▪ Sortons les cotillons et les confettis, mettons le champagne au frais et les petits fours bien au chaud… faisons la fête et embrassons-nous Folleville : la crise de la dette européenne est sur le point d’être vaincue.
Les vilains spéculateurs seraient en train de négocier l’armistice avec la BCE, sous la haute supervision du couple franco-allemand (qui est expert en la matière, comme nous le rappelle la prochaine célébration du 11 novembre !).
Un sentiment de soulagement mêlé de félicité dominait mardi soir à Wall Street au cours de la dernière heure. Un bon conseil, amis traders qui officiez à Wall Street : ne prenez aucun rendez-vous entre 17h et 17h31 jusqu’à nouvel ordre.
Le journal britannique The Guardian croit savoir qu’un consensus se dessine en faveur d’un FESF renforcé. Il serait même doté d’un « levier 5 » (voilà qui est précis). L’Europe s’apprêterait à transformer le futur MES (successeur du FESF) en une sorte de SRD sur la dette publique !
Cela semble séduire beaucoup de monde. Il y a pratiquement unanimité sur le principe… mais qui peut répondre à cette interrogation : qui va gérer l’argent ?
C’est la question à 2 000 milliards d’euros !
Le scénario de la création d’une super-banque supervisée par les Etats et fonctionnant en tandem avec la BCE a été écarté ; ce serait trop long de décider de qui fait quoi, dans quelles circonstances, avec l’aval de quels pays… Il apparaît donc peu douteux que la responsabilité de la gestion en sera confiée à la BCE.
C’est là que nous devons nous reposer la question : par quel processus démocratique la BCE a-t-elle été constituée, lequel de ses membres est-il élu ? Qui contrôle la bonne exécution du mandat de son président, nommé pour huit ans ?
Que se passerait-il si Mario Draghi décidait de voler au secours de tel pays et pas d’un autre, au prétexte qu’il ne remplit pas les conditions d’un nouveau renflouement ? Les Allemands, dans leur immense majorité, auraient été parfaitement d’accord avec une telle décision dans le cas de la Grèce.
▪ Le patron de la BCE n’a pas plus de comptes à rendre à la représentation démocratique que les agences de notation. Dans un cas comme dans l’autre, leurs premiers interlocuteurs sont les banques… qui appartiennent pratiquement toutes au secteur privé — sauf désormais Dexia et quelques caisses régionales allemandes ou espagnoles.
S’interroge-t-on assez sur les motivations profondes des trois agences qui détiennent le monopole de la notation dans le monde occidental ?
Cela fait deux ans que toute la communauté financière sait que l’Espagne est dans une situation économique catastrophique et que son système bancaire est moribond. Et voilà que Moody’s se réveille soudain avec l’envie de dégrader 24 banques espagnoles (les 24 plus importantes naturellement), tandis que S&P annonçait quelques heures auparavant l’abaissement de deux crans de la note souveraine espagnole.
Si leur diagnostic nous apparaît irréfutable, pourquoi « envoyer du lourd » seulement maintenant ? Pourquoi cet emballement, cette frénésie des agences à trois jours du G20 ?
Ce qui pose question, c’est le choix du timing. Cela tombe pile-poil au moment où les marchés mettent la pression sur les gouvernements pour que le FESF soit mis en place et confié à une institution — la BCE — qui échappe à tout contrôle démocratique !
▪ Les « indignés » ne revendiquent rien en particulier — sinon que quelques puissants lobbies financiers cessent de corrompre l’appareil politique et législatif. Ils feraient bien de se mobiliser dans l’urgence (il ne reste peut-être pas plus de 48 heures) afin de réfléchir sur les conséquences d’un transfert massif de souveraineté budgétaire des Etats vers un organisme supranational qui jouit d’une totale autonomie de décision.
L’indépendance, s’il s’agit de l’ONU, du tribunal pénal international de La Haye, du CIO… personne n’a rien contre, c’est même la condition première de leur légitimité !
Mais feriez-vous confiance à une Fed bis autorisée à battre monnaie (monétiser la dette)… et qui serait en contact permanent avec des interlocuteurs capables de manipuler à loisir les marchés pour infléchir ses décisions dans un sens qui leur soit systématiquement favorable (comme aux Etats-Unis) ?
Le successeur de J.-C. Trichet, Mario Draghi, s’est déclaré à plusieurs reprises contre le recours à la planche à billets avant d’être intronisé ce jeudi à la tête de la BCE.
Souvenons-nous que Christine Lagarde était contre la recapitalisation des banques françaises (une mesure inutile et contre-productive) lorsqu’elle officiait à Bercy. Quelles furent ses premières déclarations sitôt installée dans le fauteuil de Dominique Strauss-Kahn comme patronne du FMI ? « Il faut recapitaliser d’urgence les banques ».
Mme Lagarde a soudain analysé la situation de façon bien différente en quittant les rives de la Seine pour celles du majestueux Hudson… M. Draghi ne pourrait-il pas à son tour envisager la situation différemment depuis les rives du Rhin, un fleuve autrement plus impressionnant que le Tibre ?
Pour en revenir au titre de cette Chronique, Quand les démocraties préfèrent perdre le contrôle plutôt que de l’argent, nous redoutons qu’elles perdent les deux, ainsi que les peuples leurs dernières illusions.
N’est-il pas déjà trop tard pour s’indigner ?