La Chronique Agora

Quand l’immobilier passe sous la tutelle de l’Etat

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L’Etat va intervenir pour sauver le marché immobilier qu’il a passé des années à détruire. Avec quel argent ? Celui des contribuables, évidemment !

« Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue à bouger, régulez-le. Si ça s’arrête de bouger, subventionnez-le. ».
Ronald Reagan

Qui peut encore considérer que le problème de la France est d’être un pays ultra-libéral ?

La crise sanitaire a été l’occasion de nationaliser de fait l’essentiel de la masse salariale du secteur privé. Le « quoiqu’il en coûte » a mis sous cloche l’activité réelle en suspendant la liberté de commercer tout en compensant, par l’emprunt et l’impression monétaire, le manque à gagner des agents économiques. L’Etat est aussi intervenu pour décider quelles entreprises auraient droit, ou non, de rémunérer leurs actionnaires et dans quelles circonstances elles seraient encore obligées de payer leurs fournisseurs. D’un claquement de doigts, les flux financiers des grands groupes comme ceux des PME et artisans sont devenus, le temps d’une pandémie, quasi-nationalisés.

La semaine dernière, le gouvernement français a franchi une nouvelle étape dans la disparition du libéralisme économique au profit d’une économie administrée.

Le Covid a permis d’ouvrir la boîte de Pandore. Aujourd’hui, plus besoin de crise sanitaire, d’état d’urgence, ou de guerre pour justifier l’interventionnisme étatique : toutes les mesures, y compris les plus coûteuses, peuvent être envisagées et mises en œuvre dans l’indifférence générale.

Cette fois-ci, c’est le marché de l’immobilier qui va être mis sous cloche par l’Etat-bienfaiteur. C’est officiel : la Caisse des dépôts et consignations, par le biais de CDC Habitat, va se substituer au marché pour acheter des logements. Elle absorbera dans les prochains mois plus de 13% du marché du neuf tricolore.

La Première ministre Elisabeth Borne confirme ainsi une promesse qui avait été faite fin avril – et balaye, d’un revers de manche, les possibles effets pervers de la manœuvre.

L’Etat sauve le marché immobilier qu’il avait détruit

L’implication de l’Etat dans le délabrement du marché de l’immobilier n’est plus à démontrer. Entre les empilements de normes (notamment environnementales), la fiscalité toujours plus confiscatoire, les distorsions de concurrence du fait de mesures de soutien ciblées, et les épées de Damoclès législatives qui menacent les propriétaires-bailleurs, la France semble faire son possible pour empêcher le secteur d’évoluer sainement.

La hausse des taux d’intérêts, décidée il est vrai à Francfort plus qu’à Paris, est venue achever ce tableau apocalyptique.

Les spécialistes n’ont donc pas été surpris de voir les volumes de transaction dans l’immobilier neuf s’effondrer. En 2022, les particuliers avaient déjà réservé 15% de logements en moins qu’en 2021. La tendance s’est encore accélérée en ce début d’année : sur la métropole de Lyon, les chiffres font état d’une affolante contraction de 43% sur le premier trimestre par rapport à l’an passé.

Résultat des courses, les promoteurs se retrouvent avec des stocks d’invendus d’ampleur historique.

Fidèle à ses réflexes jacobins, l’Etat a décidé d’acquérir ces invendus pour soutenir les promoteurs en difficulté. Ce sont ainsi pas moins de 17 000 logements qui devront être achetés par CDC Habitat, donc 5 000 logements sociaux et 12 000 logements locatifs dits intermédiaires (destinés à être loués pour des loyers plus faibles que ceux du marché). Sachant que, l’année dernière, à peine plus de 120 000 logements neufs avaient été vendus dans l’Hexagone, c’est plus de 13% du secteur qui se retrouve ainsi nationalisé.

