Depuis la première guerre mondiale, la propagande de guerre est devenue un pilier de la politique étrangère américaine.
Le New York Times a révélé cette semaine que l’administration Trump a coupé de nombreuses subventions destinées à financer des « recherches » sur la « désinformation ». Les médias présentent cette décision comme un acte ignoble qui permettrait soi-disant la diffusion d’informations trompeuses ou même fausses à travers diverses plateformes.
Bien sûr, s’il existait une volonté sincère de démasquer les efforts les plus flagrants de diffusion de désinformation, des médias comme le New York Times commenceraient par eux-mêmes, ainsi que leurs alliés au sein du régime.
Après tout, peu d’organisations ont été aussi complices que les grands médias nationaux américains et l’establishment qui tire les ficelles de la politique étrangère des Etats-Unis dans la diffusion des pires opérations de propagande de l’histoire américaine. Je dis « pires », car cette propagande a souvent servi les fins les plus funestes : rallier le soutien populaire à diverses guerres ayant entraîné la mort de milliers d’innocents, parfois même de centaines de milliers.
Pour ne citer que quelques exemples récents de collaboration entre les médias et le régime dans la diffusion de désinformation, rappelez-vous de l’imposture du « Russiagate », les diverses tentatives de dissimuler l’ingérence américaine en Ukraine, ainsi que le martèlement depuis vingt ans « d’actualités » visant à justifier des changements de régime dans différents pays – du Venezuela à la Russie, en passant par la Libye et la Syrie, où le régime de Bachar al-Assad, conformément aux plans américains, a récemment été remplacé par des terroristes islamistes.
Et bien sûr, il y a le flot ininterrompu de désinformation destiné à soutenir l’Etat d’Israël et à dissimuler ses nombreux crimes de guerre. Sans oublier les « armes de destruction massive » fictives en Irak, que les Etats-Unis ont présentées à l’ONU comme un fait établi.
Tout au long de cette période, la « clique interventionniste » en charge de la politique étrangère à Washington a bénéficié d’un soutien quasi unanime de la part de ses alliés dans des publications comme le New York Times et le Washington Post.
Les Etats-Unis ne sont pas le premier pays à employer de telles tactiques.
Au cours des cent dernières années, il n’y a sans doute aucun Etat qui ait été plus innovant que celui du Royaume-Uni dans l’art d’inventer des « faits » destinés à fabriquer le consentement populaire en faveur des guerres et de nouvelles interventions militaires à l’étranger. Les Etats-Unis ont fait de leur mieux pour adopter des méthodes similaires, et la création de récits fabriqués au service des objectifs de politique étrangère du régime est désormais devenue une procédure standard de l’Etat américain.
La première guerre mondiale : un tournant décisif
Tout au long de l’Hhistoire, la plupart des grandes puissances ont eu recours au mensonge pour soutenir leurs efforts de guerre, mais ces pratiques ont pris une ampleur et atteint un niveau de sophistication sans précédent au cours du XXe siècle, principalement grâce à l’appui des médias de masse de plus en plus centralisés.
Pour comprendre la manière dont ce nouvel « Etat propagandiste » s’est développé, les travaux de l’historien Ralph Raico sont particulièrement éclairants.
Il suggère que le véritable tournant s’est produit lors de la première guerre mondiale, lorsque le régime britannique, avec l’aide des médias, a mené une campagne de propagande d’une efficacité remarquable. Plus précisément, Raico avance que la propagande moderne en temps de guerre a commencé avec « le récit des atrocités belges en 1914, qui fut probablement le premier grand succès de la propagande de guerre à l’époque moderne ».
Raico fait ici référence à une campagne britannique concertée visant à exagérer grossièrement les violences commises contre les civils lors de l’invasion allemande de la Belgique et à faire passer le message que les Allemands étaient un peuple barbare, à l’opposé des Français et des Britanniques plus civilisés.
Cette campagne reposait principalement sur un rapport officiel du gouvernement britannique connu sous le nom de « Rapport Bryce ». Celui-ci avançait une multitude d’allégations non étayées, notamment de viols de masse (y compris contre des nonnes), des enfants dont les mains auraient été coupées ou encore de crucifixion de soldats canadiens sur des portes de grange. Ces récits ont suscité l’horreur et alimenté une vive hostilité contre les Allemands dans une grande partie du monde.
