La contreperformance d’un investissement dans l’or ? C’est une affaire de point de vue…
L’or serait-il sorti du purgatoire dans lequel l’avait plongé la hausse du dollar et la flambée des rendements obligataires depuis début mars dernier ?
Pour les analystes techniques, la réponse est positive depuis le franchissement des 1 666 $… mais cela n’explique pas pourquoi se performance demeure encore négative de 2 à 3% en dollars (car, en euros, l’once prend plus de 10%).
Il était très vite apparu avec l’escalade des tensions entre la Russie et l’Otan, fin 2021-début 2022, que l’or ne jouait pas son traditionnel rôle de refuge en dernier ressort face à une situation de crise géopolitique majeure.
Il y a deux explications à cela, qui témoignent d’une transformation des conditions de marché et des rapports entre l’Europe et les Etats-Unis.
Combien d’or est échangé chaque jour ?
Pour la première, l’or se retrouve confronté à un effet de liquidité : les principales banques centrales (BCE, FED, BoE) ont imprimé environ 10 000 Mds$ de liquidités de mi-mars 2020 à septembre 2021. En parallèle, l’encours des trackers or atteint à peine 100 Mds$ (soit 1% de la monnaie imprimée en 18 mois) et le montant des échanges d’or physique ou à terme rapproché à Londres, New York ou Shanghaï (puis Tokyo et Istanbul) serait proche de 100 Mds$/jour (dont 40 Mds$ à New York et 36 Mds$ à Londres).
Ces chiffres peuvent paraître imposants, mais, en réalité, ce sont les mêmes stocks relativement limités qui sont échangés jour après jour, ce qui signifie que les quantités d’or livrable sont très faibles. Pour schématiser, les échanges portent sur une centaine de tonnes par jour, mais l’or réellement disponible représente quelques dizaines de tonnes. Du moins à condition que le LBMA, l’association contrôlant de le marché de l’or londonien, puise dans son stock de 7 500 tonnes pour fluidifier le marché.
Autrement dit, pour des entités qui pèsent 10 000 Mds$ d’actifs sous gestion comme Blackrock, 7 000 Mds$ comme Vanguard, ou 2 000 Mds$ pour Allianz, le premier géant européen (et nous n’allons pas citer tous les fonds à plus de 1 000 Mds$), le marché de l’or n’a plus la taille critique pour absorber des arbitrages massifs, à hauteur par exemple de 10% de la poche obligataire.
La dette fédérale américaine, c’est 31 000 Mds$. Mais il faut rajouter à cela plus du double pour les dettes des particuliers (15 000 Mds$) puis des entreprises (10 000 Mds$, plus 1 000 Mds$ de dettes high yield, et enfin 1 000 Mds$ de dettes « leveragées ») et des municipalités (ces « muni-bonds » représentant un encours de 3 000 Mds$).
Autrement dit, une réduction de 10% de l’exposition sur le seul compartiment obligataire américain pour acheter de l’or représenterait plus de 6 000 Mds$… Et, bien sûr, les détracteurs de l’or ne manqueront pas de souligner que les gestionnaires d’actifs troqueraient leurs emprunts bien rémunérés pour un actif qui « rapporte zéro ».
Fuite vers le dollar
Ce à quoi il est facile de rétorquer que l’on peut volontiers se passer de 0,5% de rendement (c’était la rémunération des OAT en France au 1er janvier), ou de 1,5% (c’était celle des T-Bonds US le 31 décembre 2021) quand survient, au cours des trimestres suivants, un krach obligataire de 20%.
Donc, l’absence d’une vague haussière sur le métal précieux apparaît rétrospectivement compréhensible pour cause d’absence de profondeur de marché : trouver refuge sur un dollar emporté par une dynamique haussière (jusqu’à 20% de hausse face à un panier de devises sur 12 mois) apparait bien plus commode et rémunérateur (les T-Bonds affichant récemment jusqu’à 4,8% de rémunération).
La Fed a d’ailleurs tout fait pour attirer l’épargne mondiale vers le dollar, c’est-à-dire s’assurer que le monde entier continuer de financer le train de vie pharaonique et les déficits abyssaux des Etats-Unis.
La tentation d’acheter du dollar est devenue encore plus forte à partir de mars, quand l’Europe devenait un théâtre de guerre et que son modèle économique basé sur une production industrielle à base de gaz bon marché volait en éclats.
L’euro est devenu un repoussoir en moins de temps qu’il n’en fallut à l’Europe pour enchaîner les sanctions contre la Russie.
Ce désintérêt pour l’euro fut aggravé par une BCE qui trainait des pieds pour remonter ses taux, à tel point qu’il a fallu attendre jusqu’à juillet.
Les banques centrales repassent à l’achat
L’or semblait lui aussi victime d’un véritable désintérêt, mais, alors que les gestions continuaient de s’en détourner, les banques centrales ont repris leur ramassage à un rythme effréné au troisième trimestre 2022, dans un silence médiatique assourdissant.
Elles ont acheté 400 tonnes d’or, contre seulement 90,6 tonnes au trimestre correspond l’an dernier (données « CMOI » ou Conseil mondial de l’or).
Pour mesurer l’ampleur de cet appétit, les banques centrales n’avaient acquis que 463 tonnes sur l’ensemble de l’année 2021 après 270 tonnes seulement en 2020.
Jamais les banques centrales n’avaient acheté autant d’or en un seul trimestre depuis 1967… et le « fait intéressant » c’est que les trois quarts des quantités acquises émanent de « banques centrales anonymes ».
Pour mémoire, l’offre mondiale d’or s’élève à 5 000 Mds$, avec 80% provenant de la production annuelle et 20% du recyclage.
Parmi les acheteurs « connus », nous retrouvons la Turquie (85 tonnes en 9 mois), l’Ouzbékistan, l’Inde ou le Qatar (trois acheteurs traditionnels) pour n’en citer que quelques-uns.
En ce qui concerne les « anonymes », les connaisseurs citent volontiers la Chine, puis la Russie. Cette dernière pourrait ainsi recycler une partie de ses excédents records, sans parler d’un rouble qui a pris 25% cette année face au dollar et 40% face à l’euro.
La question de la devise utilisée reste centrale, puisque, en dehors du dollar et du franc suisse, la plupart des monnaies se sont dépréciées face à l’or, et plus encore face à l’argent. Pensez au parcours du yen, de la livre sterling (tombée vers 1,04/$ avant de rebondir vers 1,18), à la livre turque… et plus encore à la chute du yuan chinois.
L’or s’est donc avéré le 2ème meilleur placement 2022… derrière le Dollar, mais très loin devant les bons du Trésor et les actions.
Les détracteurs du métal précieux ont ressassé cet argument de « sous performance » et d’absence de rendement comme un mantra. Il y a fort à parier que ce sont les mêmes qui ont intérêt à ce que l’épargne mondiale n’ait d’yeux que pour le billet vert.
Et cette mécanique qui fait du Dollar un « grand attracteur » est entièrement réversible, tandis que les anticipations de rechute de l’inflation vers 2,5% de l’inflation d’ici fin 2023 restent à l’heure actuelle de l’ordre du fantasme. Les prix pourraient au contraire continuer de caracoler à 5% en rythme annuel et la Fed se retrouver dans l’incapacité de maintenir ses taux à 4,75/5% pour cause d’effondrement de l’activité économique, notamment via un krach immobilier d’ampleur historique.
Dans ces conditions, quel autre actif que l’or (et l’argent) pourrait apparaître comme un refuge pertinent ?
Anticiper une once à 2 000 $ en 2023 peut apparaître comme un objectif bien peu ambitieux !