Avec cette opération, dont le coût dépassera les 3,5 Mds$, l’Etat prend à sa charge l’inadéquation entre l’offre immobilière et la demande. Il empêche le signal-prix d’inciter les protagonistes à adapter leur comportement.

Car, selon la plupart des professionnels du secteur, la France fait encore face à un manque criant de logements – y compris sur les territoires où les logements neufs ne trouvent plus preneurs. Il s’agit donc d’une occasion manquée pour le marché de l’immobilier de s’autoréguler.

Baisse des prix de la construction, réadaptation des acheteurs à la réalité de leur pouvoir d’achat en période de hausse des taux, voire – rêvons un peu – simplification des contraintes législatives… les moyens pour lubrifier ce marché grippé ne manquaient pourtant pas.

Matignon a tranché : ce sera la nationalisation, et un renforcement des mesures délétères qui nous ont conduit à la situation actuelle.

L’Etat persiste et signe… avec votre argent

Ne pensez pas que cette opération sera l’occasion de lâcher du lest pour redonner un bol d’air au secteur de la construction. Greenwashing oblige, la Première ministre a conditionné le rachat aux qualités environnementales des biens susceptibles d’être subventionnés. Ainsi, au moins un quart du parc acquis devra répondre aux exigences 2025 de la RT2020.

Cette exigence de qualité se transcrit évidemment dans le prix des biens concernés, et vient compliquer l’équation économique pour CDC Habitat qui doit financer les bonnes œuvres de Matignon.

Anne-Sophie Grave, présidente du directoire de CDC Habitat, le confirmait dans la presse économique :

« Depuis janvier, les promoteurs sont venus nous voir très massivement. Nous discutons déjà avec une quarantaine d’entre eux et ce chiffre pourrait doubler avec l’annonce de ce plan. Nous parlons avec tout le monde. Après, il faut que nous trouvions notre équilibre financier ».

C’est bien là que le bât blesse. La générosité étatique ne peut par définition se faire qu’avec l’argent des autres, et CDC Habitat n’a pas de trésor de guerre. La filiale de la Caisse des dépôts sera recapitalisée à hauteur de 500 M€ par sa maison-mère, et devra recourir à l’emprunt ou mobiliser ses fonds propres pour trouver les quelque 3 Mds€ manquant.

Dans cette fuite en avant, CDC Habitat sert de structure de défaisance obligée d’acquérir des actifs que le marché ne souhaite pas acheter au prix proposé par les vendeurs. A l’instar des bad banks qui avaient été sommées, au plein cœur de la crise des subprime, d’acquérir des actifs douteux, illiquides ou encore toxiques pour nettoyer le bilan des établissements bancaires dignes d’être sauvés, CDC Habitat doit acheter des biens que le marché estime surcotés.

Il est vrai que, lors de la crise financière et de la pandémie, CDC Habitat avait déjà acheté plus de 65 000 logements. Mais le contexte était bien différent, ces moments étant des phases aigües de crise.

Aujourd’hui, le marché immobilier est figé du fait de la hausse des taux d’intérêt, de l’empilement législatif, et de la baisse des revenus réels des ménages. Tant que ces facteurs perdureront, les acheteurs resteront à l’écart du marché… et CDC Habitat aura à son bilan des actifs achetés à des prix surévalués pour soutenir la politique gouvernementale.

Le montage prévu par Elisabeth Borne revient à mettre de l’argent public dans les poches des promoteurs immobiliers. Ne vous y méprenez pas : lorsque l’institution financière s’endette pour des placements hasardeux, ce sont in fine les contribuables qui règlent l’addition. Si le Code monétaire et financier dispose que « La Caisse des dépôts et consignations est un investisseur de long terme [qui] contribue, dans le respect de ses intérêts patrimoniaux, au développement des entreprises. », elle reste depuis sa création – sous Louis XVIII – le bras armé permettant à l’Etat d’intervenir dans la sphère économique avec l’argent des contribuables.

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