La cause de la formation d’un univers bullaire, c’est la croyance. La croyance au non-retour en arrière. Cette même cause explique aussi en partie l’explosion…
J’ai défendu l’idée que dans le régime du « tout en bulles », en cas de retournement, il n’y aurait « no place to hide », nul endroit où mettre en sécurité son argent.
Au cours de cette année 2022, le retournement s’est produit : les actions ont été matraquées.
Les titres à revenu fixe, le risk-off, ont fait à peine mieux. Le proxy des bons du Trésor US, l’ETF iShares Treasury Bond (TLT), affiche un rendement négatif de 12,6% – et une baisse d’environ 20% depuis le début de l’année. L’ETF d’obligations de sociétés de qualité supérieure iShares LQD a enregistré un rendement négatif de 8,40% pour le trimestre, et l’EFT d’obligations à haut rendement iShares HYG a enregistré un rendement négatif de 9,48%.
Aucun refuge
Jusqu’à la mi-juin, les matières premières avaient offert un refuge contre la débâcle des actifs financiers. A son plus haut de juin, l’indice Bloomberg Commodities affichait un gain de 15,3% pour le trimestre. Le pétrole brut s’est échangé jusqu’à près de 124$, tandis que le gaz naturel a bondi de 44% sur le trimestre.
Mais les matières premières se sont fortement repliées au cours des deux dernières semaines de juin. L’indice Bloomberg Commodities a ainsi terminé le deuxième trimestre en baisse de 5,9%. La majeure partie de l’avance du brut ayant disparu et le gaz naturel terminant en fait le trimestre en baisse.
Même les valeurs refuges que sont l’or et l’argent se sont inversées, partant en forte baisse et enregistrant des pertes sur ce deuxième trimestre.
Les pertes se sont aussi accumulées sur les devises, sur les actions et sur les obligations des marchés émergents.
Les cryptomonnaies ont subi des pertes catastrophiques, avec des suspensions de cotation, des retraits, l’insolvabilité de certains intermédiaires, des paniques et finalement un chaos général engloutissant le secteur.
Le bitcoin a chuté de 59% au cours du seul deuxième trimestre, avec des prix en baisse de 73% par rapport aux sommets de novembre 2021. La plupart des autres cryptos ont subi des pertes encore plus importantes.
La cause de la bulle, et celle de son explosion
Pourquoi ai-je osé, contre les avis des banquiers, répéter que dans le régime présent il n’y avait et n’y aurait no place to hide ?
Pour une raison que tout le monde peut comprendre.
Parce que la cause de la formation d’un univers bullaire, la cause du « tout en bulles », c’est la politique monétaire. Tous les actifs, ai-je expliqué, ont le même sous-jacent. Ce sous-jacent, c’est la monnaie, ou plutôt la monnaie surabondante, gratuite, promise et assurée.
J’ai expliqué que – de la même façon que le sous-jacent de la bulle de l’hypothécaire en 2006, 2007 et 2008 était la croyance que les prix de l’immobilier ne pouvaient que monter – ici, dans le régime actuel, le sous-jacent de tout, absolument tout, c’est – ou plutôt c’était –la croyance que la création de monnaie ne peut que gonfler, que le bilan des banques centrales ne peuvent que grossir, bref que l’inflationnisme ne peut que durer.
La cause de la formation d’un univers bullaire, c’est la croyance. La croyance au non-retour en arrière, la croyance au TINA, à l’absence d’alternative. Le mot important est « croyance ». Le retournement boursier c’est l’effondrement d’une croyance, pas l’effondrement du réel. Le réel, c’est autre chose, c’est ailleurs.
Pour qu’il y ait une bulle il faut une certitude. Il faut que l’on croie que quelque chose est éternel, sans limites et ne peut plus changer. En 2006, cette croyance était que les prix des logements ne pouvaient que monter. Eh bien, ici, la croyance, la certitude, c’est que le régime monétaire de l’inflationnisme/l’argent magique ne peut que durer. Une bulle repose sur un invariant. La bulle crève quand cet invariant disparaît et devient variable. La crise, c’est quand le fixe devient variable.
En bref, le régime du « tout en bulle » s’est transformé en son contraire.
Phénomène monétaire
Les bulles éclatent partout.
Les bulles sont un phénomène monétaire. Ou plutôt sont la conjonction d’un phénomène monétaire et d’une croyance.
Je reprends ici l’idée de Hussmann. Il n’y a aucun lien de causalité organique entre le bilan des banques centrales et le niveau des indices boursiers ; ce lien ne peut être tracé. Mais le gonflement du bilan des banques centrales se traduit par la hausse des indices boursiers, parce que les gens croient qu’il y a un lien.
On a observé certaines corrélations et on en a tiré des conclusions magiques. Il est évident que les autorités monétaires ont tout fait pour implanter cette croyance, bien sûr ! Mais on peut imaginer, et on l’a vu très souvent dans l’histoire, des périodes et des situations où les autorités monétaires injectent de la monnaie et baissent les taux, mais où cela ne fait rien sur les indices boursiers. Les gens préfèrent alors garder leur monnaie plutôt que de spéculer en Bourse.
Pour que les bulles se forment et se développent, il faut invariablement une source sous-jacente d’expansion de la monnaie et du crédit, source qui entraîne une « inflation auto-entretenue mais inévitablement insoutenable ».
Ce constat m’a souvent amené dans le passé à tenter d‘expliquer qu’il n’y avait pas de vraie bulle des prix des actifs financiers, mais c’était trop subtil. Il n’y a pas de vraie bulle du prix des actifs financiers parce que la vraie bulle est ailleurs, elle se trouve au niveau de la masse de monnaie.
Il y a une bulle de monnaie et cette bulle de monnaie recherche sa rentabilité, sa performance, la plus rapide et la plus haute. Ce qui la fait glisser vers les avatars de la monnaie que sont les actifs financiers, actions, obligations (avatars que je désigne sous le nom de quasi-monnaie ou money-like).
La bulle des prix des actifs, c’est une hernie ; les autorités injectent de la monnaie dans un conduit – une chambre à air – et cette monnaie circule jusqu’à ce qu’elle rencontre un étranglement/une rareté et forme une excroissance. Cette excroissance devient source de rentabilité et de performance spéculative pour tout le monde et elle grossit sans arrêt par le Ponzi.
Une bulle unique n’est pas de même nature que le « tout en bulles ». Une bulle unique peut être provoquée par une mode, un engouement, cela reste localisé. Mais le tout en bulles constitue un changement de nature et de logique systémique.
A suivre…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]