** Eric Fry s’est entretenu avec Nathalie Boneil pour le magazine MoneyWeek (que vous pouvez retrouver en kiosque cette semaine, si vous habitez la région parisienne… ou à proximité d’une gare TGV). Toute au long de semaine, nous diffuserons l’intégralité de leur discussion…
– Eric Fry (EF) : Quelles sont mes grandes idées d’investissement, m’avez-vous demandé ? Je vous en donne trois : vendez le dollar, vendez le dollar et… vendez le dollar ! Mes quatrième et cinquième autres grandes idées lui sont liées : vendez les T-Bonds à 10 ans, et achetez des matières premières. Parfois, l’art d’investir est comme une partie de cache-cache. La plupart du temps, vous essayez juste de trouver une "bonne planque". Mais parfois, vous êtes celui qui doit chercher… et trouver.
** Nathalie Boneil (NB) : Dans quel bunker boursier se planquer maintenant ?
– EF : Cela fait quelques années maintenant que les marchés boursiers m’inquiètent, m’effraient… notamment le secteur financier. Cela fait longtemps que je dis à mes lecteurs de mettre leur capital à l’abri dans des "investissements bunkers". En gros, je leur dis de trouver refuge dans des matières premières comme l’or ou le pétrole, et aussi de se mettre à l’abri dans des investissements libellés dans n’importe quelle autre devise que le dollar. Jusqu’à présent, l’or et le pétrole ont été de "bonnes planques". Mais depuis peu, ces bunkers sont minés : les marchés des commodities ont été terribles !
– Les actions et les matières premières évoluent généralement en sens contraire… Sauf durant la chute fin août et septembre 2008 : les matières premières n’ont été d’aucune protection. En fait, elles ont même sous-performé les marchés actions !
– Par conséquent, bon nombre d’investisseurs en matières premières — dont nous faisons partie — ressentent plus de peine que de satisfaction. Nous avons évité le 33 tonnes du secteur financier… pour nous retrouver en plein sur le chemin du bus des matières premières. Mais au moins nous reste-t-il assez vigueur pour tressaillir sur la chaussée… ce qui n’est pas le cas de ceux qui ont investi sur les bancaires. Vous devez garder à l’esprit que Merrill Lynch a perdu 45% de sa valeur en 10 ans… quand les prix des commodities ont quasiment doublé durant cette période ! Tous les investisseurs en matières premières ayant, comme moi, tendance à l’auto-flagellation feraient donc bien d’utiliser leur fouet avec un peu plus de douceur.
– Même si les prix des matières premières ont clairement déserté leurs sommets historiques, il est fort probable qu’ils rebondissent… et peut-être plus tôt qu’on le pense. Donc, au risque de me répéter… je me répète quand même : j’aime les matières premières, au moins pour le long terme — voire pour le court terme également. J’aime les matières premières parce que l’offre est limitée et la demande ne l’est pas. J’aime les matières premières parce qu’elles n’ont pas de PDG ou de conseil d’administration. J’aime les matières premières parce que l’avarice et la stupidité ne peuvent détruire leur valeur.
** NB : La question à 1 000 milliards : qu’est ce qui gagne quand le dollar perd ?
– Comprenez bien que ce ne sont que des opinions… mes opinions. Je ne fais aucune prédiction ici. Juste quelques suppositions. Et en fait, ce ne sont même pas de vraies suppositions : ce ne sont que des réflexes de crainte. Je crains que la Fed et que le Trésor américain n’aient outrepassé leurs possibilités. Ils ont engagé des centaines de milliards de dollars pour secourir Bear Stearns, Fannie Mae, Freddie Mac et AIG, etc.
– Mais ce qu’il y a de pire, c’est que ces agences gouvernementales se sont exposées sur plus de 1 000 milliards de dollars de dettes ! Personne ne sait à combien se montera la facture pour assainir le système financier américain. Mais nous, investisseurs, pouvons parier que la majeure partie de cet argent sortira de la planche à billets. En d’autres mots, on peut parier que le Trésor va drastiquement augmenter l’offre de monnaie afin de prévenir une crise du crédit. Ce qui ne fera que baisser la valeur du dollar.
Alors, évidemment, je me demande "qu’est ce qui gagne quand le dollar perd". L’or, la relique barbare, évidemment. Mais je pense que beaucoup d’autres matières premièresperformeront extrêmement bien avec un dollar faible. Et de toute évidence, les investissements libellés dans des monnaies autres que le dollar devraient plutôt bien s’en sortir au fur et à mesure que le dollar d’affaiblira — du moins, du point de vue d’un investisseur américain !
Enfin, nous devrions nous attendre à ce que les renflouages de plusieurs milliards de dollars du Trésor augmentent l’offre de T-Bonds. Or je ne suis pas sûr que ces bons rencontrent une demande enthousiaste. D’une part à chaque fois que l’offre a surpassé la demande, les prix ont chuté. D’autre part, les acheteurs traditionnels de T-Bonds pourraient devenir de moins en moins pressés de donner leur argent à un gouvernement qui croule sous une montagne croissante de dettes inconnues. Alors j’ai bien peur que le chemin à parcourir pour celui qui investit sur les actions ou T-bonds américains soit… ardu.
– La chute de Bear Stearns, de Lehman, de Fannie et Freddie et de AIG — sans compter Morgan Stanley et Goldman Sachs qui ont frôlé la mort clinique — nous montre que nous avons atteint un point de non-retour. L’appât du gain et la spéculation institutionnelle, qui ont nourri les brokers depuis tant d’années, sont enfin apparus au grand jour.
– Le système des banques d’investissement à l’américaine n’est pas un business model, c’est une arnaque en pyramide, une fraude, dans laquelle tout l’argent revient aux personnes qui se trouvent au sommet, tandis que tous ceux qui se sont laissés entraîner absorbent les pertes. Cette gigantesque fraude institutionnalisée est désormais terminée.
– Mais vous devez comprendre que cette fraude a créé un endettement monstrueux dans le système financier. Et cet endettement a créé une masse de liquidités énorme… qui a engendré la hausse des marchés actions… qui a donné l’impression aux investisseurs d’être riches et heureux. Mais maintenant que tous ces leviers s’effondrent, les liquidités se retirent des marchés financiers et créent une chute brutale des titres. Le Trésor américain essaye de toutes ses forces de corriger cette tendance en absorbant des milliards de dollars de crédits à risque et en injectant du nouveau crédit dans le système bancaire.
– Le Trésor américain et la Fed espèrent que leurs mesures maintiendront les marchés la tête hors de l’eau. Mais nous en doutons. En fait, nous pensons plutôt que ces mesures maintiendront la tête de l’inflation hors de l’eau… et, à partir de là, le prix des matières premières.
– Pour faire court : l’ère de l’appât du gain est révolue ; bienvenue dans la nouvelle ère de la prudence. Vous allez devoir vous adapter : vous devez maintenant vous soucier de protéger votre argent, d’agir prudemment… et d’avoir la bonne stratégie.
– A suivre…