Mais il y avait juste un problème : tout cela reposait presque entièrement sur des mensonges. Comme l’écrit Raico :
« Que faut-il réellement retenir de l’épisode des atrocités belges ? Que toutes ces histoires étaient fausses. Elles ont été fabriquées de toutes pièces. Elles étaient bidon. Les photos ont été prises dans des bâtiments bien connus à Paris. Les décors ont été conçus par des scénographes de l’opéra parisien. Les récits ont été entièrement inventés et diffusés par la propagande britannique comme une arme de plus dans la guerre, en particulier pour conquérir les esprits dans les pays neutres… Cela a largement aidé à retourner l’opinion publique contre les Allemands. »
Raico ajoute une note particulièrement ironique et évoque les propos de l’historien Thomas Fleming :
« A son crédit, il mentionne que les véritables cas documentés où des personnes, y compris des enfants, ont eu les mains tranchées, se sont produits au Congo à partir des années 1880, sur ordre du roi belge Léopold II. Au regard de leur ampleur et de leur cruauté qui défient l’imagination, ce sont plutôt ces événements qui méritent réellement d’être appelés ‘les atrocités belges’. »
Parmi les pays neutres qui étaient les cibles principales de la propagande britannique, figurent bien sûr au premier rang les Etats-Unis.
Le régime britannique était désespéré à l’idée de faire entrer les Américains en guerre à ses côtés, et il ne recula devant presque aucun effort ni aucune dépense pour convaincre les Américains que les Britanniques combattaient un ennemi d’une malveillance inimaginable. Le programme fut un véritable succès. Raico note que :
« Le parti pris profondément enraciné de la classe politique américaine et des élites fut galvanisé par la propagande britannique. Le 5 août 1914, la Royal Navy coupa les câbles reliant les Etats-Unis à l’Allemagne. Dès lors, les nouvelles à destination de l’Amérique devaient obligatoirement transiter par Londres, où les censeurs les éditées de façon à servir les intérêts du gouvernement britannique. Finalement, l’appareil de propagande britannique pendant la première guerre mondiale devint le plus puissant que le monde ait connu jusque-là. Il servit plus tard de modèle au ministre nazi de la Propagande, Joseph Goebbels. Comme l’a écrit Philip Knightley :
‘Les efforts des Britanniques pour faire entrer les Etats-Unis en guerre aux côtés des Alliés ont pénétré tous les aspects de la vie américaine. […] Ce fut l’une des plus grandes campagnes de propagande de l’histoire, menée avec un tel soin et un tel secret que peu d’éléments en ont été révélés avant la veille de la seconde guerre mondiale, et l’histoire complète reste encore à raconter.’ »
Les Américains adoptèrent les méthodes britanniques
En fin de compte, l’effort de propagande britannique a porté ses fruits et les Etats-Unis sont entrés en guerre avec ferveur aux côtés de la Grande-Bretagne. Cette décision allait à l’encontre de la volonté d’une grande partie de la population américaine, qui restait encore largement pacifiste, mais les Britanniques avaient réussi à rallier les élites américaines à leur cause.
Après tout, à mesure que les efforts britanniques s’intensifiaient, même la direction du parti républicain commença à faire pression sur Woodrow Wilson pour qu’il adopte une position plus ferme contre l’Allemagne. Comme l’écrit Raico, « les Américains, qui souhaitaient ardemment éviter la guerre n’avaient aucun porte-parole au sein de la direction de l’un ou l’autre des deux grands partis ».
Une fois les Etats-Unis entrés en guerre, ils mirent en place leur propre offensive de propagande, qui tourna ensuite à la censure pure et simple. Pour cela, les médias et les intellectuels du pays furent mobilisés afin de relayer le message de guerre, et, comme l’écrit Raico :
« Les écoles publiques et les universités furent transformées en vecteurs de la propagande gouvernementale. Le directeur général des postes, Albert Burleson, censura et interdit la diffusion des journaux critiques à l’égard de Wilson, de la conduite de la guerre ou des Alliés. Cette campagne nationale de répression fut encouragée par le Committee on Public Information, dirigé par George Creel, la première agence officielle de propagande du gouvernement américain. »
La manière dont le New York Times a encensé le président de l’université Columbia pour avoir renvoyé des membres du corps professoral opposés au régime sur la question de la conscription est un exemple parmi d’autres de la mainmise du régime sur les institutions éducatives.
Dans notre prochain article, nous verrons comment la première guerre mondiale a marqué le véritable point de départ d’un appareil de propagande étatique, dont les méthodes ont ensuite façonné toute la politique étrangère américaine du XXe siècle.
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.