les diplômes d’éducation supérieure ne sont plus la garantie de salaires stables et généreux.
Dans une économie accro à la bulle de l’immobilier, la propriété est aussi moins une méthode d’épargne, et plus un jeton dans le grand casino qu’est cette bulle financière.
Les membres de la classe moyenne qui souhaitent devenir propriétaires de capital productif sont condamnés au servage de la dette. Le remboursement est toujours garanti, mais les avantages obtenus grâce à une dette contractée sont en proie à des effondrements soudains de la demande des diplômes ou des actifs obtenus en s’endettant.
A suivre…