La Chronique Agora

Que vont devenir les "Wal-Martdollars" ?

** Ben Bernanke a mis ses auditeurs — des députés de la commission des Finances de la Chambre des représentants — à l’aise d’entrée de jeu : la Fed maintient le cap des assouplissements monétaires, même si le renforcement des poussées inflationnistes pourrait l’amener à tempérer l’effort de relance [par la planche à billets, NDLR] entrepris depuis le milieu de l’été dernier.

La priorité demeure la lutte contre les risques qui pèsent sur la croissance, au premier rang desquels le patron de la Fed place la crise du secteur immobilier… principale responsable d’un « brusque ralentissement de l’activité économique ».

Les pressions inflationnistes pourraient certes se renforcer en cas de maintien des prix du pétrole dans la zone des 100 $ — et ne parlons pas des céréales ou des produits importés de Chine — mais la priorité reste d’abord d’empêcher une récession.

Ben Bernanke souligne que les ventes de logements neufs sont tombées à leur plus bas niveau depuis 13 ans ; le hasard du calendrier a voulu que le rapport mensuel du département du Commerce tombe au moment même où il tapotait sur son micro, signifiant ainsi le début de son allocution.

** Vous ne serez pas surpris d’apprendre que les statistiques mensuelles sont pires que prévu : les ventes de logements neufs aux Etats-Unis ont chuté de 2,8% en janvier pour un total de 588 000 unités — au lieu des 590 000 anticipées et après les 605 000 transactions de décembre 2007 ou les 915 000 de décembre 2006.

Nous retiendrons surtout que ces chiffres trahissent une chute d’activité de 34% sur un an tandis que le prix médian des maisons livrées le mois dernier a dévissé de 4,3%.

Les cambistes ne s’étaient pas trompés sur la teneur du diagnostic de la Fed présenté hier, ni sur la nature du remède qui serait privilégiée : la probabilité d’une baisse du Prime Rate à 2,5% le 18 mars prochain est évaluée à 99% !

** Le dollar vient donc de pulvériser le précédent plancher des 1,4960/euro pour s’inscrire à 1,5145/euro au moment de la clôture des places européennes. Après une série d’oscillations entre 1,44 et 1,49/euro, il faut s’attendre à une poursuite de la décrue en direction des 1,54/euro d’ici la mi-mars, avec une possible reprise de respiration sur le palier des 1,5250.

Pour nombre d’observateurs de la Communauté européenne, le seuil de douleur est atteint — la chute du billet vert sous les 1,45 euro était considérée comme gérable par Nout Wellink, le gouverneur de la Banque Centrale des Pays-Bas et membre du directoire de la BCE — et la chute de 3% du titre EADS hier constitue un sérieux signal d’alerte.

Jean-Claude Trichet a regardé durant deux ans l’euro grimper inexorablement de 1,17 dollar/euro vers 1,51 dollar/euro sans jamais s’alarmer des conséquences pour nos économies. Il s’est parfois exprimé pour fustiger la trop grande volatilité du marché des changes, et il s’est contenté de faire les gros yeux aux spéculateurs lorsque ceux-ci se montraient trop turbulents sans jamais réclamer l’arrêt du processus de désagrégation du billet vert.

Ceci nous conforte dans l’idée que J.C. Trichet se satisfait de voir l’euro renforcer au fil des mois son statut de monnaie de réserve tandis que les gros détenteurs de pétrodollars ou de Wal-Martdollars — les pays exportateurs de biens de consommation vers les supermarchés américains — cherchent à se défaire de leurs stocks de billets verts en excédent.

Si le but poursuivi par la BCE est d’orchestrer l’avènement de la suprématie mondiale de l’euro sur le dollar, cela peut bien se payer d’un peu de chômage en plus et d’une croissance molle sur le Vieux Continent pendant quelques mois ou quelques trimestres.

