La Chronique Agora

Ils préféreraient que vous ne compreniez rien…

Les élites politiques, bancaires et mondiales préféreraient que vous ne compreniez rien à la situation des dettes et de la monnaie. C’est bien normal : leur survie dépend de votre ignorance.

Jeudi dernier, Jerome Powell est apparu sur le plateau de l’émission télévisée The Today Show… et il a exprimé le point de vue de toutes les élites (en France, Bruno Le Maire a dit peu ou prou la même chose) :

« Il n’y a rien de fondamentalement mauvais dans notre économie. Bien au contraire. L’économie s’est très bien comportée jusqu’en février. Le niveau de chômage est le plus bas depuis cinquante ans. Nous partons donc d’une position très forte. Ce n’est pas que quelque chose ne va pas avec l’économie. »

Les propos de Powell ont été repris par les présidents régionaux de la Fed. Robert Kaplan, de la Fed de Dallas :

« Nous étions forts avant que débute cette affaire, et nous pensons que nous avons une grande chance d’en sortir encore très forts. »

La Fed estime qu’elle est « intervenue temporairement pour accorder des prêts » à un système considéré comme « fondamentalement solide et robuste ».

Mais si tout va bien…

Une remarque de bon sens : pourquoi accorder des prêts en panique, pourquoi acheter à carnet ouvert tout ce qui est à vendre sur les marchés, pourquoi faire fonctionner la planche à billets si tout va bien ?

Pourquoi soutenir les marchés de crédit, les marchés de dettes qui s‘effondrent s’il n’y a pas de problème ?

La Fed ne se rend pas compte que malgré elle, elle révèle le pot aux roses : la situation sur le marché des dettes. La Fed révèle la vérité au travers ses mensonges. Les dettes, on n’en veut plus, on en a trop, on les vend ; on les brade à n’importe quel prix.

Ce à quoi nous assistons, c’est une révulsion.

Les autorités pratiquent ce que Freud appelle la dénégation, la Verneinung ; cela consiste à nier quelque chose mais, tout en le niant, à le révéler malgré soi.

N’est-ce pas précisément dire le contraire de ce que l’on affirme que de reconnaître que l’on doit soutenir les marchés du crédit ? N’est-ce pas également pointer ce qui ne va pas, ce qui est défaillant que de concéder qu’il y a un problème du côté… du passif de l’économie ?

Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas

L’actif, c’est ce que l’on voit ; le passif, c’est ce que l’on ne voit pas, c’est ce que l’on doit.

C’est vrai : les dettes, on ne les voit pas, on n’en parle pas. C’est pourtant ce qui gouverne tout : une entreprise qui n’a pas accès au crédit disparaît, un gouvernement également.

On peut avoir un actif rutilant qui fait bonne impression et avoir des dettes colossales : si on ne peut les assumer c’est la déconfiture, la chute. C’est vrai pour une personne et c’est vrai pour un système économique.

Nos systèmes ont un actif, c’est évident – mais cet actif a été constitué, financé par des passifs, c’est-à-dire des fonds propres et des dettes. Quand on n’a pas assez de fonds propres et trop de dettes, on sombre.

On est menacé par l’insolvabilité et plus personne ne veut vous prêter. Pire, ceux qui ont accepté de vous faire crédit ne pensent qu’à une chose, se débarrasser de ces dettes qui en fait ne valent plus rien puisque vous êtes défaillant.

Ce qui gouverne tout

C’est exactement ce qui s’est produit et que le président de la Fed refuse de vous expliquer. Il veut que vous restiez persuadé que tout va bien et que les passifs n’existent pas. Or les passifs – c’est-à-dire l’argent, le capital, le pognon –, c’est ce qui gouverne tout.

Le passif d’un système, c’est l’origine des fonds qui l’ont financé. Si le passif est sain, les fonds propres sont importants et les dettes modestes ; si le passif est malsain, les fonds propres sont insuffisants et les dettes abondantes.

Depuis des décennies, la proportion de fonds propres en regard des dettes ne cesse de croître afin de bonifier les profits. Les dettes coûtent moins cher que les capitaux propres ; on dit que cela s’appelle le levier. Comme son nom l’indique, le levier est un moyen de multiplier les profits.

Le passif a plus de pouvoir dans un système que l’actif : « celui qui paie commande », dit-on, et c’est vrai. Le passif, c’est le maître.

Le passif d’un système retrace l’origine des fonds. En 2010, les détenteurs du passif de l’Europe ont montré leur pouvoir en précipitant la construction européenne dans une crise de la dette dont elle ne s’est pas encore remise.

Dans le cas présent

Ceux qui ont l’argent ont pris conscience que la bicyclette risquait de s’arrêter de rouler ; ils ont opéré un sauve-qui-peut. Plutôt que d’attendre d’être ruinés, ils ont essayé de vendre par anticipation les créances qu’ils détenaient. C’est cela que Powell ne veut pas que vous sachiez.

Il ne veut pas qu’il soit dit que la crise financière actuelle est un « run », un sauve-qui-peut sur les dettes.

L’argent, le crédit… Tout cela doit rester non-su par le public, cela ne le regarde pas. C’est le grand secret, le mystère du vrai pouvoir – le pouvoir de ceux qui ont droit de vie et de mort (sociale) sur tout ce qui est dépendant de l’argent, dépendant du crédit, autant dire presque tout le monde.

La monnaie, le crédit, les dettes, c’est l’éléphant rose dans la pièce – mais cet éléphant vous est tellement familier que vous ne le voyez plus. Tout se passe comme si c’était aussi naturel que l’air que l’on respire.

Hélas non : il y a tout un système, tout un appareil, tout un ensemble de théories et tout un ensemble d’institutions, tout un ensemble de personnes derrière ce qui vous paraît naturel, derrière la monnaie, derrière le crédit.

On ne parle pas de ces choses-là

Donc on ne parle pas de ces choses-là, on dit que c’est trop technique… ce qui, soit dit en passant, alimente dans le public les idées fausses, comme par exemple le fait que l’argent pousse sur les arbres.

Non, l’argent ne pousse pas sur les arbres : il naît avec le crédit, avec les crédits que l’on accorde. C’est le crédit qui crée l’argent. C’est précisément pour cela qu’une crise du crédit est terrible : elle détruit l’argent ! La crise du crédit, c’est le trou noir, comme en astronomie, dans lequel l’argent disparaît.

Et si l’argent disparaît, l’activité économique se met en panne.

Il y a une autre raison pour laquelle les grands maîtres de l’œuvre au noir, de l’alchimie monétaire, ne veulent pas que vous compreniez – une raison très importante pour eux : si vous compreniez, vous sauriez que tout est de leur faute. Vous verriez clairement que ce sont des criminels en cols blancs.

Pourquoi ne veulent-ils pas que vous sachiez tout cela ? Bonne question.

Réponse : vous seriez tenté de dire, « mais pourquoi leur a-t-on prêté autant d’argent, à ces gens qui ne peuvent pas rembourser ? »

Et la réponse à cette question ? Parce qu’on y était obligés !

A suivre…

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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