▪ Paris était calme hier soir. Nous avons traversé la Seine… et vu la Tour Eiffel s’illuminer en bleu-blanc-rouge.
Nous vivions à Paris en 2003, lorsque George W. Bush et son équipe ont décidé d’attaquer l’Irak. Nous avons fait part de nos doutes dans ces colonnes. Le pire qui puisse arriver après une attaque agressive, avons-nous prévenu, est la victoire. Cela encouragerait encore plus de démonstrations de force là où nous n’avions rien à faire, disions-nous à l’époque. Nous rapportions que les Français avaient décidé, sagement selon nous, de s’abstenir et nous suggérions que les Américains feraient bien de les imiter.
Ce point de vue a mis nos lecteurs dans une telle rage qu’ils ont été des milliers à annuler leur abonnement gratuit. L’un d’entre eux nous avait même écrit pour nous dire qu’il espérait que les Etats-Unis « bombarderaient Paris sur le chemin de Bagdad ».
Mais jetons un coup d’oeil aux marchés avant de revenir au sujet du jour. Le Dow a bien grimpé ; les médias ont attribué cette performance à « la hausse de taux à venir ». Ladite hausse de taux est censée être possible grâce à une économie plus saine. Ainsi, disent les gros titres, la politique de la Fed pourra retrouver un état plus normal.
Peut-être. Mais si l’économie était vraiment en voie d’amélioration, ça signifierait des taux plus élevés… des salaires plus élevés… des profits en hausse… des rachats d’actions en baisse… et presque certainement une baisse des cours boursiers. Une croissance saine devrait plutôt être précédée par un effondrement des marchés boursiers et du crédit, pour se débarrasser des déchets, des erreurs et des excès de dette qui bloquent actuellement le chemin.
La croissance réelle d’une économie saine est l’opposé même de ce qui a porté le Dow au-delà des 17 000 |
Une autre manière de formuler les choses serait de dire que la croissance réelle d’une économie saine est l’opposé même de ce qui a porté le Dow au-delà des 17 000. Les actionnaires doivent en fait leurs plus-values actuelles non pas à une croissance solide mais à la collusion, la tromperie et la corruption. Ils n’abandonneront pas facilement. La croissance réelle et saine ne sera pas tolérée — non que la menace en soit très lourde. Mais même si elle l’était, la Fed devrait la tuer dans l’oeuf avant qu’elle ne devienne incontrôlable.
▪ En attendant… revenons à notre sujet du jour
La politique, la culture et la religion provoquent toujours des réactions émotionnelles. Mais la guerre les surpasse toutes. Ce n’est pas un sujet sur lequel il est facile de réfléchir, sans parler d’écrire. Les militaires, par exemple, ne sont pas censés réfléchir à la guerre ; ils sont seulement censés la gagner. Et la plupart des gens s’alignent derrière leurs hommes en uniforme. « Soutenez nos troupes », disent les autocollants sur les pare-chocs. « En remerciement des services rendus à votre pays », disent-ils aux hommes d’armes. Réfléchir trop profondément aux services ainsi rendus est pratiquement de la trahison.
Nous comprenons mieux ce phénomène depuis que nous avons lu Sapiens, de Yuval Noah Harari. Il explique que les communautés humaines et les entreprises collectives à grande échelle (comme la guerre) ne sont possibles que grâce à des mythes partagés. Il faut croire la même chose que tout le monde. Il faut adhérer au même schéma narratif.
Si les individus s’arrêtaient pour y réfléchir, toute l’aventure pourrait sembler relativement idiote (l’attaque de Napoléon sur Moscou… la Première Guerre mondiale… les Croisades… la Guerre de Troie… la Guerre en Irak…) A quoi est-ce que ça me sert ?pourraient-ils demander. Souvent, la réponse est : à rien. C’est alors que le mythe s’effondre… que le projet échoue… que la solidarité nécessaire pour les entreprises à grande échelle (l’Eglise catholique… la Deuxième Guerre mondiale… les Etats-Unis d’Amérique) ne peut être maintenue. C’est pour cette raison qu’il y a une telle pression pour ne PAS réfléchir de manière indépendante… mais suivre plutôt n’importe quel programme farfelu faisant les gros titres à ce moment-là.
C’est probablement aussi ce qui pousse tant de nos lecteurs à nous critiquer. Nous ne sommes pas « solidaires » des gros sabots américains (ou autres) au Proche-Orient. Nous nous demandons ce que ça signifie pour nous.
Ben Norton, dans Salon :
« Jusqu’à la Guerre du Golfe, en 1990, tout au long de la guerre Iran-Irak qui a consumé les années 80, les Etats-Unis ont soutenu Saddam Hussein — le dictateur même qu’ils déposeraient dans la violence en 2003.
Des dossiers déclassifiés de la CIA montrent comment le gouvernement américain a aidé Hussein lorsqu’il lançait des armes chimiques sur les civils iraniens. Le gouvernement britannique a permis au régime d’Hussein de créer des armes chimiques en utilisant des agents vendus à l’Irak par des entreprises britanniques. Ces armes fournies par l’Occident ont également été utilisées dans la campagne de génocide menée par Hussein contre les Kurdes.
Saddam Hussein a été le premier monstre de Frankenstein créé par la politique américaine en Irak ; Al Qaeda a été le deuxième, l’EI est désormais le troisième ».
Les terroristes sont plus souvent créés par les armées étrangères… qu’exterminées par elles |
Pour le citoyen moyen, ces aventures militaires reviennent à « défendre la mère-patrie » ou « lutter contre le terrorisme ». Mais la mère-patrie est rarement en danger. Et les terroristes sont plus souvent créés par les armées étrangères… qu’exterminées par elles. Pourtant, peu de gens se posent des questions. Ceux qui remettent effectivement tout ça en question tendent à les considérer comme des aberrations ou des erreurs.
Nous avons une opinion différente — et encore plus impopulaire. Les Etats-Unis sont un empire, notions-nous dans un livre écrit il y a 10 ans. Les empires font des choses que les nations normales ne font pas. Ils sont quasiment toujours engagés dans des opérations militaires quelque part à la périphérie, et quasiment toujours dirigées par un petit groupe de personnes appartenant à l’élite, à l’industrie et aux intérêts spéciaux.
Pour un empire, les guerres à l’étranger ne sont ni des « erreurs » ni des « aberrations ». Elles sont intentionnelles. Et inévitables. Elles profitent aux initiés.
Tous les autres paient.