Tous les citoyens de l’Euroland n’auront peut-être pas un travail d’ici la fin 2008… mais ils pourront se consoler avec la fierté de détenir dans leur maigre porte-monnaie la devise la plus forte du monde, à défaut de pouvoir profiter du pouvoir d’achat qui va avec. L’euro fort, en effet, est une aubaine pour les riches voyageurs qui vont faire le plein de marques à New York ou à Los Angeles… nous supposons que J.C. Trichet et ses collègues en font peut-être partie.

Une question surgit incidemment… mais pourquoi donc, avec un euro aussi flamboyant, nos entreprises qui dénoncent la concurrence — presque déloyale — des firmes exportatrices en dollars, ne s’empressent-elles pas de les racheter pour pas cher une bonne fois pour toutes ? Le triste exemple de la fusion Alcatel-Lucent servirait-il de repoussoir ?

** Les investisseurs ne se sont pas laissés déstabiliser par la dégringolade du dollar — ou, tout du moins, pas jusqu’en fin de séance — puisque les indices européens ont clôturé à l’équilibre ; l’Eurotop 100 s’effritait de 0,13% tandis que l’Euro Stoxx 50 s’offrait le luxe d’une clôture légèrement positive de 0,04%.

Paris a terminé sur une perte symbolique de 0,1% à l’issue d’une séance caractérisée par une volatilité très intense. Le CAC 40 a en effet commencé par perdre 100 points — entre 4 992 et 4 892 points de 9h05 à 15h30 — avant de réduire spectaculairement ses pertes (+75 points repris) au cours des 90 dernières minutes.

Les soubresauts indiciels qui agitent le CAC 40 ne sont guère surprenants à l’approche du seuil psychologique des 5 000 points ; il n’est même pas nécessaire d’éplucher la presse économique chaque matin, ou la Chronique Agora à l’heure du déjeuner, pour percevoir que les fondamentaux économiques se sont nettement dégradés depuis le 21 janvier dernier, au moment où le CAC 40 a inauguré le mois boursier de février par un spectaculaire gap sous les 5 081 points.

Alors que chaque nouvelle statistique en provenance des Etats-Unis confirme la matérialisation d’un processus de stagflation, la magie du verbe de Ben Bernanke vient une nouvelle fois de restaurer la confiance à Wall Street (+0,5% à mi-séance) et faire oublier une chute de 5,3% des commandes de biens durables en janvier aux Etats-Unis.

Voilà ce qui motive sans aucun doute le nouvel accès de faiblesse du dollar qui plonge sous les 1,51/euro et inscrit un nouveau plancher historique à 1,5145 euro — et 106,4 yen.

Tout comme mardi dernier, les indices américains n’ont mis que quelques heures à digérer les mauvaises statistiques du jour puis l’annonce des pertes colossales de Fannie Mae. Le numéro un mondial des prêts hypothécaires, frappé de plein fouet par la crise de l’immobilier, a dévoilé une perte nette de 3,56 milliards de dollars au titre de son quatrième trimestre 2007 — contre un bénéfice de 604 millions de dollars pour la période correspondante de 2006.

Le taux de défaillance des emprunteurs atteint un niveau jamais observé depuis la création de cette entité parapublique destinée à épauler les ménages les moins fortunés. Fannie Mae possède 1 000 milliards de dollars d’encours — c’est plus que cela en réalité, mais n’ergotons pas — et est le premier émetteur d’emprunts (de dettes titrisées) de la planète alors que son rival Freddie Mac pèse 700 milliards de dollars : les monoliners ne sont donc pas les seuls à boxer dans la catégorie des 1 000 milliards de dollars de prêts à risque, toutes catégories confondues.

Ben Bernanke se retrouve ainsi face à une montagne de 4 000 milliards de dollars de dettes à la valeur incertaine, qui représente plusieurs fois le montant des stocks d’or détenus par l’ensemble des banques centrales de la planète. Vous seriez un épargnant chinois, qu’achèteriez vous garantir vos vieux jours ? Des créances sur 30 ans émises par MBIA ou Fannie Mae ?

Chiche que le métal précieux atteindra les 1 000 $ l’once avant le 18 mars prochain ?

Philippe Béchade,
Paris

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