▪ Plus on se rapproche du communiqué de la Fed (attendu ce mardi soir à 20 h 15), plus les analystes se trouvent renforcés dans la conviction que la Réserve fédérale n’a plus vraiment le choix.
Même si aucune annonce formelle n’est anticipée, Ben Bernanke devrait conforter les investisseurs dans leur anticipation d’un rétablissement de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing, « QE » pour les initiés).
Une nouvelle injection de liquidités serait appréciée par les marchés… Mais n’est-il pas inquiétant que l’économie américaine doive de nouveau son salut à une stratégie telle que la monétisation de la dette du secteur privé pour éviter de retomber en récession ?
Lorsqu’un patient censé sortir de la salle de soins intensifs de façon imminente est replacé sous perfusion et sous respirateur artificiel, ce n’est jamais une indication très favorable.
Nous avons en tête de nombreux exemples où la rechute s’est avérée être le symptôme de problèmes de santé plus sévères que ceux traités initialement. Lorsque nous apprenons que des complications viennent perturber un début de convalescence, nous comprenons que le diagnostic avait été soit mal posé, soit édulcoré à dessein pour ne pas inquiéter la famille.
▪ La réponse que les marchés attendent avec un mélange d’espoir et d’appréhension est déjà en partie tranchée par les cambistes. Ils maintiennent en effet le dollar sur de bas niveaux (1,3050/euro) tandis que l’or s’installe au zénith, à 1 280 $ l’once.
La situation budgétaire des Etats-Unis appelle l’adoption de mesures douloureuses telles que celles auxquelles l’Irlande et la Grèce ont dû se soumettre de gré ou de force. Toutefois, Washington n’hésitera pas longtemps entre des hausses d’impôts associées à une réduction des couvertures sociales et un large recours à la planche à billets.
C’est probablement ce qui a déclenché peu après l’ouverture de Wall Street un de ces rallies haussiers sortis de nulle part. Il a propulsé un Nasdaq attendu en hausse de 0,25% vers les 2 245 points (soit +1,25%) après moins d’une heure de cotation.
▪ La seule information publiée lundi après-midi a été le baromètre mensuel des constructeurs de maisons individuelles. Et loin de rebondir comme c’était anticipé début septembre, il reste collé sur son plancher historique de mars 2009.
De beaux esprits viendront-ils nous expliquer cette fois encore que cela reste malgré tout « moins pire que prévu » ?
Bien au contraire, les investisseurs admettent que c’est une véritable déception… et c’est cela, figurez-vous, la beauté de la chose ! De tels chiffres sont si consternants que la Fed ne peut rester les bras croisés ; elle doit indiquer aussi clairement qu’elle le peut qu’elle va « faire quelque chose » (une 125e banque américaine a fait faillite ce week-end).
Peu importe que ce soit inefficace, absurde, en contradiction avec tout ce que ses partenaires économiques mettent en place en de telles circonstances… Ce qui compte, c’est que Wall Street se voit inondée de toujours plus de liquidités pour gonfler des bulles les unes après les autres.
Dans un marché intégralement dominé par les « robots » (logiciels experts gavés de données techniques ayant la prétention de cerner au plus près la psychologie humaine), le moindre mouvement haussier dont personne ne connaît l’origine est suivi aveuglément. C’est fait de façon d’autant plus servile par les machines dès que des résistances graphiques majeures sont franchies, déclenchant des milliers d’ordres de type « achat-stop ».
Peu importe que ces débordements soient totalement orchestrés dans le seul but de générer une hausse mécanique des cours ! Qui se soucie par exemple de voir le Nasdaq aligner une treizième séance de hausse sur une série de quatorze, sans aucune correction intermédiaire, portant les niveaux de surachat des valeurs technologiques à l’incandescence ?
▪ L’évolution du CAC 40 illustre à merveille le comportement totalement moutonnier du marché. L’indice national n’affichait guère plus de 0,4% de hausse à l’ouverture des marchés américains, mais il a ensuite explosé de +1,8%, à 3 788 points, sa meilleure clôture depuis le tout début du mois de mai dernier. Il a ainsi effacé en moins d’une heure de cotation l’intégralité du terrain perdu au cours des trois séances précédentes, sans que quiconque puisse citer le moindre fait d’actualité justifiant ce prodige.
Mieux, le dollar ne variait pas d’un centième dans l’intervalle, continuant d’osciller de part et d’autre des 1,3075/euro (à 0,005% près). Qu’avaient détecté les gérants « actions » qui échappait totalement à la sagacité des cambistes ?
▪ Peut-être ces derniers en étaient-ils restés au dernier communiqué de l’OCDE ? Lundi matin, l’organisation a revu en forte baisse (de moitié pour être précis, à +1,5%) ses prévisions de croissance économique pour les Etats-Unis en 2010, formulées en mai dernier. Elle a également jugé que la priorité du pays devait être une suppression progressive des réductions d’impôts concernant les classes les plus favorisées (une référence directe aux avantages fiscaux exorbitants accordées aux riches et aux ultra-riches par l’administration Bush durant ses deux mandats successifs).
Mais peu importe la couleur politique de l’occupant de la Maison Blanche. A six semaines des élections législatives, il est de son intérêt d’entretenir un sentiment de richesse provisoire qui rassure un peu son électorat.
Les chiffres publiés lundi prouvent qu’aucun salut ne pouvait provenir de l’immobilier. Il ne reste donc effectivement que Wall Street pour grimper au moment opportun, l’étroitesse relative des marchés d’actions se prêtant à merveille à des manipulations motivées par les « meilleures intentions ».
▪ Puisque nous évoquons le sentiment de richesse, il serait bien cavalier de ne pas mentionner le nouveau record historique inscrit par l’once d’or : 1 285 $ l’once, au moment même où les indices boursiers goûtaient les délices d’une euphorie débridée.
D’après certains rabat-joie — dont les avis étaient absents de tous les commentaires que nous avons pu lire lundi soir –, la relique barbare aurait vu ses cours grimper au-delà des 1 280 $ alors que les rendements des emprunts d’Etat à 10 ans grecs (11,8%) et irlandais (6,40%) ont atteint de nouveaux plafonds depuis l’épisode de crise entamé mi-avril dernier.
Merveilleuse illustration du principe en vertu duquel « si les médias n’en parlent pas, les problèmes n’existent pas »…